Carole Minker
La baie d’épine-vinette (Berberis vulgaris), petit arbuste originaire d’Iran, est une épice courante dans la cuisine moyen-orientale, mais c’est sa racine que l’on utilise dans les médecines ayurvédique et chinoise depuis au moins trois millénaires. Son principe actif majeur est la berbérine, un alcaloïde que l’on retrouve dans d’autres arbustes du genre Berberis (Berberis aristata), mais aussi dans l’hydraste du Canada (Hydrastis canadensis) ou dans le coptide chinois (Coptis chinensis) (1).
Anti-inflammatoire, modulatrice immunitaire, anticancéreuse, antimicrobienne, analgésique et antidiabétique (parmi bien d’autres propriétés), la berbérine apparaît comme une réelle panacée (2, 3). Même si elle semble prometteuse dans de nombreux domaines (voir encadré ci-dessous), elle a déjà fait ses preuves dans deux d’entre eux.
D’une part, elle influence le métabolisme des lipides, en réduisant notamment les hyperlipidémies et en améliorant les symptômes du syndrome métabolique. Chez les patients atteints d'hypercholestérolémie, la berbérine peut réduire le cholestérol LDL de 25 % et les triglycérides de 35 %. Des méta-analyses ont confirmé ces résultats, indiquant que la berbérine, seule ou associée à d'autres composés comme la silymarine du chardon-marie, peut réduire efficacement les niveaux de cholestérol. Son mode d'action est différent des médicaments de type statine (4).
Dans le domaine du métabolisme des sucres et du diabète (types 1 et 2), la berbérine abaisse la glycémie lorsqu’elle est trop élevée et diminue la résistance à l’insuline (qui peut être liée à l’obésité).
Dans l’intestin, la berbérine réduit l’absorption du glucose par interférence avec le microbiote, ce qui contribue aussi à réduire l’incidence des complications diabétiques (6). Chez l’animal, elle est même capable de restaurer la perméabilité membranaire intestinale, qu’elle soit liée à un diabète de type 2 (l’hyperglycémie chronique dégradant la barrière intestinale) ou à d’autres pathologies (7, 8).
Au-delà de cette propriété antidiabétique par son action sur le pancréas, la berbérine protège les cellules de cet organe. Il est surprenant de lire ici ou là que la berbèrine serait un danger pour le pancréas, alors que diverses études in vitro et in vivo suggèrent au contraire qu'elle protège et régénère les cellules β pancréatiques, réduit le stress oxydatif et l'inflammation au sein l'organe, et pourrait même atténuer la sévérité des pancréatites aigües ou chroniques. (5, 9, 10)
Active également dans le domaine cardiovasculaire, elle a montré chez l’homme une capacité à réduire l’hypertension et à atténuer les arythmies cardiaques (11).

La berbérine peut aider à la perte de poids par plusieurs mécanismes : elle améliore la composition du microbiote intestinal, agit sur les gènes responsables du métabolisme des graisses et active une enzyme clé (AMPK) qui régule l'énergie et le glucose. Si des méta-analyses montrent qu'elle réduit da manière significative l'IMC et le tour de taille, son effet global sur le poids est moins prononcé. Les études cliniques sur l'humain montrent donc un effet modéré sur la perte de poids, mais qui reste néanmoins intéressant puisqu'il est associé à une amélioration notable des paramètres de santé associés à l'obesité (syndrome métabolique, profil glucidique et lipdique, etc). (12)
L’autre domaine où l’intérêt de l’utilisation de la berbérine est avéré, c’est la lutte contre tout type d’infection microbienne, des bactéries aux parasites, en passant par les virus et les champignons. On la plébiscite surtout en soutien contre des infections résistantes aux traitements conventionnels, notamment bactériennes : staphylocoque doré, Escherichia coli , et même les Borrelia causant la maladie de Lyme (13) ! Elle est même capable de sensibiliser certains biofilms microbiens (structures constituées de bactéries et/ou de levures associées entre elles, comme diverses espèces de Candida) aux traitements antibiotiques ou antifongiques auxquels ils peuvent être résistants (14, 15). En ce qui concerne les virus, la berbérine s’est montrée prometteuse pour diminuer la virulence du VIH ou prendre en charge le COVID-19 sévère grâce à son effet antiviral, mais aussi à ses propriétés anti-inflammatoires et antioxydantes (16).
De par sa multitude de cibles dans l’organisme, la berbérine soulève de grands espoirs dans de nombreux domaines. Dans la sphère neurologique, on l’envisage pour la prise en charge des maladies d’Alzheimer et de Parkinson, mais aussi pour celle de la dépression, de l’anxiété et de la schizophrénie (17). En cancérologie, elle réduit la prolifération de certaines cellules cancéreuses, leur capacité à créer de nouveaux vaisseaux sanguins pour se nourrir, elle les oblige à se suicider (apoptose), tout en les sensibilisant à certains traitements de chimiothérapie et en retardant la fabrication de métastases (18). La santé de la femme n’est pas en reste, tant pour accompagner le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK), améliorant les taux de grossesse après une fécondation in vitro, l’endométriose ou la périménopause (19-21).
