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Victimes d’erreurs médicales, le parcours du combattant

Hôpitaux qui dissimulent leurs défaillances, rapports biaisés, magistrats par trop prudents… Les Français victimes d’erreurs médicales affrontent un long parcours du combattant avant de voir leur préjudice reconnu. Jean-Christophe Coubris, avocat spécialisé, nous révèle les dessous de ces parcours dont les embûches éclairent crûment les failles de notre système de santé.

Sabrina Debusquat

Il y a vingt ans, Jean-Christophe Coubris aurait pu décider de reprendre le vignoble familial et couler des jours heureux au cœur de ses parcelles de vigne mais, personnellement touché par une erreur médicale, il a décidé de s’engager auprès des victimes pour défendre leurs intérêts. Un sacerdoce qu’il a mis au service de victimes comme celles du Mediator, des prothèses PIP ou des pilules troisième et quatrième générations jusqu’à devenir l’un des avocats les plus réputés en matière de défense des droits des victimes de dommages corporels. À l’occasion de la publication de son récit « Au nom de toutes les victimes » (éd. Flammarion), il dévoile les étapes compliquées qu’affrontent ces patients et qui ne sont pas sans faire penser aux douze travaux d’Hercule version moderne.

Tout d'abord, cherchez l’erreur

Qu’entend-on par « erreur médicale » ? Le terme exact employé par nos instances de santé est « événement indésirable lié aux soins », c’est-à-dire les complications imprévues d’un acte ou d’un traitement médical qui ont des conséquences dommageables pour votre santé (erreur de diagnostic, mauvais dosage d’un médicament, etc.). Avant d’employer ce terme, Me Coubris révèle que certaines victimes mettent parfois des années à réaliser qu’elles sont victimes ! Il arrive en effet que les patients ne soient pas informés par leur médecin de leurs droits ou d’une erreur. Selon un sondage Medscape (juin 2020), 15 % des médecins français déclarent avoir déjà dissimulé une erreur médicale et trouver cela « acceptable ».

Une fois ce premier stade passé, la seconde difficulté est d’obtenir le dossier médical, démarche qui rencontre parfois des résistances (dossiers incomplets ou qu’un conjoint non marié ne peut obtenir car n’étant pas considéré comme ayant droit). Dossier médical en main, il faut alors « trouver la bonne personne pour étudier votre dossier » et apprécier l’existence d’une erreur médicale. Pour cela, il est possible de se tourner vers un avocat spécialisé ou une association de patients comme l’Association d'aide aux victimes d'erreurs médicales qui vous accompagne dans ces démarches.

Ces premières étapes constituent le début d’un long chemin puisque c’est le volet judiciaire le plus ­éprouvant pour les ­victimes, au point qu’elles sont parfois tentées d’en finir ou de se faire justice autrement.

Une pharmacovigilance très défaillante

Les centres régionaux de pharmacovigilance créés dans les années 1970 en France recueillent les déclarations d’effets indésirables liés aux médicaments provenant des soignants ou des patients. Malheureusement, seuls 1 à 5 % des effets indésirables graves des médicaments (décès ou hospitalisation) leur seraient réellement signalés et moins de 5 % concernant les effets indésirables bénins. Cette sous-déclaration massive permet à des médicaments ­– comme ce fut le cas du Mediator ­– d’échapper à l’attention des autorités durant de nombreuses années.

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Omerta hospitalière et vérité maquillée

Au cœur de l’erreur médicale, le soignant évidemment et la structure dans laquelle il exerce, puisqu’en France 79 % des erreurs médicales graves ont lieu en établissements de santé (hôpitaux, cliniques). C’est là que les victimes font face à celle que Me Coubris compare à la grande muette : « l’omerta hospitalière » et son « mur du silence ». S’il précise « qu’il ne faut pas avoir le sentiment que rien ne fonctionne », il dénonce ce « réflexe d’autoprotection » qu’il a trop souvent constaté dans sa carrière. Une « stratégie d’autodéfense qui camoufle, maquille et atténue la vérité » pour « défendre la structure » en faisant passer les erreurs médicales pour des « cas isolés » afin de mieux mettre sous le tapis les problèmes d’organisation collective.

Une « solidarité par la crainte » qui va jusqu’à modifier ou supprimer des éléments des dossiers médicaux ou à « faire admettre des hypothèses invraisemblables ». Ce fut le cas pour la petite Marianne G. âgée de cinq ans, décédée dans sa chambre quelques heures après une banale opération des amygdales. Dans la nuit, sa mère, à son chevet, a sonné l’alerte à plusieurs reprises car sa fille avait des convulsions mais le médecin de garde n’a pas jugé utile de se déplacer et la fillette décédera d’un œdème pulmonaire aigu étouffée par son vomi après avoir perdu conscience.

Chargé du dossier, Jean-Christophe Coubris décrit comment une « redoutable machine à réécrire les faits » est alors mise en branle au point de faire douter les familles de ce qu’ils ont vu ou entendu, voire de leur faire penser qu’ils sont en les seuls responsables du drame qui les frappe. « En quelques heures, une solidarité instantanée se mobilise pour que la « belle histoire » soit écrite le plus vite possible, une belle histoire dans laquelle bien entendu les médecins, le personnel soignant et l’hôpital n’ont rien à se reprocher et où ce sont la malchance ou le destin qui sont montrés du doigt ».

