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"On crée de nouveaux risques sans gagner en espérance de vie"

Dans leur nouvel ouvrage Overdose ¹, la journaliste Ariane Denoyel (interviewée ici) et le Dr Peter Selley déplorent que l’on soit désigné complotiste dès que l’on demande des comptes à une industrie pharmaceutique opaque et obnubilée par l’appât du gain. En outre, en France comme ailleurs, la consommation de médicaments ne cesse d’augmenter. Mais sommes-nous en meilleure santé ?

La rédaction

Qu’est-ce qui a motivé l’écriture de ce second ouvrage ?

J’avais écrit un premier livre Génération zombie2 après avoir découvert les recherches du  Pr David Healy sur certains effets indésirables très méconnus des antidépresseurs. Les antidépresseurs étaient alors essentiellement associés à des suicides, des passages à l’acte violents et des tueries de masse. Or, en France, il n’existait pas de livre résumant les effets sexuels passés sous le boisseau. Après la sortie de ce premier ouvrage, nous nous sommes lancés, avec le Dr Selley, dans l’écriture d’Overdose, après avoir été contactés par de nombreuses victimes (et familles de victimes) souffrant d’effets indésirables graves n’ayant rien à voir avec les antidépresseurs.

Souvent, lorsque l’on est touché par un ou des effet(s) indésirable(s), on est face à un déni médical difficile à vivre. C’est une violence de plus. De nombreux malades ne parviennent pas à se sevrer de ces molécules. Ils ont en face d’eux des psychiatres ou des généralistes qui, dans le meilleur des cas, leur conseillent d’arrêter peu à peu, ou de renforcer le traitement en affirmant que c’est la dépression qui revient. C’est un cercle vicieux. Au début de la commercialisation de ces molécules3, j’ai rencontré Luc Perino, médecin et écrivain.

Il était clair pour nous qu’il fallait au moins permettre à ces victimes de se retrouver et d’échanger entre elles pour, sait-on jamais, agir en justice collectivement. Nous avons créé l’association Acopav4. Bien sûr, je ne suis pas médecin, je me contente, à travers l’association, de donner des sources, des articles de référence sur le sevrage et de soutenir les victimes. Le Dr Peter Selley, coauteur d’Overdose, a aussi été aux premières loges, en tant que généraliste en Angleterre, pour constater à quel point on prenait collectivement de plus en plus de médicaments. Et que, malheureusement, on ne se portait pas de mieux en mieux.

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Dans Overdose, vous décrivez le vécu d’Inès. Pouvez-vous nous le rappeler ?

C’est par le biais de ces contacts de victimes que j’ai eu connaissance de l’histoire d’Inès. Elle a été, très classiquement, mise sous antidépresseurs à l’adolescence, suite à un diagnostic de sclérose en plaques. Elle a très mal supporté le médicament, qui a entraîné chez elle une désinhibition très forte. Elle a fait ce que l’on appelle un virage maniaque provoqué par la molécule. Cela l’a rendue sexuellement très désinhibée, ce qui l’a mise en danger, et elle a subi des viols. Aujourd’hui, à l’Acopav, un noyau de quatre familles attaque en justice pour essayer de comprendre pourquoi les prescriptions ont été maintenues alors qu’elles mettaient leurs enfants en grand danger. Parmi ces quatre victimes, Inès est la seule à avoir survécu. Deux jeunes se sont suicidés et l’un a succombé à un arrêt cardiaque à la suite notamment d’une " cascade médicamenteuse ".

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Les accidents médicaux constituent la troisième cause de mortalité en Occident


AS : Dans la préface d’Overdose, le Pr Éric Caumes rappelle que les accidents médicaux constituent la troisième cause de mortalité en Occident…

"En effet. Pour donner quelques chiffres, la surmédication représente 200 000 morts par an à l’échelle européenne, pour un coût de 79 milliards d’euros en 2008 et 1 200 000 journées d’hospitalisation, soit 8,5 % des hospitalisations et une augmentation de 136 % en douze ans. Pour la France, les estimations les plus hautes font état de 20 000 morts par an, soit pas loin de dix fois plus que les accidents de la voie publique. Autrement dit, on se médique de plus en plus et on est de plus en plus hospitalisé à cause des médicaments. Ces seuls chiffres que j’ai trouvés datent de 2008. Ils sont très vieux et ont probablement évolué dans la mauvaise direction. Ce sont des angles morts dont on n’a pas envie d’entendre parler. Pourtant ils existent. Dans le même temps, la récente campagne médiatique de l’industrie pharmaceutique, " moins de médicaments, c’est médicamieux ", me laisse sans voix.

