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Nos cerveaux, grands perdants de la "révolution digitale" ?

  • 11 ans et demi, l'âge moyen d'obtention du premier smarphone en France 11 ans et demi, l'âge moyen d'obtention du premier smarphone en France
Article paru dans le journal nº 76

La révolution digitale du début du 21e siècle et notre exposition croissante aux écrans nous impactent bien plus qu’on le croit. Quels sont leurs impacts sur notre moral, notre sommeil, notre cerveau ? De plus en plus de recherches scientifiques confirment la nocivité pour notre santé de la surexposition. Alors que du 3 au 9 février ont lieu les "20èmes journées mondiales sans téléphone portable", quelques rappels salutaires à l’usage de tout le monde (ou presque).

Le premier smartphone a été introduit sur le marché en 2007, avec l’arrivée fracassante de l’iPhone. Dès 2011, baisse des prix et démocratisation aidant, l’utilisation des smartphones explose. On estime aujourd’hui que 45 % de la population mondiale détient un smartphone, ainsi que près de 75 % des Français (dont 90 % des 15-29 ans). Devenus omniprésents dans notre quotidien, ils sont consultés en moyenne 23 fois par jour dans l’hexagone (soit 1 h 42 d’après l’étude Baromobile), y compris juste avant d’aller dormir, au milieu de la nuit (41 % des Français selon une étude Deloitte) ou immédiatement au réveil. Bien entendu, à l'usage du smartphone s’ajoutent l’ensemble des pratiques sur écrans, des tablettes aux jeux vidéo en ligne…

Lorsqu’on sait que l’âge moyen d’obtention du premier smartphone s’établit aujourd’hui en France à 11 ans et demi (observatoire des pratiques numériques Bouygues 2018), et que les usages vont toujours crescendo, il est difficile de prendre la pleine mesure des effets de ces nouveaux outils.

Les écrans et notre capacité cognitive

On sait aujourd’hui qu’une exposition chronique aux écrans, en particulier chez les plus jeunes dont le cerveau se développe encore, modifie nos capacités cognitives, notre usage de la mémoire, notre capacité à la concentration, et peut altérer le développement du langage. Comme l’expliquait en 2016 le spécialiste de la neuroplasticité Norman Doidge (auteur du livre Les étonnants pouvoirs de transformation du cerveau) « Là où la lecture, une activité linéaire, encourageait à penser en séquence et en profondeur, Internet modifie notre rapport au temps, générant des besoins continuels de nouveauté, de stimulation rapide et variée. Du fait de ces modifications dans notre environnement, notre capacité collective à la concentration a diminué »

De nombreuses expériences illustrent notre moindre capacité de concentration. Dans une étude récente, 151 étudiants en études supérieures ont été partagés en deux groupes : un groupe devait prendre les notes du cours à la main et l’autre sur un écran tactile. Résultat ? Le groupe d’étudiant ayant pris les notes à la main montrait une meilleure mémorisation du contenu du cours que le second groupe. En effet, l’écriture manuelle nécessite plus de concentration car le fait d’écrire prend plus de temps et oblige les élèves à un effort supplémentaire de compréhension et de synthèse. A contrario, la simple présence de l’écran semblerait dévier l’attention des étudiants. Plusieurs études démontrent également que nous nous souvenons plus facilement d’un texte lu dans un livre que sur un écran.

Contrairement à la croyance générale, notre cerveau gère mal la réalisation simultanée de plusieurs tâches, le passage d’une activité à l’autre impliquant des réajustements permanents, à la fois chronophages et délétères pour la concentration. Nul hasard, donc si la recherche démontre que l’utilisation d’un smartphone ou des réseaux sociaux en classe réduit la compréhension et nuit aux performances scolaires.

Les écrans et le sommeil

Il est maintenant de notoriété publique que les écrans LCD émettent de la lumière bleue qui retarde la production de mélatonine, l’hormone du sommeil. Ils augmentent également la production de cortisol (l’hormone d’éveil) ainsi que la ghréline. (l’hormone qui nous donne faim). Tout cela dérange notre cycle circadien naturel et retarde l’endormissement, avec à la clef un sommeil moins long et de moindre qualité. Même le lecteur de livre de type Kindle peut impacter le sommeil. Le meilleur conseil pour un bon sommeil et un endormissement facile est d’éviter tous les écrans à partir d’une certaine heure (20 h par exemple) ou, à défaut, de s’équiper de lunettes filtrant la lumière bleue pour protéger notre équilibre hormonal et notre sommeil.

