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Le paludisme, c’est aussi un impact social et économique -interview de Lucile Cornet-Vernet

Éradiquer le paludisme en Afrique grâce à une plante consommée sous forme de tisane, c’est la mission sérieuse, locale, efficace et peu coûteuse qui pourrait bien aider le continent à se libérer d’un fléau grandissant. Présentation prometteuse d’une plante qui agite le monde scientifique.

Lucile de la Reberdiere

Combien de gens sont touchés par le paludisme dans le monde ?

D’après l’OMS, environ 250 millions de personnes subissent chaque année des crises de paludisme et 40 % des habitants sur Terre vivent dans une zone impaludée. Les décès ont beaucoup diminué en dix ans. On est tombé à moins de 500 000 morts par an, surtout des enfants et surtout en Afrique. Plus on vit en autarcie, plus la maladie est contrôlable. Avec le brassage des populations, le palu circule encore plus qu’avant. Mais la tuberculose tue davantage que le paludisme. Ce qu’on oublie trop souvent en rappelant ces chiffres, c’est l’impact social et économique de cette maladie. Or, c’est cela qui a motivé mon combat. L’immense incidence du paludisme, c’est l’absentéisme des enfants à l’école, des parents qui ne peuvent pas aller travailler, des enfants malnutris. Dans une famille très pauvre, le palu engloutit quasiment un dixième des ressources annuelles en déplacements pour des consultations, achat de médicaments, soins

Quel est le mode opératoire de la maladie ?

C’est une parasitose. Un parasite qu’on appelle plasmodium rentre dans le corps par une piqûre de moustique. Il va se nicher immédiatement dans le foie, se développer caché, migrer dans le sang et coloniser des globules rouges qu’il va exploser. Jusqu’ici aucun symptôme, puis ce sont de fortes fièvres tous les trois jours environ. On peut avoir plusieurs crises par saison des pluies. Le paludisme dont les gens meurent est un neuropaludisme : le plasmodium provoque des dégâts au niveau cérébral, ce qui entraîne généralement un coma et la mort.

Que contiennent les faux médicaments en circulation ?

Soit aucun principe actif, soit trop peu, soit n’importe quoi. Parfois il y a même des substances toxiques ! Ce marché est florissant, un véritable fléau, un scandale sanitaire qui tue des centaines de milliers de personnes par an.

Les populations qui vivent dans des régions impaludées utilisent déjà l’artemisia. Alors pourquoi les aider à utiliser une plante qu’ils connaissent déjà ?

En Afrique, Artemisia annua n’est pas du tout utilisée. Elle est originaire des hauts plateaux du Sichuan, en Chine. Elle se développe sous des climats tempérés. Or, en Afrique, le climat est plutôt tropical, subtropical ou subsahélien. Donc le plus important a été de commencer par adapter la plante en produisant des plantes viables, germinatives et donnant une bonne production de biomasse. Souvent, j’entends dire : « Si ça marchait si bien, pourquoi il n’y en a pas déjà partout ? ». Parce que la culture est très difficile ! Les Maisons de l’artémisia proposent des formations à Artemisia annua et à sa cousine, Artemisia afra, pour que les populations les plus démunies puissent cultiver ces plantes en toute autonomie.

La plante agit-elle en prévention et en traitement d’attaque ?

Dans les zones impaludées, les personnes en contact avec le parasite développent une forme d’immunité, c’est pour cela que les adultes font moins de crises que les enfants. Les mécanismes immunitaires sont différents chez les personnes qui sont ­primo-infectées et chez celles qui sont infectées pour la dixième ou la vingtième fois. L’artemisia [annua et afra, ndlr] a été testée uniquement sur ces dernières. Attention, aucune étude n’a été faite sur des personnes vivant sous nos latitudes, qui prendraient de l’artemisia en prévention avant un voyage dans une zone impaludée. En revanche, on sait qu’au Bénin, le ministère de la Santé vient de recommander la prise d’Artemisia annua et afra en curatif et en préventif, de même qu’au Togo. Au Burkina Fasso et au Sénégal, la plante est reconnue comme complément alimentaire. Artemisia afra fait partie de la pharmacopée africaine depuis longtemps.

Quelles différences y a-t-il entre Artemisia annua et Artemisia afra ?