Ce " greenwashing " médical, qui permet de se donner une bonne conscience et une belle image tout en continuant à vendre, est d’un cynisme incroyable. Ils n’ont peur de rien. En plus, ils font savoir que la campagne leur coûte 2 millions d’euros. À côté de cela, ils ne parlent pas des sommes folles qu’ils font porter à l’Assurance maladie avec leurs médicaments de pointe. La journaliste Rozenn Le Saint a d’ailleurs bien montré dans son ouvrage5 ce gaspillage inimaginable alors même que l’État français cherche des milliards d’économie."

Surmédication et gabegie s’entremêlent finalement ?

La surmédication est une des composantes essentielles de la gabegie. Il y a aussi les surdiagnostics, les surdépistages et le fait que l’on vous transforme en patient lorsque vous êtes en bonne santé. Je pense au cas du cholestérol et de l’hypertension où, passé un certain seuil, vous devenez automatiquement un patient sans être en mauvaise santé. L’indicateur change et vous fait basculer dans la catégorie " patient ". Des études internationales montrent que ce que l’on perd éventuellement en décès liés à un cholestérol excessif, on le " gagne " par les effets indésirables des médicaments contre le cholestérol qui augmentent d’autres risques. On crée de nouveaux risques et, l’un dans l’autre, on ne gagne pas en espérance de vie.

Me vient aussi en tête l’exemple du financement des machines d’ostéodensitométrie qui fait que l’on crée un flux de patientes dépistées comme souffrant d’ostéoporose, qu’il faut prendre en charge et médiquer. Les médicaments contre l’ostéoporose épaississent effectivement les os mais créent potentiellement, dans le même temps, des fractures plus graves. En comparant des groupes qui prennent ces médicaments à des groupes qui pratiquent du yoga et de la musculation légère, ces derniers s’en sortent mieux. À force de donner des médicaments aux personnes âgées, on charge leur métabolisme. Cela peut entraîner des vertiges et des chutes. Au final, elles ne gagnent rien à épaissir leurs os artificiellement.

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Pourquoi cette problématique n’est-elle pas plus relayée ?

Tous nos confrères journalistes sont en admiration devant la revue Prescrire. Je pense qu’ils ont raison car Prescrire fait un travail essentiel. En revanche, lorsque la revue fait état de 200 000 morts par an en Europe à cause des médicaments, cela ne suscite pas d’immenses reprises ni un questionnement généralisé. Quant à la liste annuelle des 100 médicaments nocifs dressée par la revue, elle est bien relayée. Sauf que la décision de retirer tel ou tel médicament n’est presque jamais prise.

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Vous évoquez également le cas des mammographies systématiques…

C’est un sujet terrible. Tous les ans, à l’approche d’Octobre rose, j’essaye de convaincre des rédactions d’y consacrer un article. Et ce n’est pas possible. J’ai la sensation qu’elles craignent d’être mal perçues. En réalité, c’est le contraire : je ne vois pas d’inconvénient à ce que les femmes décident de faire des mammographies. Il faut simplement qu’elles soient avisées du fait que les études internationales, menées depuis des décennies sur d’énormes cohortes, ne relèvent pas de bénéfice en termes de vies sauvées et de seins sauvés. Le Dr Selley et moi-même sommes convaincus qu’il faut que le consentement des patients soit éclairé en toutes circonstances.

Cela me rend triste qu’en tant que société, nous tombions dans cette espèce de démarche marketing qui met sous le tapis toute forme de réflexion sur les origines – environnement, pollution, alimentation – de l’augmentation du nombre de cancers de sein. Quid du discours de prévention ?

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"Tous les jours, des personnes souffrent et meurent parce que l’industrie pharmaceutique cache entre un tiers et la moitié des données"

AS : Vous rappelez aussi le fait que prendre un médicament comporte toujours un risque…

Oui. Il me semble qu’il s’agit d’une vérité un peu oubliée. Avant de prendre un médicament, il est important de se demander si on en a vraiment besoin. Je rappelle, simplement à titre d’exemple, que l’aspirine tue plusieurs personnes par an. Nous ne savons pas de quelle manière nous allons réagir individuellement à une molécule.

Les personnes présentant des effets indésirables sont régulièrement éliminées des essais cliniques afin de pas contrarier la commercialisation du médicament. Tous les jours, des personnes souffrent et meurent parce que l’industrie pharmaceutique cache entre un tiers et la moitié des données. Et on ne ressent pas une volonté politique forte de mettre les laboratoires au pas. Ces derniers sont parvenus à s’installer dans une situation qui leur est extrêmement favorable.

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Comment ce fonctionnement a-t-il pu se mettre en place ?

Cela a été progressif avec le concours de plusieurs facteurs. Il y a notamment le fait que les fonds de la recherche publique se soient asséchés. Cette recherche a donc, de plus en plus, été poussée à signer des partenariats avec des laboratoires privés. Et l’argent privé oriente nécessairement les recherches. Des études indépendantes ont mis en exergue qu’une recherche financée par le promoteur – celui qui détient la molécule – a statistiquement quatre fois plus de chances d’être positive. Les laboratoires privés sont juges et parties en ce qui concerne les essais cliniques. Essais orientés de façon très savante pour que la molécule ait l’air très efficace et très bien tolérée.

