Élise Kuntzelmann
Nous vous avions parlé d’une étude mettant en avant l’acupuncture laser ainsi que la thérapie au laser de bas niveau pour traiter les acouphènes. La première technique remplace les traditionnelles aiguilles pour stimuler des points d’acupuncture précis. La deuxième consiste à stimuler par un apport de photons (lumière) l’oreille interne ou les sinus, afin d’améliorer la croissance de cellules capables de régénérer les tissus. Jugées prometteuses par les chercheurs, elles font, pour les thérapeutes interrogés dans le cadre du présent article, partie d’un panel de solutions plus ou moins efficaces. Et si les spécialistes de l’acouphène ne s’accordent pas sur la pertinence de tous les traitements, ils sont unanimes sur le fait que ce syndrome ne bénéficie, à l’heure actuelle, d’aucune solution révolutionnaire fonctionnant à 100 %. Cet article a pour objectif de faire le point sur ce qui est accessible en France aujourd’hui.
Pour mémoire, l’acouphène n’est pas une maladie. C’est une perception, parfois de jour comme de nuit, d’un son qui n’est pas dû à une stimulation extérieure. Le son le plus connu étant le sifflement. Mais les personnes atteintes décrivent également le suintement, le cliquetis, le chant des cigales, le bruit de réacteurs d’avion, etc. Il s’agit là d’acouphènes dits subjectifs, qui représentent 95 % des cas. Ils peuvent être la conséquence d’un choc émotionnel ou d’un traumatisme sonore. Ils s’apparentent à une cicatrice sur les voies auditives se traduisant par la manifestation d’un bruit. " On peut avoir des cicatrices qui sont douloureuses, dont la perception est variable dans le temps, mais ce n’est pas pour autant qu’il y a une évolution de la chose ", précise Michel Kossowski, médecin ORL, spécialisé dans l’exploration des vertiges et des troubles de l’équilibre de l’adulte, et des problèmes d’audition au Centre d’exploration fonctionnelle otoneurologique (Cefon) à Paris. " Beaucoup plus rares, il existe des acouphènes dits objectifs, qui sont le résultat d’un son réel, qu’il est possible d’identifier, d’entendre grâce à un stéthoscope. Le plus courant provenant de petites anomalies vasculaires proches de l’oreille que l’on peut traiter. " Vous l’aurez compris, ce sont les acouphènes subjectifs qui rendent la vie insupportable à nombre de personnes. On estime aujourd’hui qu’en France, plus de 8 millions de personnes souffrent d’acouphènes.
" Nous sommes incapables d’objectiver ces acouphènes subjectifs, poursuit Michel Kossowski. Le test auditif permet néanmoins d’analyser leur intensité. On s’aperçoit qu’elle se situe toujours en dessous de 15 ou 20 décibels (dB) par rapport au seuil d’audition. Dans 92 % des cas, elle s’échelonne entre 0 et 12 dB, même lorsque les patients nous disent subir un bruit de réacteurs d’avion dans la tête. Pour donner un ordre de grandeur, l’intensité sonore d’un bruit de fond classique avoisine les 25 dB. " Tout l’enjeu repose donc sur la façon dont les personnes vont gérer ce bruit. Certaines, conscientes du fait que la perception de l’acouphène peut varier selon la fatigue, le stress et le niveau de bruit ambiant, réussissent à en faire abstraction et à vivre avec. D’autres non. " L’objectif de la prise en charge est d’aider les patients à mieux les supporter. Si l’on peut en atténuer l’intensité, on essaye de le faire, mais cette part psychologique d’acceptation du symptôme est cruciale ", prévient Michel Kossowski. Quand le bruit persiste plus d’une journée, il ne faut pas hésiter à consulter, afin de ne pas laisser les acouphènes s’installer. Les personnes en souffrance qui ne peuvent en faire abstraction et qui consultent se verront proposer un bilan auditif, examen clinique servant à guider dans l’orientation du patient.
Sur la base de l’interrogatoire, de l’examen clinique, du bilan auditif et de la fréquence des acouphènes (aigus ou graves), le médecin va définir la prise en charge : " Au cabinet, nous proposons de la stimulation bimodale (sonore et électrique). Elle aide dans 60 % des cas. Les indications sont assez précises puisqu’il faut que les acouphènes ne soient pas trop anciens (moins de deux ans), ou alors anciens mais pour lesquels il y a eu une réactivation récente ", note Michel Kossowski. Concrètement, le patient porte un casque audio et écoute un son à la même fréquence que ses acouphènes. L’idée est que si l’on fait entendre le son déficitaire du fait de la perte auditive, le cerveau va être moins focalisé sur cette fréquence. À cela s’ajoute une stimulation électrique du nerf facial à l’aide d’un appareil de neurostimulation qui va jouer sur les interactions qu’il peut y avoir entre les systèmes musculaires, le nerf facial et les voies auditives. Ceci sur plusieurs séances régulières d’une demi-heure.
