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95 % des effets secondaires des chimiothérapies sont accessibles à l’acupuncture

Philippe Jeannin a su très tôt qu’il voulait devenir médecin acupuncteur. Depuis quarante-cinq ans, il se consacre à neutraliser, à l’aide des aiguilles, les effets secondaires de la chimiothérapie, de la radiothérapie, de l’hormonothérapie et des actes chirurgicaux. Si aujourd’hui les oncologues lui adressent des patients, le parcours n’a pas toujours été simple.

La rédaction

Comment en êtes-vous venu à appliquer l’acupuncture à la cancérologie ?

En 1982, ce sont les cancérologues de l’Institut Curie qui sont venus à moi parce que nombre d’entre eux étaient en burn-out. Mes traitements ont bien fonctionné : c’est un peu le b.a.-ba de l’acupuncture que de soulager ce genre de symptômes. Il y a donc eu un bouche-à-oreille entre cancérologues et j’en ai vu de plus en plus. Au bout d’environ cinq ans, l’un d’eux me parle d’une patiente aussi stressée que lui durant son burn-out.

J’accepte de voir cette femme, et lui fais des points dans le but de la calmer. Je ne connaissais presque rien à la cancérologie, mais je savais que toute chimiothérapie allait déclencher vomissements et diarrhées. Or, il existe des points d’acupuncture pour ces symptômes, quelle qu’en soit l’origine. J’ai donc posé ces points sans le lui dire. Verdict : la patiente m’a dit qu’elle avait bien dormi, que la séance de chimio s’était bien passée, qu’elle n’avait eu ni nausées ni vomissements

Comment vos soins se sont-ils démocratisés dans la sphère médicale et oncologique ?

Je ne situais pas du tout l’importance de ce phénomène jusqu’à ce jour de 1987 où j’ai vu arriver le fils d’une cancérologue de l’Institut Curie. Elle était responsable du département d’anatomo-pathologie. Autrement dit, tous les cancers passaient sous ses microscopes. Son fils de 18 ans était atteint d’un ostéosarcome du tibia. Il avait subi sa première chimiothérapie, qui l’avait dévasté. Je l’ai rencontré au début de son traitement prévoyant 12 cures de chimio, une intervention chirurgicale puis à nouveau 14 cures.

C’est sur ce jeune homme, Frédéric, que j’ai tout " inventé " : les points à faire et le meilleur moment pour le voir. Cela a très bien marché. J’ai senti que je tenais un outil en or, lorsque sa mère m’a annoncé que le bilan hépatique et immunitaire de Frédéric s’était normalisé, et que son corps avait répondu impeccablement à mes traitements puisqu’il avait " survolé " ses chimiothérapies. Les oncologues ont fini par enregistrer les résultats et m’adresser davantage de patients.

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Les patients viennent-ils vous voir en amont des séances ?

Idéalement, je les vois 24 à 48 heures avant, parce que le nombre de plaquettes sanguines met 48 heures à remonter après une séance de chimio. Le nombre de neutrophiles et de globules blancs remonte en moins de 24 heures. En agissant le lendemain d’une cure de chimio, on est quand même bon. On atténue les effets secondaires immédiats et on évite les effets secondaires retard. Dans le cas de cures espacées de trois semaines, je vois les patients avant et après. Quand les chimios sont hebdomadaires ou bimensuelles, la séance d’avant suffit mais on ne s’interdit pas, si des effets secondaires gênants réapparaissaient, de planifier d’autres séances d’acupuncture.

Dans le cas de la radiothérapie, on voit les patients une fois par semaine, et dans l’hormonothérapie, une fois par mois suffit afin d’éviter les bouffées de chaleur, les douleurs articulaires, la prise de poids, les troubles du moral et du sommeil. En cas d’acte chirurgical, j’interviens la veille pour éviter nausées, vomissements postopératoires et pour optimiser la cicatrisation et la récupération.

Et pour les soins palliatifs ?

J’accompagne les patients jusqu’au bout. Il existe des points d’oreilles qui soignent sensiblement les douleurs liées aux métastases osseuses, digestives, etc. J’essaie surtout de les apaiser. On arrive parfois à pousser les limites. Je raconte dans mon livre* le cas d’une grand-mère très âgée qui souhaitait absolument voir naître sa petite-fille. On a poussé au maximum et on a gagné le challenge puisqu’elle est morte dans son sommeil huit jours après la naissance de sa petite-fille. Cela fait partie des belles histoires que j’ai vécues.

