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"Repensons notre relation au vivant"

Plonger dans la forêt, se tenir face à la mer, écouter le silence des montagnes… bref, fréquenter la nature, nous apaise et parfois nous soigne. C’est ce que le neuroscientifique Michel Le Van Quyen nous invite à constater, preuves à l’appui, dans son dernier livre*, rédigé en plein confinement.

Élise Kuntzelmann

De quelle façon avez-vous vécu le confinement strict de 2020 ? Est-il à l’origine de cet ouvrage ?

J’aime bien partir de mes propres expériences pour développer un sujet scientifique. J’ai passé le premier confinement de 2020 enfermé dans un petit appartement parisien, coupé de la nature. Je suis quelqu’un d’assez citadin, et de manière un peu surprenante la nature m’a manquée. Le confinement a pour beaucoup constitué un isolement traumatique. Certaines études ont montré que les personnes profitant d’une maison avec un petit jardin ou d’un petit balcon fleuri ont passé plus facilement cette période difficile.

En milieu urbain, en revanche, une augmentation des maladies psychiques a été notée. Plus l’accès à un parc urbain était compliqué, plus le risque de développer des maladies cardiovasculaires ou du diabète était élevé. Maintenant que les choses se sont un peu améliorées d’un point de vue sanitaire, je pense qu’il est plus que temps de repenser à notre indispensable relation au vivant. La nature fait du bien, c’est connu. En revanche, comprendre les mécanismes sous-jacents et la manière dont elle influence l’organisme, le cerveau en particulier, est un peu moins connu. C’est l’objectif de mon livre dont l’écriture a été motivée par le confinement.

Que se passe-t-il au niveau du cerveau lorsque l’on est en contact avec la nature ?

Il existe des effets communs à l’ensemble des environnements naturels mais aussi des effets particuliers à chacun. Deux explications à cela. La première suit l’hypothèse de la « biophilie » d’Edward Wilson, un grand naturaliste qui relie nature et cerveau d’un point de vue évolutionniste. Notre cerveau évolue en synchronie avec des environnements naturels depuis des milliers d’années. La nature nous attire spontanément car nous avons appris à apprécier les choses qui ont longtemps assuré notre survie : les paysages, la présence d’eau, de végétaux ou d’animaux, etc. La vie en milieu urbain est un phénomène relativement récent, qui remonte à deux cents ans à peine, avec le début de la révolution industrielle. Or, deux cents ans, c’est un laps de temps très court dans l’histoire de l’humanité. Notre cerveau n’est confronté que depuis peu à un environnement auquel il n’est pas habitué.

La deuxième explication repose sur l’hypothèse de la restauration de l’attention, essentiellement développée par les psychologues américains Rachel et Stephen Kaplan. Ces spécialistes en psychologie de l’environnement partent de l’idée que l’être humain consacre une bonne moitié de son temps à ruminer des idées noires ou à penser à autre chose qu’à ce qu’il fait. Dans la nature, l’attention n’est pas accaparée par un objet extérieur, elle se porte sur l’environnement. Cette attraction douce permet à l’esprit d’arrêter de ruminer et à certaines fonctions cérébrales de se restaurer. Si la nature ne guérit pas, elle rend les individus beaucoup plus résilients face au stress.

Vous rappelez que, selon l’OMS, la santé est « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ». Cette nécessité est-elle suffisamment prise en compte selon vous ?

La notion de santé a été largement débattue. Je pense que le volet psychologique de la définition de l’OMS n’a pas été suffisamment pris en compte en raison de l’urgence sanitaire. Je soutiens la définition suggérant que la santé n’est pas uniquement humaine mais liée aux environnements naturels autour de nous, à ce que nous mangeons, à la santé des animaux, etc. La continuité entre un individu et son environnement n’est pas toujours bien considérée.

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Une partie de votre ouvrage est consacrée à la forêt. Pourquoi notre stress diminue-t-il à son contact ?

