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Psychobiotiques : agir sur les troubles mentaux via le microbiote

Longtemps ignoré, le lien entre microbiote intestinal et troubles psychiatriques se révèle aujourd’hui crucial. Dépression, TDAH, bipolarité, troubles du spectre autistique… De plus en plus d’études montrent que notre flore intestinale influence directement le fonctionnement de notre cerveau. Un déséquilibre du microbiote pourrait-il être à l’origine de certaines pathologies mentales ? Et surtout, peut-on agir en ciblant cet axe intestin-cerveau ? Tour d’horizon des dernières découvertes sur ces bactéries qui dictent nos émotions et nos pensées.

Laëtitia Kermarrec

Dans notre récent article Une anorexie pas si " mentale " que ça, nous avons abordé le lien entre microbiote intestinal et anorexie mentale, révélant que des anomalies de l’écosystème intestinal sont impliquées. Mais ce trouble des conduites alimentaires n’est pas la seule pathologie psychiatrique que le microbiote peut influencer, et cela ouvre sur des voies thérapeutiques potentielles…

Le microbiote intestinal, presque absent à la naissance, se développe durant l’enfance et l’adolescence en même temps que le cerveau. Parce que leur croissance est simultanée, le microbiote peut influencer le développement et la santé du cerveau durant cette période d’immaturité : des perturbations potentielles (stress, mauvaise alimentation, prise d’antibiotiques) peuvent provoquer une dysbiose qui, à son tour, peut favoriser l’apparition de troubles neurologiques. Plus stable à maturité, le cerveau peut toutefois être encore impacté par des changements du microbiote intestinal, puisque des processus biologiques visant à optimiser les performances cérébrales (élagage synaptique, myélinisation…) ont toujours lieu.

Les psychobiotiques, des fibres fermentescibles (prébiotiques) et des " bonnes " bactéries (probiotiques) pourraient agir pour favoriser ces bonnes bactéries bénéfiques à la santé mentale et neurologique.

L’axe intestin-cerveau

Comment ce lien entre microbiote intestinal et santé mentale se produit-il ? La réponse se trouve dans l’axe intestin-cerveau, le fameux dialogue entre les deux organes, ou devrait-on dire l’axe microbiote-intestin-cerveau. Car, de la même façon que le microbiote intestinal participe à la régulation de l’appétit par production de certains neuropeptides, il a sa part dans la transmission et la régulation des signaux dans le corps par production directe de neurotransmetteurs. Par exemple, 90 % de la sérotonine, essentielle entre autres à la régulation de l’humeur, provient de l’intestin.

Une production directe, mais pas seulement. Le microbiote agit aussi indirectement sur la production de neurotransmetteurs à travers la sécrétion d’acides gras à chaîne courte (AGCC) issus de la fermentation bactérienne. Certains d’entre eux traversent la barrière hémato- encéphalique pour moduler la production de Gaba et de glutamate, soutenir la synthèse de sérotonine et de dopamine, ou restaurer la maturation de la microglie impliquée dans la défense contre les pathogènes.

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Microbiote intestinal et immunité

Pour le Dr Guillaume Fond : « Il y a une connexion très forte entre le système immunitaire et la santé mentale. Un microbiote affaibli va entraîner un système immunitaire affaibli donc une propension à développer de l’inflammation chronique de bas grade, en dessous des radars de l’infection aiguë […]. Plus de 60 % des personnes qui ont des troubles de santé mentale présentent une inflammation de bas grade, dosable dans le sang (CRP), qui provient notamment d’une alimentation inflammatoire […] : l’alimentation moderne riche en sucres rapides, en graisses saturées et en produits ultra-transformés, pauvres en fibres aussi, qui vont affaiblir le microbiote intestinal. » Associée à d’autres événements, comme une prise d’antibiotiques ou des épisodes de gastro-entérites, cela peut laisser des « séquelles irréversibles » au microbiote.

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Dialogue rompu = émergence de troubles mentaux

La dysbiose intestinale, conduisant à des perturbations de communication de cet axe tripartite, a ainsi été liée au développement de pléthore de troubles psychiatriques¹ :

• le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) est un trouble neurodéveloppemental lié à des facteurs génétiques impliquant les récepteurs et transmetteurs de la dopamine. Des études suggèrent l’implication de l’axe microbiote-intestin-cerveau. Les patients atteints présentent une augmentation des bactéries Actinobacteria et une diminution des Firmicutes, modifications responsables d’une production accrue de dopamine

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• le trouble du spectre autistique (TSA) est un trouble neurodéveloppemental complexe dont les causes incluent des facteurs génétiques, des anomalies intestinales, des inflammations et des expositions environnementales, sans qu’un seul facteur n’explique son origine. Les patients atteints présentent aussi une dysbiose intestinale, accompagnée de symptômes gastro-intestinaux, impliquant des souches telles Fusobacteria, Verrucomicrobia, Firmicutes et Bacteroides, avec des altérations du rapport Firmicutes/Bacteroides. Ces changements impactent les concentrations de précurseurs de la sérotonine, de la mélatonine et des AGCC

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• le trouble bipolaire est caractérisé par des épisodes maniaques et dépressifs qui s’aggravent avec le temps si non traités. La dysbiose intestinale et des anomalies immuno-inflammatoires y sont associées. Par exemple, une baisse de Faecalibacterium, un commensal anti-inflammatoire, et des Clostridiaceae, producteurs d’AGCC régulateurs de l’humeur, est observée