Dans le cas de la petite Marianne, c’est sa mère — qui s’était assoupie — à qui il sera presque reproché de ne pas avoir suffisamment sonné l’alerte. L’enquête montrera que l’hôpital a fait preuve de graves négligences : une simple surveillance médicale et une infirmière plus attentive auraient permis d’éviter le drame.

Des expertises biaisées et corporatistes ?

Dans d’autres cas, cette mécanique corporatiste ne se met pas seulement en branle au sein de l’établissement hospitalier incriminé, mais au sein de la Cour de Justice, via les médecins experts qui rendent leurs rapports lors des procès. Las de cette « désagréable sensation de lire des expertises orientées ou biaisées » Me Coubris questionne ouvertement la « réelle compétence » et « réelle indépendance » de certains experts : « Dans les dossiers où les responsabilités n’étaient pas établies par des faits ou des preuves irréfutables, dès qu’il y avait la possibilité de noyer le poisson, j’ai vu à l’œuvre la malhonnêteté intellectuelle de certains experts. Du haut de leur statut de quasi intouchables, ils viennent déposer devant le tribunal des conclusions aussitôt érigées en parole d’évangile qui sont ensuite très difficiles à contrer via d’autres rapports d’expertise et qui sont, comme par hasard, très souvent favorables à la défense du médecin, de l’hôpital ou du laboratoire pharmaceutique. Et plus les enjeux économiques sont importants, plus l’arsenal déployé est imposant. »

Dans certains cas extrêmes (heureusement très rares), une sorte de lobbying professionnel est organisé de façon à « cultiver » et produire une littérature scientifique systématiquement favorable aux médecins. Pire encore, ce sont parfois des assureurs eux-mêmes qui mettent sur pied des associations qui fournissent les expertises auprès des tribunaux. À l’image de l’association toulousaine Gynerisq, agréé par la HAS, qui fait aujourd’hui autorité sur des sujets comme la souffrance fœtale (diminution de l’oxygénation du bébé qui entraîne un risque vital, ou extraction à l’aide de forceps ou ventouse entraînant des complications. Jean-Christophe Coubris explique qu’elle a été créée « à l’initiative d’un cabinet d’assurance spécialisé dans la responsabilité civile professionnelle » et il se demande si « leur seul objectif n’est pas de protéger les obstétriciens ».

Les événements indésirables liés aux soins en France

Événements indésirables graves associés à des soins (EIGS) :

● 1 187 EIGS déclarés en 2019

● 79 % ont lieu dans des établissements de santé (hôpitaux, cliniques), 15 % dans le secteur médico-social (foyers d’accueil, EHPAD) et 4 % en soins de ville.

● 46 % ont lieu dans un contexte d’urgence

Cinq causes principales : 24 % sont des défauts de prise en charge (retard de soins, patients confondus, mauvaise coordination entre services, etc.), 24 % concernent des patients qui ont tenté de se suicider (cas graves et urgents nécessitant des gestes techniques traumatiques), 13 % sont des erreurs médicamenteuses, 13 % sont des chutes du patient (d’un lit ou suite à un traitement sédatif), 5 % concernent la prise en charge de la grossesse et l’accouchement.

● 51 % ont comme conséquence le décès du patient, 33 % la mise en jeu du pronostic vital et 16 % un probable déficit fonctionnel permanent.

● 53 % auraient pu être évités en 2019

● Dans 7 % des cas aucune information du patient ou de ses proches n’est réalisée

Source : « Rapport annuel d’activité 2019 sur les événements indésirables graves associés à des soins », janvier 2021, Haute autorité de santé.

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Des magistrats à la prudence exacerbée

Une fois ces premières épreuves passées, il arrive que ce soit les magistrats eux-mêmes qui, débordés ou faisant preuve de « prudence exacerbée » empêchent la reconnaissance d’une erreur médicale. Pas toujours formés spécifiquement aux dommages corporels, certains ont tendance à « avoir du mal à mettre en cause un médecin ».

Enfin, quand l’erreur médicale concerne un sujet de société plus large comme le vaccin ou la pilule pour lesquels une décision peut ensuite faire jurisprudence et entraîner une cascade de procès, l’idéologie peut s’en mêler : « Les juges sont des êtres humains avec leurs convictions et lorsqu’ils reçoivent en plus une information tronquée par les experts, ils en arrivent parfois à prendre des décisions qui manquent totalement d’objectivité. »

Des assureurs aux pratiques « détestables »

Une fois le verdict prononcé et une indemnisation fixée, il arrive parfois que ce soit cette fois-ci les assureurs, qui aient des pratiques « détestables ». S’il rappelle que celles-ci sont rares, l’avocat bordelais raconte avoir été témoin de la « politique aberrante » de certains assureurs qui, dans le cadre de dossier où la victime présente une espérance de vie relativement courte, ralentissent volontairement les procédures en espérant que cette dernière décède avant la liquidation du dossier… pour éviter de lui verser ses indemnités. À ce sujet, il déplore également la façon dont le système français fait peu de cas des proches de victimes décédés qui n’obtiennent bien souvent peu ou pas réparation du préjudice subi, contrairement à d’autres pays.

