Laëtitia Kermarrec
La stimulation magnétique transcrânienne répétitive (rTMS) consiste à appliquer des champs électromagnétiques de faible intensité de façon répétée sur le crâne du patient grâce à une bobine placée au niveau de régions précises du cerveau pour en moduler l’activité. Cela permettrait d’établir des inférences causales sur les relations entre cerveau et comportement. Pour décrocher de la cigarette, les ondes électromagnétiques sont appliquées sur des régions impliquées dans l’addiction. Si les résultats semblent prometteurs, il est encore tôt pour confirmer l’efficacité de la technique dans ce cas de figure.
Depuis qu’elle existe, la technique, non invasive, a toutefois prouvé son efficacité dans le traitement des affections neurologiques et psychiatriques1. En témoigne son utilisation dans des centres hospitaliers connus, comme le 15-20 – l’hôpital national de la vision –, à Paris, où on peut lire que " cette nouvelle technique (TMS répétitive), par ses effets à plus ou moins long terme sur le fonctionnement de certains circuits cérébraux, peut être mise à profit pour traiter certains symptômes dans différentes pathologies comme : dépression pharmacorésistante, troubles obsessionnels compulsifs, troubles moteurs (maladie de Parkinson), douleurs chroniques (neuropathies), acouphènes ".
Anne Sauvaget, professeure des universités en psychiatrie à Nantes, travaille sur le sujet depuis presque vingt ans. C’est face à des cas complexes de patients pharmacorésistants et intolérants, ou présentant une combinaison de pathologies, qu’elle s’est intéressée aux diverses techniques de neuromodulation, dont la rTMS.
Si la pratique de rTMS a été adoptée par les centres hospitaliers et les laboratoires, la taille et le volume des appareils ne permettent pas une utilisation à domicile. Or, les protocoles exigent plusieurs séances par semaine, ce qui peut s’avérer contraignant pour les patients. De nombreuses recherches dans les années 2010 ont donc consisté à en faire une version portative.
On pense à Halo Neuroscience, une start-up fondée dans la Silicon Valley par des anciens de Stanford associés à l’ex-champion olympique Michael Johnson, ayant conçu un casque d’électrodes destiné aux sportifs en vue d’améliorer leurs performances (cortex moteur) ; ou encore Foc.us, une des premières entreprises visant un public plus large pour stimuler leurs fonctions cognitives " supérieures " (cortex préfrontal). De même que Feelmore Labs, créé par des anciens de la Harvard Medical School et du MIT.
Cette version portative, c’est la tDCS. Mais peut-elle être comparée à la rTMS ? Pour Anne Sauvaget, " la tDCS n’est pas tout à fait la miniaturisation de la rTMS, car les deux méthodes n’ont pas le même mécanisme d’action, même si elles font partie de la même famille ". En effet, les deux vont stimuler ou inhiber certaines zones du cerveau, mais si la première produit des impulsions électromagnétiques de 1 à 2,5 Tesla grâce à une bobine (30-125 mm) qui change transitoirement le courant des neurones dans le cerveau ; la deuxième génère, elle, un petit courant électrique continu moins puissant, d’environ 2 milliampères (mA), sans déclencher de potentiel d’action direct des neurones.
Une autre différence notable soulevée par la psychiatre concerne la précision des techniques. Elle compare la rTMS à une pomme d’arrosoir apposée sur le crâne du patient et la tDCS à un tuyau le traversant : " La rTMS cible une zone bien précise du cerveau d’environ 1,5 cm de rayon, elle est plus focalisée. Tandis que la tDCS se résume à un courant qui va traverser le cerveau entre deux points, une anode et une cathode de 25 cm2, placés à deux endroits différents du crâne du patient. La zone stimulée est plus diffuse, distribuée plus largement sur 5 à 7 cm de rayon. "
La science-fiction en a rêvé : développer des techniques qui nous permettent d’utiliser le plein potentiel de notre cerveau. Des études ont montré que dix minutes de stimulation continue sur une zone du cerveau contrôlant la contraction des muscles en amont d’un exercice de pédalage augmentait l’endurance des sujets de 23 %. D’autres scientifiques ont testé l’impact de la stimulation transcrânienne à courant alternatif sur des tâches d’apprentissage et de maîtrise de soi. Le courant était appliqué pendant vingt minutes au niveau de la zone du cerveau impliquée dans la correction des erreurs (cortex frontal médian) et celle de la prise de décision et d’action (préfrontal latéral) des participants. Ces derniers apprenaient alors plus vite, commettaient moins d’erreurs et étaient plus rapides à les corriger lorsqu’ils en faisaient.
L’efficacité des équipements tDCS destinés aux particuliers reste discutée par la communauté scientifique. Une étude menée en 2018 avait montré des résultats décevants. Les participants avaient pour intention de traiter leur dépression ou d’accroître leurs facultés cognitives, et notamment leur capacité de concentration. Mais plus de la moitié des utilisateurs se sont dits déçus des résultats et un tiers d’entre eux ont interrompu l’étude du fait du manque d’efficacité. Ce qui suggérait une différence de performance entre la rTMS et la tDCS.