Dépression et addiction

L’utilisation excessive des écrans et des smartphones est fortement associée à des niveaux plus élevés de dépression et de stress. La recherche semblerait indiquer que c’est moins le nombre d’heures passées qui est déterminant, que la place octroyée à ces objets par l’individu dans sa vie. Ici comme dans d’autres études observationnelles, le sens des relations de causalité est difficile à décrypter : l’utilisation excessive du téléphone portable est-elle facteur de dépression ou bien une tendance à la dépression ou à l’anxiété pousse-t-elle à surinvestir dans l’usage de son téléphone ?

Pourquoi les écrans sont-ils aussi addictifs ? Les smartphones et applications se rappellent sans cesse à nous par la multiplication des notifications et informations nouvelles en tous genres. Lorsqu’on entend notre smartphone sonner ou vibrer, on ne peut pas s’empêcher de regarder qui a essayé de nous contacter… et tant qu’on y est, on peut aussi bien vérifier ses emails et puis son compte Instagram ou Facebook, et tout d’un coup voilà qu’on a passé 30 minutes sur son téléphone… Ce faisant, elles mobilisent sans cesse notre attention et stimulent la production de dopamine dans le cerveau. Or la dopamine est un neurotransmetteur qui joue un rôle important dans la perception de plaisir, perception qui est également stimulée par l’alcool, le jeu (poker ou machine à sou), la drogue… De plus, la production de dopamine semblerait plus importante quand le résultat d’un geste ou d’une action n’est pas déterminé. Comme l’illustrait très bien récemment une série documentaire de la chaîne Arte, les applications et réseaux sociaux à succès (Facebook, Instagram, Youtube, Twitter, Tinder, Candy Crush, Snapchat…) ont été entièrement conçus comme des « produits d’accoutumance », jouant sur des mécanismes comme l’amour-propre ou le résultat aléatoire pour interférer avec notre circuit de la récompense, titiller notre dopamine et rendre notre cerveau accroc.

Cures de sobriété numérique ?

Rappelons-nous que notre cerveau, comme le reste de notre corps, évolue depuis des milliers d’années pour s’adapter au monde dans lequel il vit. Un monde qui a fortement changé ces 100 dernières années, bien plus vite que notre cerveau n’a réussi à s’adapter aux changements de notre environnement. Face à la multiplication des déséquilibres neuropsychologiques à composante environnementale (dépression, anxiété, problèmes de sommeil, addictions…), sans doute est-il temps pour un retour à un peu plus de sobriété… et de bon sens.

Avant de devoir en passer par des méthodes musclées comme le tourisme déconnecté ou – le comble ! – des applications pour modérer votre usage des applications (QualityTime, BreakFree, OffTime…), quelques règles simples devraient suffire dans un premier temps pour réduire son exposition.

Ne dormez jamais avec le téléphone dans la chambre.

Favorisez l’utilisation d’une vraie montre et d’un réveil-matin physique afin de ne pas utiliser votre smartphone.

Essayez de devenir conscient de votre propre consommation/utilisation. Notez pendant un jour votre utilisation.

Éteignez votre téléphone quelques heures par jour, voir toute une journée, par exemple le dimanche.

– Si vous êtes exposé aux écrans après 21 h, à tout le moins préservez votre production de mélatonine par le biais de lunettes filtrantes de la lumière bleue.

– Pour les enfants, limitez les écrans le plus possible et montrez l’exemple. Fixez de règles claires sur l’utilisation. Nous conseillons vivement le guide « 3-6-9-12 - Apprivoiser les écrans et grandir ». Comme expliqué plus haut, il est fortement déconseillé d’amener son portable à l’école. Si le portable représente une sécurité pour votre enfant (possibilité d’appeler ses parents), privilégiez les « vieux » portables sans accès à Internet, sans applications.

 

Références :

« Les Français et leur mobile : Tous les chiffres à connaître en 2018 », COMK

« Les Français et le smartphone en 2016 : une relation fusionnelle », étude Deloitte

« The pen is mightier than the keyboard: advantages of longhand over laptop note taking ». P. Muller, et al (2014), Psychological science.

« Depression, anxiety, and smartphone addiction in university students- A cross sectional study. », 2017, PloS one, 12(8),

« Direct Measurements of Smartphone Screen-Time: Relationships with Demographics and Sleep », 2016, PloS one, 11(11), e0165331. doi:10.1371/journal.pone.0165331

« Media multitasking and memory: Differences in working memory and long-term memory » , 2016, Psychonomic bulletin & review, 23(2).

« Screen-time is associated with inattention problems in preschoolers: Results from the CHILD birth cohort study », 2019, PloS one.

« Brain Drain: The mere presence of one’s own smaprtphone reduces available cognitive capacity ». A. Ward, Kristen Duke, A Gneezy, M.Bos

« Midbrain dopamine neurons signal preference for advance information about upcoming rewards. », 2009, Neuron.

« The relationship between addiction to smartphone usage and depression among adults: a cross sectional study », 2018, BMC Psychiatry.

 

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Alternative Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé


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