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« La sieste, ça ne s’improvise pas » - entretien avec Brice Faraut

Neuroscientifique, Brice Faraut dirige des recherches sur les effets de la privation et de la récupération de sommeil à l'université Paris Descartes. Pour lui, la sieste est un remède efficace pour réduire la dette de sommeil accumulée et ses conséquences sur la santé. Cependant, pour le docteur en neurosciences, la sieste est un art qui s’apprivoise. Quelles astuces connaître pour faire de sa sieste un vrai moment réparateur ?

Nihel Amarni

Vous définissez le manque de sommeil chronique comme « l’un des maux les plus pernicieux de notre époque ». De quel ordre est-il et quels sont les risques avérés pour la santé ?

Selon les chiffres, les Français exerçant une activité diurne dorment en moyenne aujourd’hui 6 heures par nuit dans la semaine. Ce n’est pas suffisant pour la grande majorité. Bien sûr, il existe ce que j’appelle « les vrais petits dormeurs » qui possèdent un rythme biologique adapté à de tels horaires, mais ils ne représentent que 7 à 8 % de la population. Les autres, moyens et gros dormeurs, augmentent un peu plus chaque nuit leur dette de sommeil. La plupart des Français vont « rembourser » ou « compenser » cette dette pendant le week-end, avec des grasses matinées. Cependant, ce rythme de sommeil n’est pas naturel. Ils créent alors une sorte de « jet-lag social » qui va bouleverser le reste de la semaine. Déroger ainsi, même de façon minime mais répétée, à notre rythme circadien a un impact sur notre organisme. Premièrement parce que le sommeil récupéré lors du week-end n’est pas suffisant, ensuite car les différents organes du corps humain ne récupèrent pas de la même manière. Plusieurs études ont mis en évidence les risques sur la santé de cette dette, mais également ceux de sa mauvaise compensation, avec des conséquences telles que l’intolérance au glucose, le surpoids, le diabète ou les problèmes cardiovasculaires.

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Dans votre livre, vous préconisez la sieste comme le meilleur remède à la dette de sommeil : pourquoi ?

Le modèle de récupération étalé sur une semaine avec compensation le week-end n’est pas bon. Mais lorsqu’on parle de sieste, on aborde le capital sommeil sur 24 heures et non plus sur une semaine. Ainsi, le corps peut rembourser dans un délai bref cette dette de sommeil et en limiter les impacts sur notre organisme. Pour ressentir les pleins bénéfices de la sieste, il faut savoir écouter son corps, mais également connaître son objectif et le montant de sa dette. En bref, la sieste ça ne s’improvise pas. Typiquement, les siestes éclair peuvent apporter une relaxation mentale. Je parle ici des siestes d’une minute à une minute trente, comme la fameuse sieste de Salvador Dalí se réveillant au son de la cuillère tombant de sa bouche (du fait du relâchement musculaire induit par le sommeil, NDLR). Sur cette courte période, le cerveau arrête d’être stimulé par les informations extérieures, et l'on se recharge un peu. On peut même atteindre parfois le stade du « sommeil très léger ». En revanche, pour une récupération plus thérapeutique, qui agit par exemple sur les risques cardiovasculaires ou la somnolence, il faut compter au minimum 10 minutes, voire plus.

Alors, quelle durée et quel moment de la journée préconisez-vous pour une sieste ?

Chaque situation est différente, car elle dépend du niveau d’endettement et de l’objectif fixé. C’est ce qui déterminera le stade de sommeil à atteindre – sommeil léger, paradoxal, profond ? – et donc la durée idéale de la sieste et son horaire approprié. Par exemple, si j’ai dormi une heure et demie de moins la nuit précédente et que je souhaite me « rebooster » pour finir un travail important dans l’après-midi, 10 à 15 minutes de sieste seront suffisantes. En revanche, si j’ai accumulé 3 heures de dette de sommeil par nuit pendant 3 jours, je peux opter pour 30 à 45 minutes de sieste et ainsi réguler à la baisse mon niveau d'hormones du stress par exemple. Pour les gens qui travaillent, ces durées sont les plus adaptées. La sieste peut s’effectuer en début d’après-midi, pendant la pause déjeuner, dans sa voiture ou dans son bureau. Pour soutenir sa créativité, il faut pouvoir atteindre le sommeil paradoxal qui joue sur la mémoire procédurale : la sieste doit alors durer en moyenne une heure afin de dépasser les paliers de sommeil précédents. Dans ce cas de figure, privilégier une sieste matinale permet de se rendormir avant d’être complètement sorti de la phase d’éveil.

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Et pour une sieste ayant un réel impact sur notre santé ?