Une étude plus récente a cependant mis en avant des résultats cliniques prometteurs de la stimulation transcrânienne de type tDCS sur des troubles d’ordre neurologiques et psychiatriques, avec une recommandation de niveau A (preuve scientifique établie) pour la dépression majeure et de niveau B (présomption scientifique) pour la douleur, la maladie de Parkinson (fonction motrice et cognition), les accidents vasculaires cérébraux (AVC ; fonction motrice et langage), l’épilepsie, les troubles obsessionnels compulsifs, le syndrome de Gilles de la Tourette, la schizophrénie ou les addictions. L’ampleur et la durée des effets seraient toutefois limitées et de nouvelles études seraient nécessaires pour les déterminer.
S’appuyant sur ces résultats, d’autres entreprises proposent des appareils de tDCS, telles Sooma, créée par des ingénieurs en neuromodulation pour le " traitement à domicile efficace contre la dépression et la douleur chronique ". Laetitia Natalini, responsable des grands comptes France de la société, ajoute que d’autres travaux sont en cours dans les hôpitaux qui utilisent la technique de façon à confirmer les résultats de la dernière étude et affiner les protocoles d’utilisation : " Pour les douleurs chroniques, la stimulation se fait du lundi au vendredi à raison de vingt minutes par jour. Pour la dépression, c’est aussi tous les jours, trente minutes par jour, mais sur des zones de stimulation différentes. Le traitement dure au moins trois à quatre semaines. "
Pour elle, les différences observées chez les patients peuvent provenir du fait que " chacun est différent et tout ne marche pas pour tout le monde ". En opposition à une grippe, qui peut se soigner avec des traitements chimiques, la dépression comprend une part psychologique qui est " plus difficile à cibler ". Combinée à des antidépresseurs (ou non), un traitement électrique comme la tDCS et/ou la rTMS pourrait donc être une bonne solution thérapeutique pour certains patients. En outre, la responsable souligne l’importance de la provenance de l’appareil utilisé pour assurer son efficience.
Les émotions aussi sont concernées par cette stimulation : des scientifiques ont stimulé des sujets au niveau du cortex auditif (préfrontal dorsolatéral) alors qu’ils écoutaient de la musique. Cette zone est directement connectée au circuit de la récompense et du plaisir (striatum). Tous les sujets stimulés ont davantage apprécié les morceaux de musique écoutés, qu’ils aient choisi les titres de musique ou non. Si on ne comprend pas encore tout à fait comment cela fonctionne, il se pourrait que l’augmentation de ces capacités soit en lien avec une meilleure connectivité entre des régions éloignées du cerveau, par synchronisation des oscillations cérébrales. De quoi imaginer un futur où nous aurons tous un casque de stimulation transcrânienne à la maison ?
En effet, on trouve pléthore d’appareils de stimulation transcrânienne sur Internet, et il faut apprendre à identifier les " bons ". Anne Sauvaget indique que " si on applique un produit de santé à un trouble, il est très réglementé. Il faut surveiller la qualité du produit, comme on le fait pour un médicament ". Il est donc indispensable que l’appareil porte le marquage " CE " de conformité2.
" Certains vendeurs proposent des produits de neurostimulation en vente libre, ça veut dire qu’on peut acheter un appareil non efficace, voire dangereux ", précise la psychiatre. Les effets négatifs peuvent être des brûlures sur la peau, des troubles de l’attention, de la mémoire ou des capacités de décision. Les produits CE sont plus sûrs3 : " Les machines homologuées sont souvent bridées, par exemple à une séance par jour, comme ça, on est sûr que le patient ne peut pas trop l’utiliser. Il peut aussi joindre le médecin quand il le souhaite. Une fois la cure terminée, il vient restituer la machine et un bilan est fait. "
" On a des patients qui ne se plaignent de rien, d’autres d’avoir un peu mal à la tête […] S’il y a des sensations de picotements ou de brûlure lors de la stimulation, on arrête. Mais globalement, c’est une technique qui n’expose pas le patient à de gros risques. C’est donc intéressant car on a un impact positif sur la maladie avec très peu d’effets secondaires, bien moins qu’avec les médicaments. " Une technique prometteuse donc, mais pas encore remboursée par la sécurité sociale : " Le but c’est qu’un jour, en France, la machine puisse être prêtée ou remboursée ", précise la professeure, comme ça l’est déjà dans certains pays d’Europe. D’autant que la technique offre des pistes pour traiter d’autres maladies (trouble anxieux, stress post-traumatique, hallucination, hyperactivité, impulsivité)… " Tout ce qui concerne le cerveau sera à l’avenir une cible thérapeutique potentielle de neurostimulation ", conclut la psychiatre. ◆