Laëtitia Kermarrec
Il y a une quarantaine d’années, l’appendicectomie systématique prédominait. Cette opération était devenue l’une des interventions chirurgicales les plus communes dans le monde. On parlait d’environ 300 000 appendicectomies par an dans les années 1980-1990 en France, alors qu’aujourd’hui on en dénombre 60 000.
Cette intervention était pratiquée par crainte que l’appendicite – inflammation et/ou infection aiguë du petit organe –, ne s’aggrave en péritonite (inflammation du péritoine) ou en abcès. Une aggravation qui met alors en jeu le pronostic vital du patient car elle peut évoluer vers une septicémie (infection du sang par des bactéries). Les taux de mortalité et de morbidité de l’appendicite aiguë étaient de fait assez élevés.
Par ailleurs, le rôle de ce " détail anatomique " n’était pas encore bien compris, lui qui avait autrefois été décrit comme un vestige de notre évolution par Darwin. Il ne semblait donc pas très important de le garder.
Plus tard, à force d’observations, on a pensé que l’appendice était peut-être un réservoir à bactéries pathogènes, pouvant déclencher des infections et une crise d’appendicite. À l’appui de cette hypothèse, le fait que l’appendicite soit plus fréquente dans les pays occidentaux où il y a une forte consommation de nourriture industrielle, dépourvue de fibres alimentaires.
En effet, en plus de priver les bonnes bactéries de leur substrat, l’absence de fibres alimentaires ralentit le transit intestinal et peut provoquer l’obstruction de l’appendice par des bouts d’alimentation. Ce qui bloque son approvisionnement en sang et peut entraîner une inflammation… L’hypothèse du réservoir à mauvaises bactéries semblait donc bien se tenir.
L’ablation de l’appendice provoque des perturbations du microbiote intestinal1. Or ce dernier a un impact sur les fonctions physiologiques des cellules épithéliales de l’intestin (prolifération, différenciation) et sur l’immunité intestinale. Des études ont alors suggéré que de telles perturbations pouvaient conduire à un échec de la régulation immunitaire intestinale, d’où découleraient une tumorigenèse [progression qui englobe toutes les étapes menant à la formation des tumeurs, NDLR] et éventuellement un cancer colorectal2. Raison de plus pour garder son appendice !
Mais, s’il est vrai que la faible teneur en fibres alimentaires dans l’alimentation constitue un facteur prédictif d’appendicite chez l’adulte comme chez l’enfant, des études plus récentes sont cependant venues bousculer l’hypothèse du réservoir à mauvaises bactéries.
D’une part, le développement de l’imagerie moderne par échographie ou scanner au milieu des années 1990 a contribué à repenser la chirurgie systématique, car on a pu sélectionner un peu mieux les patients qui nécessitent vraiment un passage au bloc opératoire. D’autre part, ces techniques ont forcé l’observation au fil des années : on s’est aperçu que les personnes opérées se remettaient moins facilement d’infections à bactéries pathogènes, voire en développaient davantage. Par exemple, les infections par la très mauvaise bactérie Clostridium difficile étaient plus nombreuses chez les personnes n’ayant plus d’appendice.
Des chercheurs ont donc approfondi la question et ont découvert qu’en réalité l’appendice serait un réservoir à bonnes bactéries, une "maison sûre" pour les bactéries intestinales bénéfiques dont nous disposons. La paroi de ce petit organe allongé, constituée de fibres musculaires, se contracterait régulièrement, permettant l’évacuation de ces bactéries. Ce qui aiderait à la recolonisation des intestins après une maladie ou une diarrhée par exemple.
En plus de cette fonction, l’appendice est un tissu lymphoïde qui abrite des globules blancs pour aider le système immunitaire à combattre tout élément nuisible dans l’intestin.
L’appendice aiderait donc notre intestin de deux façons : à la fois en combattant les agents pathogènes envahisseurs, mais aussi en repeuplant l’intestin de bactéries bénéfiques après des problèmes gastro-intestinaux.
La balance penche donc aujourd’hui en faveur d’un rôle bénéfique de l’appendice mais à condition d’avoir une alimentation équilibrée, et notamment riche en fibres. En outre, les récentes découvertes évoquées ici bousculent l’approche médicale vis-à-vis des appendicites chez l’adulte qui est devenue plus nuancée et distingue désormais la forme non compliquée, traitée par antibiothérapie intraveineuse à l’hôpital, de la forme compliquée qui nécessite l’ablation. Chez l’enfant, en revanche, on privilégie l’ablation en cas de crise, par mesure de sécurité.