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"Le but n’est pas de soigner le malade mais de répondre à des normes."

Médecin généraliste, Philippe Baudon n’a rien contre les hôpitaux, ni les laboratoires. Son livre n’est pas un pamphlet de plus contre un système de santé abimé par la finance. Dans Le protocole de l’interdit, il rend la parole aux malades du cancer et à leurs familles, parfois réduits au rôle de cobayes dans des services à la pointe de l’oncologie. On y découvre le contrat derrière le soin, et des dommages humains parfois tolérés au nom de la recherche.

Lucile de la Reberdiere

Vous dites que le diagnostic d’un cancer ne devrait jamais être annoncé sans préparation psychologique. La psychologie fait-elle vraiment la différence face à une maladie grave ?

Une étude américaine, menée l’année dernière, a montré que oui. On a pris deux catégories de patients identiques. Aux premiers, on a proposé de l’eau, une couverture s’ils avaient froid. Aux autres, on a assigné un numéro de lit, en passant les voir le moins souvent possible. On s’est aperçu que l’état du groupe numéro un s’améliorait 20 % plus vite. Ils pouvaient sortir au bout de quelques jours, contre dix pour les autres. Oui, la psychologie du personnel soignant est réellement un médicament.

D’ailleurs, vous proposez de supprimer l’utilisation du mot « cancer ».

Il y a une puissance négative dans ce mot qui est inacceptable. La personne, quand elle l’entend, elle s’écroule. C’est ce que dit Michel Onfray : quand on annonce à quelqu’un qu’il va mourir, on le tue deux fois. Il faudrait dire :« Vous avez une pathologie et on va s’en sortir ». Cependant, si vous ne dites pas au patient qu’il a un cancer alors qu’il en a un, il peut vous attaquer. Cela n’empêche pas le soin porté à l’annonce, la rendre moins agressive, considérer le système d’autodéfense du patient et dire cancer sans le dire.

Si les médecins étaient davantage dans l’émotionnel, ne risqueraient-ils pas de perdre leur faculté de prise de décision rationnelle ? Or c’est précisément cette capacité à trouver des solutions que la société attend de la médecine moderne.

Le problème est que face à un cancer, les hospitaliers traitent des données. Comme pour le Covid avec ce vaccin : on traite en fonction de résultats obtenus à des tests antérieurs. Le médecin est devenu un robot différé. Depuis une vingtaine d’années, on a mis les gens dans des cases et on traite les cases. Ce qui est sûr, c’est qu’on soulage mais qu’on ne guérit pas. Il y a peut-être une formation de psychologie à donner aux jeunes médecins qui ne sont pas du tout formés à la ­bienveillance. Le médecin généraliste est le praticien de proximité, celui qu’on a choisi, avec qui on se sent en confiance. Mais le médecin hospitalier ne connaît pas le malade et n’a pas besoin d’être particulièrement gentil. On ne peut pas faire n’importe quoi et banaliser la sensibilité humaine à l’aide de protocoles, de procédures et d’algorithmes. Ce n’est plus de la médecine.

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Vous évoquez l’idée de contrôleurs dans l’hôpital…

C’est une pirouette, évidemment, car je ne vois pas comment un contrôleur pourrait passer derrière chaque médecin, chaque patron. Mais il y aurait des réglementations à mettre en place. Pourquoi le personnel soignant est débordé, stressé ? Parce que des traitements aberrants ont été validés dans le cadre de protocoles et qu’ils conduisent à des effets secondaires qui vont demander une suractivité de soins. Quand les médecins font des bêtises, qui répare ? Les infirmiers et les infirmières.

De quelles bêtises parlez-vous ?

Je rapporte le cas d’un malade qui fait une hémorragie. Il est bien noté dans le protocole qu’en cas d’hémorragie, celui-ci  doit être interrompu définitivement. Pourtant, il sera repris six mois plus tard et tuera le patient. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’un protocole interrompu est un protocole qui n’est pas rémunéré. Donnez un comprimé d’aspirine à un patient qui se plaint de maux de tête dans le cadre de son traitement et vous changez le protocole. Oui, vous améliorez son état mais son cas sera rejeté de l’expérimentation, et le médecin aura travaillé pour rien. Ici le but n’est pas de soigner le malade mais de répondre à des normes techniques qui correspondent à des prescriptions.

Pourquoi le général l’emporte sur le particulier ?

Quand un labo développe une molécule qu’il aimerait bien vendre, il ne peut pas d’emblée la commercialiser sans qu’elle ait été validée par des études pour bénéficier d’une autorisation de mise sur le marché, être remboursable et agréée par les autorités sanitaires. L’hôpital devient alors un vivier. Il a besoin de personnes, malades ou bien portantes, qui acceptent de recevoir un traitement. Mais le patient, on ne lui explique pas toujours, ou pas toujours bien, que le traitement est ­expérimental. L’Avastin, par exemple, est un médicament qui ne possède pas encore d’AMM [Ndlr : autorisation de mise sur le marché] sur certaines indications, mais on le donne quand même, parce que quand un protocole exige un certain nombre de cas, tant que ce nombre n’est pas atteint, le protocole ne rapporte rien.

C’est-à-dire ?

Les avantages offerts aux praticiens de santé sont interdits depuis 2017 donc il a bien fallu trouver des parades. Cela peut être un virement bancaire auprès de l’association de médecins qui prend en charge l’étude en question, et qui va rémunérer les médecins sous forme de cadeaux, comme le défraiement d’un voyage pour une conférence ou un appareil d’échographie.

Pourquoi patients et familles subissent ?

C’est la délicate question du consentement éclairé. Quand il arrive, le patient signe un document pour pouvoir être pris en charge. On le rassure, lui explique que c’est simplement administratif et s’il ne signe pas, on lui fait comprendre qu’il faut qu’il s’adresse ailleurs. Il s’agit d’une protection juridique contre une procédure ultérieure éventuelle mais qui ne vise pas l’amélioration de l’état du malade. On fait passer cela pour de l’information, mais on masque les choses. J’ai vu des médecins hospitalisés refuser de signer pour des traitements sur eux-mêmes, connaissant les risques d’en mourir.

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C’est cela le « protocole de l’interdit » : l’interdiction de se plaindre pour le patient ?

Le protocole de l’interdit, c’est que s’il y a le moindre changement dans un protocole de traitement, on bascule dans le non-autorisé. Le protocole démarré doit s’interrompre et ne sera alors pas rémunéré. Les protocoles de l’interdit, ce sont tous ces traitements que les médecins maintiennent en dépit des effets secondaires sur les personnes malades, afin de mener à bien des expérimentations et encaisser des dividendes.

Vous dites que les grands malades n’ont pas peur de la mort, ils ont peur de mourir. Quelle différence faites-vous ?

Souffrir, c’est ce que les gens ne veulent pas. Quand on dit à quelqu’un qu’il lui reste trois semaines à vivre mais qu’avec des perfusions et des sondes, on peut gagner un peu plus de temps, à quoi ça sert ? Il ne faut pas contrecarrer l’évolution d’une maladie s’il risque d’y avoir des effets négatifs supérieurs aux positifs. C’est comme le malade imaginaire de Molière, qui est mort « guéri ».

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