Pour un effet thérapeutique, il faut miser sur le sommeil dit « lent profond » qui va avoir un effet de régulation hormonale, juguler le stress et permettre une vraie récupération physiologique. Lors d’une nuit complète, on accumule environ 100 minutes de sommeil lent profond. Une sieste récupératrice de 30 minutes ne vous fournira, elle, que 5 minutes de sommeil lent profond. Mais dès une heure et demie de sieste, c’est jusqu’à 40 minutes de sommeil lent profond qui pourront être emmagasinées par le corps. Pour ces « siestes thérapeutiques », on privilégiera le milieu ou la fin d’après-midi. Mais dans tous les cas de figure, il convient surtout de respecter notre rythme naturel et de dormir dans notre fenêtre idéale de sommeil, à savoir celle qui va se manifester sous forme de bâillements, d’acuité visuelle diminuée, de frissons, ou encore de raideur dans la nuque. Et, bien entendu, dormir selon nos besoins, selon que l’on est un petit, moyen, ou grand dormeur.

Comment créer un environnement propice à la sieste, ou même au sommeil de manière générale, afin de profiter pleinement de ces « fenêtres » quotidiennes ?

L’idéal est de sanctuariser l’endroit où l’on dort, un lieu calme où l'on se sent en confiance. Au travail, les personnes ne possédant pas de bureau individuel peuvent dormir dans leur voiture par exemple. Sinon, si vous avez la chance de pouvoir rentrer chez vous à midi ou que vous êtes en télétravail, le mieux est de dormir dans votre lit. Mais attention : en situation de télétravail, le lit ne doit pas devenir un lieu de vie où l’on travaille, où l’on mange, etc. Pour ce qui est de l'environnement de la chambre, il faut s’orienter vers une luminosité douce, une température pas trop haute, mais également laisser ses problèmes à l'extérieur afin de ne pas polluer l’espace d’ondes négatives ou de sources de stress. Une astuce, souvent préconisée aux insomniaques et autres endettés du sommeil, est de noter sur un papier avant d'entrer dans la chambre toutes leurs anxiétés et soucis de la journée, et de laisser ce papier à l'extérieur. La création d’un tel sanctuaire est rendue compliquée lorsque votre chambre contient toutes vos affaires, comme c’est le cas pour certains étudiants ou certaines personnes en télétravail : la vue d'ordinateurs ou de dossiers peut les renvoyer à un quotidien peu apaisant. S’endormir sereinement dans ce contexte peut être une gageure.

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Vous parlez de télétravail. Avec la crise sanitaire, ce mode d’activité s’est banalisé. Est-ce une chance pour notre sommeil ?

Totalement ! On peut réellement suivre nos rythmes, en tout cas pour ceux qui jouissent d’une certaine autonomie. On peut alors se permettre de pratiquer dans des conditions acceptables une sieste de récupération. De plus, les temps de trajet que je décris dans mon livre comme une des principales causes du manque de sommeil sont réduits. Le télétravail est donc le moment idéal pour se lancer à corps perdu dans la sieste. Cependant, s’il nous facilite la pratique de la sieste, le télétravail peut avoir un impact négatif sur notre sommeil de manière générale. Le danger est d’être disponible en permanence, de continuer à travailler le soir, ou de décaler ces horaires pour « profiter » de la journée. Un autre facteur de désynchronisation est la lumière qui est le chef d’orchestre de tout notre organisme, hormones du sommeil comprises (mélatonine, sérotonine). Le soir, il faut penser à éviter la lumière bleue des écrans qui trompe notre horloge biologique. Mais le plus important est de penser à ne pas rester enfermé et de maximiser la luminosité de la pièce où l'on travaille, et cela dès le matin. Plus notre éveil est stimulé par la luminosité, l’activité physique et mentale, plus notre sommeil sera fluide et donc récupérateur. De la qualité de l’éveil dépend la qualité du sommeil.

Dans votre livre, vous abordez l’intérêt et les limites des compléments alimentaires pour le sommeil. Comment en faire bon usage ?

La question principale est l’adaptation du conseil à la situation unique de la personne et à ses propres problématiques de sommeil. Or pour les compléments alimentaires, c’est trop souvent un dosage unique pour tous, avec des promesses qui prétendent parfois soulager tous les types de maux du sommeil. Par exemple, la mélatonine est une hormone qui joue un rôle important dans l’endormissement, mais ne permet pas de maintenir le sommeil. Est-elle adaptée à votre cas ? Idéalement il faudrait du conseil personnalisé, avec une préparation magistrale formulée pour une portée spécifique (décalage horaire, problème d’endormissement, insomnie…) et un dosage sur mesure. Paradoxalement, ces compléments peuvent parfois devenir des sources de stress, lorsque leur inadaptation fait que le dormeur s’impatiente de ne pas ressentir leur effet. Je préfère, pour ma part, que le patient respecte et apprenne à reconnaître son rythme naturel.

 

Aller plus loin : Brice Faraut, Sauvés par la sieste : petits sommes et grandes victoires sur la dette de sommeil, Actes Sud, mai 2021, 256 pages, 11.00€

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