Artemisia afra pousse sur les rives du Rift en Afrique de l’Est, dans une zone avec peu de paludisme, donc pas vraiment à l’endroit où les gens en ont besoin. Elle est traditionnellement utilisée contre la grippe, les parasites du ventre et les affections pulmonaires, raison pour laquelle elle est actuellement mise en avant contre le Covid. Il existe de nombreux écrits sur son usage contre le paludisme en Tanzanie et au Kenya avec un taux de guérison de 90 % sous forme de tisane ! Mais ce dont on s’est rendu compte, c’est qu’il n’y avait quasiment pas d’artemisinine dedans, alors qu’elle guérit les crises de paludisme

Or, c’est précisément cette molécule qui se trouve dans les médicaments allopathiques contre le paludisme ?

Il existe 23 molécules antipaludiques dans Artemisia annua dont cette fameuse artémisinine. On appelle CTA « combinaison thérapeutique à base d’artémisinine » les principes actifs issus de la combinaison de l’artémisinine et d’une molécule de synthèse contenues dans les médicaments vendus sur le ­marché. C’est d’ailleurs ce qui rend cette plante incontournable. On ne peut pas dire que ce soit l’artémisinine seule qui guérisse le palu dans Artemisia annua, mais la synergie des molécules ensemble. Il y a moins d’artémisinine dans une tisane d’Artemisia annua que dans un comprimé CTA. C’est pourquoi il est préconisé d’utiliser le totum de la plante, extrait très simplement avec de l’eau bouillante et une poignée de tiges et feuilles. C’est une posologie simple, volontairement accessible à des personnes illettrées. Quant à Artemisia afra, cela reste une énigme. Si pour l’annua, une à deux nouvelles études sortent par semaine, pour l’afra c’est moins de cinq par an. Il faudra encore beaucoup de temps avant de tout comprendre.

Quel est le rôle des Maisons de l’artemisia ?

Chaque Maison joue trois rôles. En premier lieu planter, transformer et distribuer artemisia. Ensuite, former ceux qui le souhaitent à ses modes de culture. Enfin, les Maisons ont pour rôle de sensibiliser et partager les connaissances en allant vers les plus pauvres.

Les ONG et le Programme alimentaire mondial sont frileux dans l’utilisation des produits locaux, pourquoi ?

Il faut comprendre la complexité d’acheminer jusqu’au dernier kilomètre n’importe quel médicament. Donc, des boîtes de médicaments standardisés dans des caisses, c’est pratique. À l’inverse, de petits agriculteurs qui font pousser une plante, c’est compliqué en termes de traçabilité et puis il y a le risque de surdosage avec l’automédication.

L’OMS ne recommande pas l’usage d’artemisia contre le paludisme alors qu’elle soutient l’utilisation des médecines traditionnelles…

L’OMS donne avant tout des guideslines en fonction des études. Il manque un corps d’études probant. Mais le frein est uniquement financier. Pas mal de choses sont déjà enclenchées pour des études in vitro ou des protocoles d’essais cliniques. Il existe déjà des recherches scientifiques locales, chinoises et américaines. Nous-mêmes avons financé des études en République démocratique du Congo. Pour que l’OMS puisse réviser son jugement, il faudrait que la plante bénéficie de normes internationales, comme si cette tisane était un médicament.

L’hydroxychloroquine, un antipaludique a été questionné pour traiter le Covid-19. Dans quelle mesure l’artemisia pourrait-elle aussi représenter une piste d’espoir face à la pandémie ?

Des études montrent in vitro une efficacité de Artemisia annua en totum sur le Sars-Cov 2 et deux de ses principaux variants. Des essais cliniques sont en cours. Mais pour être honnête, je ne suis pas les résultats au quotidien ; avec les Maisons de ­l’­artemisia, nous préférons rester concentrés sur le paludisme.

En savoir plus :

La recherche scientifique teste actuellement l’efficacité de Artemisia annua contre le Covid-19 aux États-Unis, au Danemark, en Allemagne, au Mexique et en Afrique du Sud. En 2003, plusieurs études chinoises avaient montré que la plante présentait une forte activité antivirale contre le Sras. Les chercheurs affirment : « Si les essais cliniques ultérieurs sont concluants, l’Artemisia annua pourrait potentiellement servir de thérapie sûre, fournie au niveau mondial à un coût raisonnable et offrir une alternative aux vaccins »

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