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" Je suis le premier maillon de la chaîne, souligne Michel Kossowski. À partir de mon bilan, je définis un parcours de soins pluridisciplinaire qui peut faire intervenir différents praticiens et membres de l’équipe. Je travaille avec des thérapeutes de l’Association francophone des équipes pluridisciplinaires en acouphénologie (Afrépa). " Le noyau dur de l’équipe située dans le XVe arrondissement de Paris est composé d’un ORL, d’un audioprothésiste, d’un psychologue ou d’un sophrologue. En fonction du bilan, peuvent aussi intervenir des ostéopathes, des dentistes, des neurologues, des psychiatres.

Les acouphènes, de par leur intensité ou leur survenue, sont intimement liés au niveau de stress et d’anxiété du sujet. L’anxiété majore les acouphènes. Sur ce constat, les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) vont agir sur les émotions, les aspects cognitifs et comportementaux. « Au niveau émotionnel, je vais proposer des stratégies pour diminuer l’anxiété à travers des exercices de respiration, de cohérence cardiaque ou de relaxation rapide », explique Jérôme Palazzolo, psychiatre spécialisé en psychopharmacologie et en TCC. Sur le plan cognitif, il s’agit de mettre au jour les pensées automatiques qui s’imposent au sujet. Enfin, sur l’aspect comportemental, le médecin amène la personne à tenter d’éviter certaines situations. Elle va s’apercevoir qu’elle a, en elle, la possibilité de lutter contre ses acouphènes.
" Dans la sophrologie, le patient est acteur de sa prise en charge, à la différence de nombreuses autres thérapeutiques. Le sophrologue donne une boîte à outils et le patient peut pratiquer quand et où il l’entend. Cela peut aider à s’endormir, à lutter contre le stress ", explique le Dr Kossowski. Jean-François Morel, administrateur chez France Acouphènes et responsable Nouvelle-Aquitaine en tant que bénévole de l’association, abonde dans ce sens : " On conseille la sophrologie parce que cela détourne l’attention du bruit de l’acouphène. Pour que cela ait un impact, il faut que les patients rentrent dans cette pratique, y soient perméables. L’hypnose et la relaxation peuvent aider aussi. En bref, tout ce qui peut faire baisser le stress fait baisser l’intensité des acouphènes. "
Patricia Grévin est sophrologue, formatrice et autrice. Ancienne acouphénique, elle s’est formée à la sophrologie et spécialisée dans les acouphènes. Elle travaille depuis des années en collaboration avec des médecins ORL : " Les acouphènes s’apparentent à un phénomène labile, fluctuant, parfois variable d’un mois à l’autre. Il n’y a pas toujours d’explication facile, et c’est ce qui est difficile à comprendre pour les patients. Même si ce que l’on sait, c’est que les acouphènes proviennent souvent d’une légère perte auditive. "
Dans une étude publiée en 2020, cosignée par trois médecins ORL et un sophrologue, Patricia Grévin développe son nouveau protocole de soin. Ce dernier est, pour elle, le résultat de nombreuses années passées en cabinet auprès de patients acouphéniques. " Il s’est structuré au fil du temps et a abouti à un protocole de six à huit séances sur une période de deux à quatre mois. " Également explicité dans son récent ouvrage Acouphène, un nouveau protocole de sophrologie pour les soulager, le protocole a été suivi par 140 patients dans le cadre de l’étude. L’effet des séances de sophrologie a été évalué par un questionnaire appelé Tinnitus Handicap Inventory (THI), auquel les patients ont répondu avant et après le traitement. Le protocole s’appuie sur des axes de travail multidimensionnels, souvent impliqués dans la perception d’acouphènes gênant voire invalidant les dimensions sensorielle, cognitive, émotionnelle et comportementale. Parmi les ressentis exprimés par les patients à la fin du suivi de l’accompagnement avec le protocole, la sophrologue cite notamment le fait de retrouver, à terme, une maîtrise du corps et de l’esprit, une action sur l’intensité de l’acouphène et sur sa perception dans le quotidien.

La première étape permet, en une séance, de recueillir les données cliniques du patient. Patricia Grévin, sophrologue : « Durant cette étape, on va écouter ce que je nomme la plainte du patient. Et puis on enchaîne par de petites méditations de pleine conscience utilisant le sonore. »
La deuxième étape, qui s’échelonne sur plusieurs séances, vise à amener le patient vers un état de profonde détente musculaire et mentale, tout en apprenant à se détacher des sons parasites.
Enfin, dans la troisième étape du protocole, toujours guidé par la voix du sophrologue vers un stade de transition entre veille et sommeil, le patient apprend à substituer aux sensations négatives induites par les acouphènes des sensations neutres ou agréables, qui pourront être ensuite associées à un geste précis, servant de « geste conditionné » ou « geste réflexe ».