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• la schizophrénie est une maladie complexe affectant les capacités émotionnelles, cognitives et professionnelles. La recherche met en avant des déséquilibres dans les neurotransmetteurs (dopamine, glutamate…) comme mécanismes clés de la maladie : certains taxons microbiens intestinaux sont systématiquement altérés2 : huit taxons de bactéries toujours régulés à la hausse (Proteobacteria, Gammaproteobacteria…) ; et cinq taxons producteurs de butyrate anti-inflammatoire à la baisse (Fusicatenibacter, Faecalibacterium…)

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• les troubles du sommeil aussi ont été associés à une dysbiose intestinale. Car le microbiote influence les rythmes circadiens, l’horloge interne du corps humain, et ces interactions s’observent aussi dans les maladies psychiatriques. Le stress, par exemple, agit sur les systèmes circadiens via l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HPA), pour répondre aux stimuli externes

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• le trouble dépressif majeur est lié à une dysbiose intestinale, avec des niveaux élevés de bactéries associées à l’inflammation, comme le genre Alistipes. Le microbiote influence aussi le comportement parfois en lien avec ces troubles, comme la timidité versus l’audace. Les AGCC pourraient expliquer ces différences de traits de caractère, mais des études supplémentaires sont nécessaires pour l’affirmer

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• l’anxiété : les scientifiques ont remarqué dans une étude sur le rongeur que Campylobacter jejuni et L. rhamnosus influençaient l’état d’anxiété via des réponses autonomes, neuroendocrines et comportementales. Un autre chercheur a établi une corrélation chez des individus entre le nombre d’infections intestinales contractées tôt dans la vie et le développement d’une anxiété ultérieurement ;

 

• les troubles liés à la dépendance : un lien a été mis en avant entre les métabolites du microbiote intestinal AGCC et les troubles liés à la toxicomanie. Par exemple, la consommation chronique d’alcool altère le microbiote intestinal et nuit à la fonction cérébrale en régulant à la hausse certains neurotransmetteurs. Cette hausse joue à son tour un rôle essentiel dans l’addiction et la dépendance à l’alcool ;

 

• les troubles neurocognitifs : des études précliniques montrent que le microbiote intestinal influence la fonction cognitive : une abondance accrue de Prevotella et de bactéries lactiques est par exemple liée à une meilleure cognition. Une corrélation a aussi été établie entre la maladie d’Alzheimer et la dysbiose intestinale.

Cibler le microbiote à un stade avancé de la vie, où la fonction cérébrale est vulnérable, pourrait donc être bénéfique.

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Des psychobiotiques parfois peut-être aussi efficaces que certains médicaments

Le terme psychobiotique a été cocréé en 2014 par le chercheur en psychonutrition Guillaume Fond, docteur à la fois en biologie cellulaire et moléculaire et en psychiatrie, pour désigner des fibres fermentescibles (prébiotiques) et des " bonnes " bactéries (probiotiques) bénéfiques à la santé mentale et neurologique. Pour lui, " les cinq dernières années ont été très riches d’enseignements " sur le sujet, surtout concernant la dépression et le déclin cognitif. Dans le cas de la dépression par exemple, il explique que " quand on croise toutes les données scientifiques, il est probable que les probiotiques soient même potentiellement plus efficaces que les antidépresseurs chez certaines personnes ". À la question de savoir pourquoi alors les psychobiotiques ne sont pas systématiquement prescrits par les praticiens de santé, Guillaume Fond répond que " ce n’est pas remboursé et ça coûte assez cher ".

Probiotiques : quelles souches favoriser en particulier ?

Un autre problème à considérer, précise-t-il, est " que chaque essai étudie une souche différente. Au maximum, on n’a que deux essais pour une même souche. Donc ce n’est pas possible de dire au final quelles sont les souches que l’on recommande ". Toutefois, " ce qui est majoritairement étudié, ce sont les lactobacilles et les bifidobactéries, deux types de bactéries bonnes pour la santé et qui représentent moins de 5 % de notre microbiote ".

De plus, elles ne présentent aucun danger même à haute dose. Par ailleurs, " les études où les doses de probiotiques administrées étaient supérieures à 10 milliards d’unités formant colonies (UFC) par jour étaient plus efficaces que celles où il y avait moins de 10 milliards d’UFC. Donc la dose est importante ". Le chercheur souligne aussi l’intérêt de la durée du traitement pour une implantation efficiente des bonnes bactéries dans le microbiote.

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Psychobiotiques : de plus en plus reconnus par le corps scientifique

S’ils ne sont pas encore prescrits et remboursés, les psychobiotiques sont néanmoins recommandés pour la santé mentale depuis 2022 au niveau national par l’Association française de psychiatrie biologique et de neuropsychopharmacologie, et au niveau international par la World Federation of Societies of Biological Psychiatry.

Guillaume Fond aussi recommande fortement l’utilisation des psychobiotiques en cas de troubles mentaux, pas de manière isolée mais en concordance avec d’autres facteurs nutritionnels (lire encadrés ci dessous et ci-dessus). Il faut cependant poursuivre les efforts de recherche pour une meilleure compréhension des mécanismes d’action impliqués et pour développer des traitements plus personnalisés.

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L’alimentation personnalisée : une révolution ?

Une autre piste de recherche pour améliorer les troubles psychiatriques et en ralentir l’apparition est l’alimentation personnalisée. Il s’agit d’adapter les recommandations alimentaires aux compositions individuelles du microbiote intestinal*. Plus d’études sont nécessaires pour établir des stratégies mais, à terme, certains scientifiques qualifient cette piste de révolutionnaire.

En attendant, la tendance générale revient aux diètes anti-inflammatoire (riche en oméga-3, antioxydants, fibres), cétogène (riche en protéines, pauvres en glucides et renforcée en lipides) et méditerranéenne.

Un exemple concret est l’atténuation de l’hyperactivité associée au TDAH par diminution des additifs et augmentation des oméga-3 chez les patients.

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