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Médecine technologique le Net plus ultra ?

Alors que notre système de santé est en train d’agoniser et que le désastre est dénoncé par nombre de professionnels de santé, émergent des solutions technologiques que nous ne pouvons plus ignorer, pour pallier la désertification médicale. Nous ne mettons pas en cause les services apportés par ces innovations. Pour autant les questions de déshumanisation et de contrôles de nos données de santé s’imposent.

Nathalie Rigoulet

Vous souvenez-vous du médecin de famille ? Il vous suivait, vous, votre époux ou épouse, vos enfants, voire vos petits-enfants… Il vous connaissait bien, en somme. Assez bien pour désamorcer vos inquiétudes, calmer vos sollicitations pour des prescriptions inutiles. Vous avez du mal à vous en rappeler ? C’est normal. Cette image d’Épinal se désagrège dans votre mémoire autant qu’elle se dissout dans un XXIe siècle marqué par la désertification médicale. Nous y reviendrons.

Pour noircir le tableau, la crise du personnel hospitalier n’a échappé à personne. Aides-soignants, chefs de service, urgentistes, infirmiers, ont témoigné d’une seule voix de l’ampleur du désastre.

Sur les ruines fumantes de notre système de santé pousse une nouvelle forme de « soins » réunis sous l’appellation ­MedTech (Medical Technology), regroupant toutes sortes d’applications, téléchargeables sur nos téléphones, et autres innovations technologiques.

Qu’en disent les patrons de ces entreprises nouvelles ? Nous avons rencontré Roland Sicard, fondateur, en 2008, de la Valériane, entreprise spécialisée dans les « solutions numériques innovantes pour accompagner les individus dans leur parcours de santé ». Considérant l’état de notre système de santé, Roland Sicard en appelle à sa refonte : « La pénurie de ­ressources médicales contraint le système de santé à se restructurer pour travailler en réseaux mieux organisés, mieux ­gradués, plus partenariaux. »

Roland Sicard aurait identifié les attentes de sa cible, à savoir vous. Et quelles sont vos attentes, selon lui ? Eh bien avoir accès sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre à des possibilités de soin et vous « permettre d’être connecté à des réseaux pour [vous] faciliter l’accès aux ressources médicales dont [vous avez] besoin quels que soient l’heure et le lieu ».

Connecter les patients aux réseaux de soins

Cette conviction ne vient pas de nulle part. Sans être médecin, Roland Sicard a tout de même obtenu un diplôme universitaire (DU) de médecine gériatrique, après un Master 2 de gestion financière et d’économie (spécialisé en santé). Impossible ici de douter de son réel intérêt pour les problématiques de la médecine des seniors. C’est donc tout à fait légitimement qu’il ajoute que les patients souhaitent « être acteurs de leur santé ». Ce qui veut dire qu’ils doivent disposer « de l’application ou du centre d’appel qui, à tout instant, peut apporter une réponse à leur situation angoissante et au besoin d’orientation vers la ressource médicale la plus appropriée à leur problème de santé. » Et Roland ­Sicard l’affirme : « Le numérique santé qui peut connecter le patient à tout instant aux réseaux de soins et structures de soins, dont il a besoin, ne remplacera pas le médecin de famille mais atténuera en partie les conséquences de sa disparition. » Disparition ? Oui. En 2015, le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom), notait dans son Atlas une baisse de 10,3 % depuis 2007 des effectifs de la médecine générale, inexorable jusqu’en 2020. Sans parler d’une répartition sur le territoire totalement inégale.

Innovations riment-elles avec progrès ?

En attendant, décryptons les innovations technologiques que la société de Roland Sicard a développées. Elles sont au nombre de cinq, cinq solutions numériques santé qui sont actives ou en cours de test. Pour la santé préventive : Bilan Santé Stress ; pour la médecine gériatrique : EMA-care et Prev’Chutes ; pour la cancérologie : Therapy Smart System (Thess) ; pour la santé des reins : Sy-Néphrologie.

En 2008, la Valériane a dans un premier temps développé une activité de séjours de vacances adaptés aux personnes malades. « L’objectif était d’offrir des projets de vie à des malades qui, de par leur handicap, ne pouvaient que rarement quitter leur établissement de soins », se souvient Roland Sicard. Puis, de cette sorte de « club méd… icalisé », la Valériane s’est orientée vers des solutions de prévention santé. À partir de 2010, la start-up a développé « des outils d’e-santé préventive qui facilite le partage d’expertise entre le professionnel de santé et son patient ».

À cette date, la société de Sicard s’est engagée dans l’édition de logiciels de santé. Le premier, en 2011, s’appelle Bilan Santé Stress (BSS) : « Ce logiciel est aujourd’hui utilisé au plan mondial par des dizaines de milliers de personnes pour prévenir les effets du stress sur leur santé, et tout risque de burn out ». Concrètement, il s’agit de prendre la mesure de l’impact du stress sur la santé, puisque bien souvent la personne stressée n’en a pas conscience. Sur l’application, « les tests détaillés permettent d’identifier et de visualiser clairement, en quarante-cinq minutes, les facteurs de stress personnels et professionnels, les capacités de résistance de la personne et aident à la prise de conscience du niveau d’impact sur la santé », explique Roland Sicard.

Un programme personnalisé de soins

C’est le point de départ d’une ascension fulgurante, stimulée par un secteur aussi concurrentiel que porteur avec un marché estimé à quelque 550 millions d’euros.