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Si certains en appellent à la prudence dans l’usage de la berbérine, ce n’est pas du fait de sa toxicité mais plutôt de sa grande efficacité qui lui vaut un statut de quasi-médicament (voir ci-dessous) : en effet, d’après les études, elle ne démontre qu’une faible toxicité envers les cellules saines et protègerait même certains organes (reins, foie, cœur, cerveau...) contre l’action nocive de molécules toxiques du fait de son caractère antioxydant (22) d’après des études précliniques sur des animaux. Notons également que l’absorption de la berbérine par voie orale est très faible (moins d’1 % de la dose ingérée).
D’après le rapport de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) publié en 2019, la berbérine ne devrait pas être vendue aux doses actuellement proposées dans le commerce sans en changer le statut, car elle agit comme un médicament, et non pas comme un complément alimentaire. Celui-ci pointe aussi le fait que les doses toxiques pour l’homme ne sont actuellement pas connues. D’après l’Agence, on devrait tendre vers une dose de 0,1 mg/jour au maximum pour un adulte de 60 kg. On est bien loin des doses présentes dans les compléments alimentaires ! Et pourtant, les cas d’effets indésirables déclarés aux services de nutrivigilance et pharmacovigilance en France entre 2009 et 2018 se comptent sur les doigts d’une main, et aucun cas n’a été rapporté dans les autres pays d’Europe consultés...
Comme l’explique l’Anses (voir encadré règlementation ci-dessus) ses multiples actions préventives ou curatives placent par définition la berbérine dans la catégorie des médicaments, pour des doses égales ou supérieures à 400 mg/jour (mais une action pharmacologique à des doses inférieures n’est pas exclue). Or, actuellement, la berbérine est vendue en France comme complément alimentaire. Aucune dose maximale pour la berbérine en tant que complément alimentaire n’a été fixée pour le moment dans le pays. Mais cela pourrait peut-être changer dans le futur...
Au contraire d’un médicament ayant obtenu une AMM (autorisation de mise sur le marché), un complément alimentaire ne peut pas, d’après sa définition règlementaire, avoir d’action pharmacologique, mais seulement compléter un régime alimentaire normal, avec un effet nutritionnel ou physiologique, et ne peut pas bénéficier d’allégations santé.
En France, la berbérine est disponible sous forme de complément alimentaire (gélules ou comprimés), extraite et purifiée à partir de diverses sources végétales ou associée à d’autres plantes ou extraits de plantes (23).
La berbérine a une toxicité très faible aux doses utilisées dans les études scientifiques (500mg à 1,5g) et des bénéfices cliniques sans effet indésirable majeur ni toxicité rénale, hépatique ou pancréatique (24-29). D’après la littérature scientifique, les effets secondaires les plus fréquents (gastro-intestinaux) sont bénins et commenceraient à apparaître à des doses entre 600 et 900 mg/jour.
La dose généralement conseillée par les fabricants est comprise entre 150 et 500 mg par jour, pendant 14 jours à plusieurs mois. Ces doses sont comparables ou inferieures à celles utilisées dans les études cliniques ayant démontré une activité pharmacologique significative : en moyenne 500 mg à 1,5 g de berbérine par jour pendant 3 mois, en deux ou trois prises.
L’utilisation de berbérine est déconseillée aux femmes enceintes et allaitantes ainsi qu’aux enfants et aux adolescents par manque de données. L’Anses la déconseille également aux personnes diabétiques et à celles présentant des troubles hépatiques ou cardiaques, qui sont justement un public cible des compléments alimentaires à base de berbérine... Ce qui peut sembler paradoxal d’un point de vue médical, car la molécule est efficace, est cohérent d’un point de vue règlementaire pour les autorités de santé, car les compléments alimentaires ne sont pas censés avoir d’effet pharmacologique…
Le plus important est de rester très vigilant pour éviter les interactions en cas de prise simultanée de médicaments à faible marge thérapeutique (c’est-à-dire pour lesquels un faible changement de dosage modifie l’efficacité ou la toxicité) car la berbérine peut interférer l’absorption de certains médicaments.
Les médicaments à faible marge thérapeutique les plus répandus sont notamment :
Évitez en outre de choisir des compléments alimentaires comprenant de multiples plantes et/ou des extraits ne permettant pas d’évaluer la dose exacte de berbérine ingérée.
Demandez conseil à votre médecin ou pharmacien si vous suivez un quelconque autre traitement. La prise de berbérine ne devrait pas se faire en automédication, mais sous la responsabilité d’un médecin ou d’un professionnel de santé.