Des drames évitables

Certaines idées reçues pourraient laisser penser que ces erreurs sont inhérentes au métier, qu’il s’agit d’une fatalité ou qu’il faut y voir les conséquences inévitables des restrictions budgétaires. Les vingt années d’expérience de Jean-Christophe Coubris infirment ce préjugé : « L’erreur médicale n’est pas une fatalité mais la conséquence d’une erreur humaine qui aurait pu être évitée. C’est surprenant mais dans la plupart des cas, la défaillance concerne la gestion humaine et non un défaut de moyens financiers. Le choix d’un hôpital, par exemple, de conserver un service faute de professionnels aguerris pour le tenir, ou celui de ne pas renvoyer un anesthésiste maintes fois blâmé. » Venant appuyer ses dires, un rapport de la Haute autorité de santé (HAS) précise qu’en 2019 dans l’Hexagone, 53 % des évènements indésirables graves associés à des soins auraient pu être évités.

Détail particulièrement dramatique et commun à de nombreuses affaires d’erreurs médicales, certains proches de victimes avaient lancé l’alerte avant l’accident mais n'ont pas été écoutés. À l’image de Maxime Walter, adolescent victime d’une hémorragie abdominale massive après une chute durant un entraînement sportif. Parfois sans même se déplacer, le chirurgien d’astreinte ce jour-là décidera à maintes reprises de reporter une opération vitale pour le jeune homme, ce qui aura pour effet d’aboutir à son décès. Impuissant, le père assistera à la dégradation de l’état de son fils et suppliera le chirurgien d’opérer son fils, sans succès. Pour Jean-Christophe Coubris : « S’il faut rappeler le stress des proches, souvent erroné, auquel doivent faire face les médecins ce dont je suis sûr c’est qu’on n’a pas le droit d’ignorer ces appels. Ces thématiques sont aujourd’hui en réflexion dans les facs de médecine et sont abordées lors de la formation mais on est loin d’être arrivés ».

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Pot de terre contre pot de fer

La métaphore du pot de terre contre le pot de fer revient souvent dans la bouche des victimes pour qualifier ce qu’elles affrontent. À l’image de Marion Larat et sa famille qui ont fait de la reconnaissance des dangers des pilules troisième et quatrième générations le combat d’une vie. Victime en 2006 d’un AVC massif, suite à la prise d’une pilule troisième génération qui la laisse handicapée à 65 % (état proche d’une personne paraplégique), Marion et sa famille ont enduré un parcours de quinze ans pour parvenir à contraindre l’ANSM de chiffrer publiquement ces sur-risques (2013) et obtenir des dommages et intérêts (fin 2020).

Suite à de multiples ­rebondissements juridiques affrontés avec Me Coubris, elle devient en 2012 la première victime française d’un contraceptif à assigner en justice un laboratoire comme Bayer. Refus d’instruction de certains magistrats, lenteurs juridiques inédites liées, selon l'avocat, aux « pressions très fortes des lobbies »… Le dossier Larat illustre de façon emblématique la fragilité de certains scandales sanitaires qui n’éclateraient pas si des victimes n’y consacraient pas toute leur énergie. Selon notre avocat de victimes « si vous enlevez un seul combattant, l’acharnement d’une seule victime, la lutte peut s’enliser, s’arrêter net, disparaître. Cela prouve bien que le système ne fonctionne pas bien ! »

Un système à l’américaine ?

Emblèmes de pratiques assez nouvelles, les avocats spécialisés dans la défense des victimes d’erreurs médicales sont souvent accusés d’être l’incarnation même de l’américanisation de notre système judiciaire où les patients porteraient plainte pour tout et n’importe quoi, au point de briser des vocations médicales. Pour Me Coubris, « c’est bien mal connaître et apprécier la problématique, notamment car certains médecins sont les premières victimes de confrères qui font mal leur travail. »

Louant notre système de santé qu’il considère comme « l’un des meilleurs au monde », Me Coubris rappelle que le combat pour les victimes d’erreur médicale est « un combat pour les victimes et non contre le corps médical. » Des victimes qui se battent « pour la vérité et la justice » et « mettent tout en œuvre pour que les évènements qu’elles ont subis ne se reproduisent plus. »

Le temps de la justice

Mediator, 22 années de combat

1999 : premiers signalements de pathologies liées au Mediator. 2009 : retrait du marché. 2011 : premières mises en examen. 2019 : ouverture du procès. Mars 2021 : indemnisation des victimes.

Dépakine, 34 années de combat

1986 : des publications scientifiques démontrent des effets délétères sur le fœtus. 2011 : regroupement des victimes au sein de l’association Apesac. 2015 : premières plaintes. 2017 : condamnation au civil pour « défectuosité ». 2019 : début des indemnisations par le fonds créé en 2016. 2020 : mise en examen du laboratoire et de l’ANSM pour « blessures et homicides involontaires » et « tromperie aggravée ».

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