En 2018, dix ans après la première activité de la Valériane, la société lève 650 000 euros de fonds (après avoir levé 800 000 euros en 2014) et développe deux nouveaux logiciels orientés sur le parcours de santé : « Le premier porte sur l’insuffisance rénale et s’appelle Sy-Néphrologie. »

Partant du constat que l’insuffisance rénale est trop souvent détectée tardivement, le but de cette application est d’orienter le patient vers son généraliste, ou un spécialiste, dès qu’une fragilité rénale est dépistée. « Lorsque le diagnostic est confirmé, un programme personnalisé de soins est mis en place par le néphrologue. L’application guide alors le patient dans toutes les étapes de son parcours thérapeutique et facilite l’échange d’informations au sein du réseau de soins qui le prend en charge », précise Sicard. Le patient peut alors prendre ses rendez-vous, faire une consultation de télémédecine, communiquer plus facilement avec l’équipe de soins.

Le deuxième logiciel s’appelle Thess. L’idée est ici de pallier le problème récurrent des piluliers et les dangers d’oubli ou pire, de surdose médicamenteuse. Quels médicaments prendre ? À quelle heure ? « Ce nouveau dispositif est un pilulier connecté capable de distribuer le bon médicament à la bonne heure, au bon dosage et à la bonne personne », détaille Roland Sicard qui poursuit : « Il permet au médecin prescripteur d’ajuster à distance la prescription si nécessaire. » L’ambition affichée est de sécuriser à 100 % les patients qui prennent des traitements susceptibles de provoquer des complications.

L’utilisation sensible des données personnelles

Évidemment, dans ce monde parfaitement magnifique que sont les nouvelles technologies, on s’interroge sur les vices cachés de ce petit miracle, notamment concernant l’utilisation des données sensibles, personnelles, et d’autant plus intimes qu’elles renseignent sur notre santé. Roland Sicard se veut rassurant : « Il existe en effet des start-up qui ont fondé leur business model [modèle commercial, ndlr] sur la revente des données de santé ou l’utilisation de celles-ci à des fins commerciales. » Et pour s’en remettre à lui, Roland Sicard vante les vertus du règlement général pour la protection des données personnelles (RGPD) : « En termes de RGPD, cette utilisation est illégale, d’autant plus si la finalité de l’application est de délivrer un service santé prescrit par un professionnel de santé. Le professionnel de santé et/ou l’établissement de santé qui prescrirait l’application serait condamnable au plan de l’ordre et de l’éthique. » Roland Sicard ajoute : « En tant que dirigeant d’un établissement de cancérologie, je suis très souvent sollicité par ces start-up qui proposent leurs solutions gratuites mais qui, derrière, les financent en revendant les données de vie collectées aux labos pharmaceutiques. » Oui, Sicard le précise bien qu’il était dirigeant d’un centre de cancérologie (et patron d’une start-up de MedTech) et qu’il se plaignait du démarchage très fréquent de start-up qui, sous couvert d’applications « santé », revendent aux laboratoires pharmaceutiques nos données santé.

Séparer le bon grain de l’ivraie

Dans tous les domaines, il faut distinguer le bon grain de l’ivraie. Roland Sicard, qui joue sans hésitation la carte de la transparence, appartient sans doute à la première catégorie. Quand on oppose au patron de la Valériane, le slogan « Quand c’est gratuit, c’est que c’est vous le produit », Roland Sicard prend le pas : « C’est pourquoi nos solutions sont financées par les établissements de soins et les laboratoires de biologie. »

Quant aux données médicales, ­Roland Sicard rappelle que « les données de ­dossier médical partagées entre les professionnels de santé ont toujours été échangées et archivées ». La différence, c’est qu’ici, l’archivage et l’échange ne se font pas par courrier postal, téléphone ou e-mail, mais par messagerie médicale santé et par une application web sécurisée (norme du futur portail Ma santé 2022). « Dans tout progrès, il y a des déviances ou des risques de déviances, mais il y a aussi un cadre réglementaire qui est là pour les contenir et ce cadre en santé est très strict. » Voilà qui est censé nous rassurer ? Pas si sûr. D’autant moins que, selon un sondage mené par Odoxa pour l’Agence du numérique en santé (ANS), seuls 6 % des Français utilisent les services de la télémédecine. Peut-être que, contre toute attente, ce que veulent encore les Français, c’est un vrai médecin, un vrai thérapeute et de vrais hôpitaux.

 

A propos de l'auteur

Roland Sicard est diplômé d'un Master 2 de gestion financière et d'économie de la santé et d'un DU de médecine gériatrique. Spécialiste santé en organisation, marketing et numérique, il dirige depuis 1993 des structures hospitalières en cancérologie. Il est actuelelment président de l'Institut Sainte-Catherine, à Avignon. En 2008, il fonde la Valériane, start-up du numérique santé présente en France et en Amérique de Nord. Il dirige la Valériane et est à l'initiative de nombreux projets en lien avec la santé.

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À Lire. La mort de la mort, par Laurent Alexandre, éd. J.-C. Lattès. Une réflexion fouillée sur cette biotechnologie qui bouleverse l’humanité… Pour 
le meilleur ou pour le pire ?

Pour découvrir et télécharger 
les applications proposées par 
la Valériane, www.lavaleriane.fr

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