Dans le cas de certains cancers polymétastasés, les oncologues annoncent ouvertement aux patients qu’ils leur proposeront le traitement aussi longtemps qu’il sera supportable pour eux. Dans ce contexte, mon objectif est d’amener les patients le plus loin possible. D’année en année, je vois arriver des molécules qui étaient encore inimaginables cinq ans auparavant, et qui peuvent amener les patients en rémission complète.

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Travaillez-vous de concert avec les oncologues ?

À l’époque, le dogme intraprofessionnel nous interdisait de " toucher " à un patient cancéreux. J’ai eu beau dire que nausées et vomissements se traitent en acupuncture, ce n’était pas de notre ressort. Entre 2000 et 2005, les cancérologues m’invitaient encore à aller jouer ailleurs. J’ai pourtant continué à braver le dogme. J’ai bénéficié d’un bouche-à-oreille entre les patients, et petit à petit, les cancérologues ont commencé à s’intéresser à ce que je faisais et ça a été le début d’une longue histoire.

En parallèle, des études scientifiques ont prouvé l’action de l’acupuncture sur les nausées, les vomissements, les diarrhées, les douleurs métastatiques, etc. Mais cela a été le parcours du combattant. Maintenant, j’apprécie encore davantage la qualité des relations que j’ai, par exemple, avec Jean-Philippe Spano – le successeur de David Khayat –, auquel je rends hommage dans le livre. Oncologue à la Salpêtrière, il m’a invité en 2022 à célébrer les vingt ans du pôle de cancérologie Nice-Vence. Il s’agissait d’un congrès national de cancérologie et j’étais le seul médecin acupuncteur à prendre la parole devant 700 cancérologues. J’avais vingt minutes pour expliquer le rôle d’un peu d’acupuncture en cancérologie. Cela s’est bien passé et je travaille désormais en bonne intelligence avec les cancérologues.

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Comment avez-vous réussi à les convaincre ?

Je pense leur avoir bien expliqué. Ils savent que je suis honnête et pas en concurrence avec eux. Je ne touche pas au noyau dur de la chimiothérapie ou de la radiothérapie. Dans la postface de mon livre, je rends hommage au Pr Pascal Hammel, qui était dans la salle en 2022, et avec lequel j’ai des relations incroyables.

Comment vous adaptez-vous aux évolutions des traitements contre le cancer ?

Les protocoles de traitement se densifient. Depuis environ deux ans, je vois les cancérologues administrer en même temps chimiothérapie, radiothérapie et hormonothérapie. Trois protocoles en un seul. Je dois m’adapter, et cela fait en quelque sorte triple aiguille pour moi. Ces protocoles, devenus extrêmement lourds, nécessitent une énorme concentration en tant que médecin acupuncteur. J’ai donc décidé de lever le pied pour ne pas, à mon tour, me retrouver en burn-out. Je veux garder la qualité des relations et avoir le temps d’écouter mes patients me parler de tout et de rien. C’est important.

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En cancérologie, y a-t-il des limites aux protocoles d’acupuncture ?

Le maillon faible, que j’essaie de combler, porte sur les cheveux. Certains protocoles de lutte contre le cancer du sein font que, au bout de dix jours, les femmes perdent leurs cheveux. Autre limite de l’acupuncture : les problèmes de cardiotoxicité ; il faut un cardiologue car les aiguilles ne suffisent pas. Mais 95 % des effets secondaires liés aux traitements oncologiques sont accessibles à l’acupuncture. Mon rôle est de permettre aux patients de garder une vie normale, en dehors des heures durant lesquelles ils sont branchés à leur flacon de chimio. Il faut savoir que les effets secondaires augmentent de cure en cure et, heureusement, les points d’acupuncture sont aussi plus efficaces au fur et à mesure des séances. J’assure aussi le suivi post-cancer, le fameux blues chimio qui peut exister.

Et là où l’acupuncture est très impressionnante, c’est dans le cas du syndrome main-pied résultant des traitements anticancéreux. Ceux-ci entraînent des picotements violents au niveau des mains et des pieds. Les patients ne peuvent plus tenir une fourchette, ne veulent plus marcher, ne peuvent plus appuyer sur la pédale de leur voiture, etc. J’ai créé un protocole de points qui permet de soigner cette neuropathie et qui est aujourd’hui scientifiquement démontré. Il n’y a que l’acupuncture qui puisse faire cela. Aucune molécule chimique ne peut enrayer l’inflammation provoquée par les sels de platine. C’est là où l’acupuncteur joue un rôle important dans le noyau de la cancérologie. Et les patients ne s’y trompent pas.

Les aiguilles qui soulagent, du Dr Philippe Jeannin, éd. Hugo New Life, 208 p., 17,95 €.

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