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"L’efficacité des compléments alimentaires doit être optimale"

Docteur en cancérologie, Frédéric Denis souhaite, à travers la publication de son récent ouvrage* qui regorge de pistes de réflexion et de points de vigilance, éclairer les consommateurs de compléments alimentaires. Il cherche à leur permettre de choisir, en bonne intelligence, des produits qui auront réellement un impact positif.

Élise Kuntzelmann

Qu’est-ce qui, dans votre parcours, vous a orienté vers les compléments alimentaires ?

Lorsque je travaillais sur la leucémie à l’Inserm, il s’agissait surtout de recherche fondamentale, assez éloignée du terrain. J’ai voulu me rapprocher d’applications rapides et concrètes pour des personnes en ayant réellement besoin. Cela fait quinze ans que je suis dans la nutraceutique [mot fabriqué à partir des termes anglais nutrient et pharmaceutical, et désignant l’industrie des compléments alimentaires, NDLR]. Mon cœur de métier est la recherche et le développement. Je me consacre, entre autres, à la mise au point de procédés visant à augmenter l’assimilation d’actifs, sur la base de modèles cellulaires reconstitués in vitro et qui miment l’absorption intestinale. J’ai trouvé dans la nutraceutique la possibilité de développer des solutions intéressantes tant au niveau de la prévention que du traitement, souvent pour des personnes n’ayant pas ou peu obtenu de résultats avec la médecine allopathique. 70 à 80 % de la pharmacopée actuelle découlent de la nature. Elle a de nombreuses choses à nous offrir ; il serait dommage de ne pas s’y intéresser.

Pourquoi avoir consacré un livre à ces compléments ?

Trop de croyances circulent sur cette question. Je souhaitais réinjecter de la science dans le débat en fournissant des éléments factuels vérifiables aux détracteurs des compléments alimentaires, qui critiquent, à juste titre parfois, l’excès de marketing et le déficit de science. Et dans le cadre des formations que je donne aux praticiens de santé – kinésithérapeutes, ostéopathes, médecins, chirurgiens –, une des questions récurrentes est de savoir comment, dans cette jungle de compléments, faire le bon choix et identifier les laboratoires sérieux. J’espère, à travers ce livre, avoir donné des clés pour y répondre.

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Quels sont les principaux enjeux liés à ces produits ?

Je suis un peu atterré lorsque j’entends des consommateurs déclarer que la prise de compléments alimentaires ne leur a « pas fait de mal ». Il ne s’agit pas de placebos. Il faut que les personnes en tirent un bénéfice ! L’efficacité doit être optimale et démontrée, la synergie entre les principes actifs également. Et ceci passe par des essais cliniques sur les produits vendus. Il peut y avoir des synergies mais aussi des antagonismes entre actifs. Ce n’est pas parce que vous prenez quatre roues, un moteur et une carrosserie que vous obtenez une Ferrari. Vous pouvez tomber sur une voiture low cost. Un certain nombre d’acteurs intègrent ce marché en étant plus intéressés par le portefeuille des clients que par leur santé. Ils seraient avisés d’investir dans des analyses poussées et d’appliquer une politique rigoureuse de sélection de leurs matières premières. C’est le seul moyen d’éviter les scandales sanitaires tel que celui lié à l’oxyde d’éthylène1 qui a, en 2021, touché l’agroalimentaire mais aussi les compléments alimentaires.

Quels sont les problèmes liés à la fabrication ?

La recherche des coûts les plus optimisés est une constante. Le fabricant réalise sa marge sur le prix bas des matières ainsi que sur les prestations annexes (impression des étiquettes et étuis). Cela n’incite pas à aller vers la qualité mais vers la recherche de volumes importants pour les actifs afin d’avoir des tarifs compétitifs. Certains fournisseurs d’ingrédients m’ont avoué avoir toutes les difficultés à proposer leurs actifs à certains fabricants, car ils sont souvent bien plus chers que les ingrédients basiques en provenance de pays pratiquant de bas coûts. Au cours de la vie des compléments alimentaires issus d’offres full service2, il n’est pas rare qu’un ingrédient soit remplacé par un autre, le fabricant ayant trouvé moins cher auprès d’un autre fournisseur que celui prévu. Bien souvent, le laboratoire client est mis devant le fait accompli (ou n’est pas prévenu). C’est l’un des risques de ne pas s’occuper soi-même du sourcing3 et des achats de ses ingrédients.