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Phobie sociale, hyperactivité : les labos "inventent-ils" des maladies ?

AS : Vous abordez le sujet du DSM6, qui s’étoffe d’édition en édition. Comment faire la part des choses entre le fait que les progrès médicaux permettent d’identifier de plus en plus de maladies, et que, dans le même temps, les labos en " inventent " pour augmenter leurs profits ?

"Il n’est pas facile de s’y retrouver. Entre les années 1950, époque de la parution du premier DSM, et aujourd’hui, de nouveaux troubles ont été découverts. Mais de là à passer de 100 à 500 pathologies, on peut raisonnablement penser qu’il y a une exagération. L’exemple le plus typique est sans doute celui du trouble de la phobie sociale : lorsqu’avant vous étiez considéré comme timide, aujourd’hui vous souffrez d’une maladie nécessitant de prendre des médicaments. Le DMS repose sur une logique quasi mécaniste : à un diagnostic est associée une médication. On peut se demander si les timides n’étaient pas plus tranquilles avant. Une fois de plus, des variations considérées comme normales deviennent de plus en plus pathologisées.

L’hyperactivité est aussi un sujet très discuté. On peut faire des tests sur Internet pour " s’auto-diagnostiquer " de l’hyperactivité, et, selon le Pr Peter Gotzsche7, la moitié des répondants seront " diagnostiqués " !

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Vous pointez aussi le mécanisme consistant à faire appel à une terminologie un peu anxiogène ou médicale pour vendre des molécules…

Oui, lorsque le brevet du Prozac est arrivé en fin de course, le laboratoire Lilly a essayé de le repositionner en tant que traitement pour la libido féminine. Le Sarafem, dont le composé actif est – comme pour le Prozac – le chlorhydrate de fluoxétine, a obtenu son autorisation de mise sur le marché aux États-Unis. En Europe, il ne l’a pas obtenue car il a été considéré que le laboratoire n’apportait pas assez d’éléments justifiant cette nouvelle indication. Cela a été assez flagrant. Quoi qu’il en soit, Lilly a désigné la nouvelle indication sous le terme de " trouble du désir hypo-actif ". Avoir plus ou moins de libido semble tout de même relativement naturel. Jusqu’à nouvel ordre, ce n’est pas une maladie.

Ce qui est, je trouve, d’une ironie terrible, est que ces médicaments causent, comme tous les antidépresseurs, des troubles du désir tels des baisses de libido parfois importantes. Chez une partie des patientes, heureusement restreinte, ils provoquent des troubles sexuels terribles appelés le PGAD [syndrome d’excitation sexuelle persistant, NDLR]. Il s’agit d’une excitation génitale persistante dans laquelle les organes génitaux s’emballent en l’absence d’excitation sexuelle. C’est purement génital et très gênant. J’ai échangé avec des victimes qui m’ont confié passer l’essentiel de leur journée allongées sur leur lit avec de la glace sur l’entrejambe. On ne sait pas soigner cela. Et les laboratoires ne cherchent pas pourquoi leurs médicaments peuvent engendrer ces effets désastreux. Ce qui est dommage, car si l’on trouvait le mécanisme, cela ouvrirait sans doute d’autres champs de recherche thérapeutiques.

Restez-vous optimiste ?

Je regrette de dire qu’il y a peu de motifs d’optimisme. Le système a atteint un tel niveau de dévoiement… Certains scientifiques ont conscience de ces mécanismes mais, à côté de cela, il y en a tant d’autres qui ne se rendent pas réellement compte que les autorités sanitaires n’ont plus vraiment les compétences et qu’il n’existe plus de volonté politique qui donne la direction d’agir pour l’intérêt général, seulement lui. Irène Frachon dit que le conflit d’intérêts reste la norme8. L’affaire du Médiator n’a finalement pas réglé beaucoup de problèmes. On ne peut pas reprocher à l’industrie de vouloir faire de l’argent.

En revanche, c’est aux pouvoirs publics d’empêcher les dérives. Je me suis souvent demandé ce qui se passerait si un député déposait une proposition de loi stipulant qu’aucun médicament ne peut être mis sur le marché en France sans que l’intégralité des essais cliniques menés par le promoteur soit communiquée.

Une autre option pourrait consister à dire que les dépenses en recherche et développement sur un an déclarées par les laboratoires doivent être versées dans un fonds public commun, administré par des citoyens et des scientifiques menant des recherches. Ce serait à eux de décider des molécules les plus prometteuses et de mettre en place un mécanisme basé sur l’intérêt général. Dans le médicament, on ne peut pas faire l’économie de la transparence. L’intérêt général doit primer.

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