En 1982, des scientifiques japonais ont commencé à étudier la nature. De grandes études épidémiologiques étaient lancées simultanément sur le thème du stress au travail. C’est à ce moment-là que les Japonais ont observé les premiers cas de « morts par dépassement du travail » [causées par le surmenage dans son emploi, NDLR]. Ils se sont alors penchés sur la manière de diminuer le stress des citadins en cherchant à comprendre l’impact de la forêt sur la santé. Le Dr Qing Li, de l’université de médecine de Tokyo, a constaté qu’une promenade de six heures en forêt entraînait après deux jours une augmentation de 50 % des cellules NK (Natural Killer) et ce taux restait stable pendant plusieurs semaines. Les cellules NK jouent un rôle clé de défense contre l’entrée dans l’organisme de bactéries et de virus. Elles attaquent également les cellules malades ou tumorales en les tuant par lyse cellulaire.

La forêt aurait aussi une influence positive sur la dépression ?

Une hypothèse intéressante repose sur le postulat que la dépression est corrélée à une trop grande inflammation. Une manière d’être plus résilient face à la dépression est donc de réduire un peu cette inflammation au contact de la forêt. Une seconde hypothèse veut que le contact de bactéries lors d’activités telles que le jardinage ou les promenades en forêt génère un sentiment d’euphorie. Selon le chercheur anglais Chris Lowry, cet effet euphorisant serait dû à la bactérie Mycobacterium vaccae, présente dans le sol avec les végétaux. Cette bactérie pénétrerait dans l’organisme par la peau ou via la respiration jusqu’à atteindre notre microbiote et produirait de la sérotonine, une molécule a fort effet antidépresseur. Selon moi, tous ces effets se conjuguent.

En ce qui concerne les vertus de l’eau, vous dites que la mer ne se limite pas à engendrer un sentiment de détente. En quoi sa proximité favorise la santé mentale ?

Selon l’étude européenne BlueHealth rendue publique juste avant le confinement en 2020, les problèmes de santé mentale seraient moins nombreux pour les habitants de littoraux que pour ceux de l’intérieur des terres, même dans le cas où ces derniers bénéficient d’un petit jardin. Il est clair que l’on vit différemment au bord de l’eau mais je suppose également que le cerveau sent instinctivement qu’il n’y a pas de menaces, que l’environnement y est fondamentalement apaisant. Il profite de ces moments pour restaurer ses fonctions.

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En quoi le manque d’éclairage naturel constitue-t-il une question de santé publique ?

L’enjeu se situe dans les villes. L’obscurité y est une denrée rare et en même temps on passe beaucoup de temps à l’intérieur, sans profiter de la lumière naturelle. Cela perturbe notre rythme circadien. Dans le cerveau, les noyaux suprachiasmatiques jouent le rôle d’horloge biologique. Cette petite structure communique avec des cellules de la rétine de l’œil. Pour bien se caler et fonctionner, cette horloge a besoin de la lumière du jour. Son dérèglement peut être à l’origine du trouble de l’humeur saisonnier. L’éclairage des bâtiments publics comme les hôpitaux et les maisons de retraite devrait tenir compte de ces effets.

Vous faites un rapprochement entre notre cerveau et un jardin. Pourquoi ?

Il est fréquent de comparer le cerveau à un ordinateur. L’Homme-machine est une métaphore émanant du médecin philosophe du XVIIIe siècle, Julien Offray de La Mettrie. Pour moi, le végétal représente l’image la plus juste du système nerveux. En examinant des coupes de cerveau, on s’aperçoit que les neurones ressemblent à de petits arbres. C’est un peu comme si le cerveau était une grande forêt dans laquelle il y aurait des racines dans tous les sens. Des anatomistes parlent d’arbres de vie pour désigner certaines structures cérébrales. Je pense en particulier au cervelet. L’élagage synaptique est un terme scientifique issu du jardinage ! Les synapses sont ces petites zones qui assurent la transmission de l’information entre les neurones. Seules les connexions synaptiques actualisées sont maintenues, les autres finissent par disparaître. C’est ce que l’on appelle élagage en jardinage. Les branches inutiles sont coupées. Le végétal est finalement beaucoup plus représentatif du cerveau que la machine.

* Cerveau et nature, éd. Flammarion, 272 p., 2022, 20 €.

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