Pour trouver un sophrologue appliquant le protocole mis en place par Patricia Grévin en France et dans les pays francophones, voici le lien vers le pôle Sophrologie et acouphènes, un réseau de plus de 200 sophrologues : https://www.pole-sophrologie-acouphenes.fr/ou-trouver-un-sophrologue
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Les tensions musculaires au niveau du cou peuvent aussi favoriser les acouphènes. Michel Kossowski : " Ces acouphènes sont fréquemment associés à des sensations de douleurs cervicales, de raideur du cou. Dans ce cas précis, un travail sur le cou avec un ostéopathe ou un chiropracteur peut être intéressant. " Certains acouphènes sont liés à des tensions au niveau des muscles de la mâchoire. Les personnes très stressées, qui grincent des dents la nuit (bruxisme) peuvent se voir proposer une gouttière de décharge par un occlusodontiste. Ce dispositif prothétique empêche les dents du haut d’entrer en contact avec celles du bas. L’ostéopathie de la mâchoire est également indiquée.

Après une anamnèse et un bilan énergétique, la naturopathe et praticienne en auriculothérapie Julie Chalet travaille les zones auriculaires en fonction de la cause des acouphènes. Concrètement, elle commence par un massage auriculaire au niveau de l’occiput et du pavillon externe de l’oreille pour détendre la zone. « Puis avec un détecteur (sorte de stylet de la taille d’un thermomètre), je mesure et confirme les points d’acupuncture en baisse de vitalité », précise-t-elle. Avec le même appareil, elle travaille la zone avec des microstimulations électriques (petites impulsions électriques de quelques secondes sur la zone). À la fin de la séance, elle pose les graines auriculaires de vaccaria, qui seront maintenues sous un petit sparadrap carré collé dans le pavillon pendant cinq jours.
Denis Alemi est chiropracteur, formé en neurologie fonctionnelle. Il travaille sur le système nerveux à travers le système musculosquelettique : " Parmi mes patients, la plupart viennent pour des migraines, des vertiges, et effectivement certains d’entre eux souffrent d’acouphènes. J’essaye de faire tout ce qui est possible. Dans la plupart des cas, les traitements aident mais pour certains, cela fonctionnera très bien, pour d’autres seulement très moyennement voire pas du tout. " Le praticien mise en général sur une combinaison de soins non invasifs. Il va employer des soins de chiropraxie pour travailler la proprioception (perception, consciente ou non, de la position des différentes parties du corps), stimuler l’information qui circule depuis les articulations et plus particulièrement la colonne cervicale et l’articulation temporo-mandibulaire (zone de jonction entre l’os temporal crânien et la mâchoire inférieure) vers le cerveau. En effet, des études ont démontré le lien entre les troubles mécaniques au niveau de ces articulations, les perturbations proprioceptives et les acouphènes. En pratique, cela consiste à réaliser des manipulations manuelles rapides sur les articulations au niveau de la colonne vertébrale.
Il propose, en outre, de la neurostimulation crânienne et/ou périphérique, y compris du nerf vague, qui diminue l’inflammation au niveau du système nerveux. " L’inflammation étant aussi un facteur de déclenchement d’acouphènes", précise Denis Alemi. Pour ce faire, il applique sur le patient des électrodes – dont l’emplacement varie selon l’examen –, et fait varier la fréquence de stimulation (également variable selon les patients).
Autre méthode employée par le chiropracteur : la photobiomodulation ou laser froid, de catégorie 2 ou 3, ou laser de bas niveau. Il s’agit d’un laser avec un embout spécifique pour pouvoir stimuler au niveau de l’oreille, dont la fréquence du rayon lumineux est de 660 ou 880 nanomètres selon les études. Le laser augmente le fonctionnement des mitochondries, organites cellulaires responsables de fournir aux cellules l’énergie dont elles ont besoin. " Le laser appliqué au niveau de l’oreille va augmenter l’activité des cellules nerveuses et donc envoyer plus d’informations vers le noyau cochléaire et puis vers le cortex pour pouvoir provoquer un changement ", détaille Denis Alemi. La stimulation transcrânienne à courant continu est un autre procédé que je teste. Il vise à stimuler les parties corticales devenues défaillantes et qui contribuent à la perception de l’acouphène. En combinaison à ces traitements, je suggère à mes patients d’augmenter leur prise de magnésium. Ce dernier pourrait aider à désensibiliser des parties du système nerveux devenues hypersensibles et donc aider à diminuer la perception de l’acouphène. " Dans ses soins, Denis Alemi intègre également la stimulation bimodale évoquée plus haut.
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Dans les moyens médicamenteux doux, on peut citer les antioxydants et les préparations à base de ginkgo biloba qui peuvent agir sur la microcirculation au niveau de l’oreille. " Il existe des traitements qui agissent sur les douleurs dites de déafférentation donc sur les douleurs fantômes, rapporte le Dr Michel Kossowski. Quand rien n’a d’effet et que les acouphènes conduisent à des situations de détresse profonde, les antidépresseurs, les antiépileptiques ou les anxiolytiques peuvent aider de façon ponctuelle. " On le comprend : souffrir d’acouphènes, c’est faire le deuil du silence, mais avant d’en arriver à ces extrémités, les méthodes non invasives décrites dans cet article méritent d’être testées…