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Comment savoir si le labo a la maîtrise de toutes les étapes ?

Le consommateur doit donner sa préférence aux rares acteurs du secteur qui réalisent en interne les étapes de recherche (mise au point, études), de formulation, de développement de nouveaux compléments alimentaires et de sourcing des matières premières. Seule la partie façonnage peut être éventuellement confiée à un prestataire certifié. Pour ces laboratoires, déléguer la mise au point, la qualité et la traçabilité de leurs produits à d’autres est une prise de risque. Leur degré d’exigence nécessite néanmoins d’avoir le personnel qualifié en interne pour mener à bien ces missions. Posez ces questions aux laboratoires et privilégiez ceux qui gardent la maîtrise de la chaîne à toutes les étapes, de la conception de leurs formules à la vente en direct de leurs produits finis. J’ajouterai que, comme les grands chefs cuisiniers qui ne proposent que quelques plats à leur menu, les bons laboratoires ne proposent en général pas un vaste catalogue de produits. Ils vendent une gamme restreinte de produits bien conçus. Intéressez-vous à ces laboratoires.

Quelles sont les contraintes réglementaires encadrant la commercialisation en France ?

Il y en a beaucoup. Certains acteurs ont échaudé les autorités qui ont musclé les exigences scientifiques et imposé le règlement sur les allégations de santé. Celui-ci est censé éviter le marketing à outrance. Cela devait être à l’origine un texte tout à fait intéressant, augmentant les informations données aux consommateurs. In fine, il a plutôt conduit à un nivellement vers le bas de tout ce qui peut être déclaré sur des compléments. Certaines affirmations sont pour le moins simplistes : « La vitamine C contribue à diminuer la fatigue » ou encore « L’eau contribue au maintien de la régulation normale de la température du corps » sont des exemples parmi d’autres. Nous n’avons pas pu échapper non plus aux assertions sur la santé des dents avec des alternatives au sucre utilisées dans des chewing-gums. En bref, à part les lobbys, personne n’a eu gain de cause concernant des allégations de santé sur des extraits de plantes. Cela représente tout de même la majorité des produits vendus.

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Ces allégations n’étaient-elles pas nécessaires ?

Si ! Et s’il fallait, certes, stopper la communication à outrance autour des compléments, on est passés de tout à quasi rien, et les consommateurs sont perdus. En ajoutant de la vitamine C à un produit contenant des extraits de plantes efficaces, l’allégation ne peut concerner que la vitamine C. Or, on sait que celle-ci ne délivre pas, à elle seule, tous les bienfaits d’un produit. Certains fabricants m’ont confié avoir conduit des études cliniques sur leurs extraits de plantes et avoir été contraints d’ajouter des vitamines ou des minéraux dans le but de commercialiser plus facilement leur produit. Les études montrant des résultats intéressants n’ont pourtant été menées que sur la partie « extraits de plantes » et non sur leur association avec des vitamines ou des minéraux.

Comment cela se passe-t-il en dehors de la France ?

Au Canada, il existe, en plus du volet aliments et médicament, un pôle « produits de santé naturelle ». Les allégations possibles requièrent un dossier scientifique sur l’ingrédient. En Europe, soit le produit figure dans la catégorie « aliments », tels les compléments alimentaires, soit dans la catégorie médicaments. Le complément étant généralement un produit sec, il est beaucoup plus facile de le conserver, de l’échantillonner et donc de lui trouver des défauts, à la différence de produits frais vendus sur l’étal. Ces derniers sont pourtant parfois plus chargés en contaminants ; je pense par exemple aux crevettes. Les compléments alimentaires font quasiment l’objet des mêmes contraintes que les médicaments, alors qu’en même temps, il est impossible d’alléguer davantage qu’un simple aliment. C’est un peu paradoxal…

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