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"Jeûner apporte des bienfaits en cas de nombreuses pathologies", Dr Lionel Coudron

Cesser de manger pendant quelques jours pour améliorer, voire soigner, un problème de santé : considéré comme une ineptie il y a encore peu, le jeûne thérapeutique gagne en popularité, études à l’appui. Le point avec le Dr Lionel Coudron, qui accompagne des patients dans cette démarche.

Isabelle Fontaine

Alternative Santé. De nombreuses personnes viennent à vous pour être accompagnées dans un jeûne thérapeutique. Quels sont vos retours d’expérience ?

Dr Lionel Coudron. En tant que médecin ayant une vision globale de la pathologie et des solutions thérapeutiques, j’ai commencé à intégrer activement le jeûne dans mes prescriptions il y a une quinzaine d’années. Mais j’en observe les effets depuis plus longtemps encore, une trentaine d’années peut-être, à travers des patients précurseurs ayant régulièrement mené des jeûnes. J’ai, dans ma pratique, plusieurs cas de malades ayant bénéficié des effets positifs de cette démarche sur différentes pathologies telles que la dépression, le surpoids, l’eczéma, les douleurs articulaires et l’hypertension. De manière générale, le jeûne thérapeutique est profitable aux troubles liés à des excès en lien avec notre civilisation, comme les affections du système cardio-vasculaire ou les dérèglements métaboliques. Sur l’hypertension artérielle dite « essentielle », en particulier, j’observe que le jeûne pratiqué régulièrement, c’est-à-dire deux à trois fois pendant dix jours sur six mois, permet de faire baisser la tension d’un à deux points, sans médicaments. Les autres indications concernent les maladies inflammatoires et pour certaines auto-immunes, qu’elles soient rhumatismales – comme la polyarthrite et la spondylarthrite ankylosante – ou intestinales – comme la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique –, ainsi que des maladies neurodégénératives comme Parkinson.

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Comment explique-t-on les effets du jeûne sur la santé ?

Depuis quelques années, la recherche fondamentale s’accélère. Le jeûne, une nouvelle thérapie, un documentaire de Thierry Lestrade diffusé sur Arte en 2012, a fait bouger les consciences. Il révèle les travaux menés en Russie pendant la guerre froide (1945-1991) sur le jeûne long hydrique strict, qui consiste à boire uniquement de l’eau sur une période de quinze jours à trois semaines, auprès de malades atteints de troubles dépressifs et psychiatriques graves. Une rémission pure et simple des symptômes a été observée chez ces personnes, par ailleurs en échec thérapeutique. Ces résultats ont été obtenus sur des centaines, voire des milliers de patients, mais ils n’ont pu être diffusés en raison du contexte politique de l’époque. Aujourd’hui, on sait que le jeûne thérapeutique a un effet anti-inflammatoire. Il fait baisser l’ensemble des marqueurs impliqués comme la synthèse de la protéine C réactive, la sécrétion de cytokines et interleukines par les lymphocytes T et B, mais aussi la production de prostaglandines, de leucotriènes, d’histamine et d’enzymes lysosomales. Or, de nombreuses théories récentes tendent à montrer que l’inflammation est un acteur majeur de pathologies comme la dépression, les troubles cardio-vasculaires, l’hypertension artérielle, l’obésité et les allergies. Le jeûne a aussi un impact favorable sur le microbiote. Pendant la période de privation alimentaire, on constate une régression des villosités intestinales, puis un effet rebond avec une régénération de la muqueuse et une amélioration de la flore intestinale saprophyte. Enfin, une étude récente menée au King’s College de Londres montre que le jeûne permet un renouvellement des tissus des noyaux neuronaux centraux, et améliore les connexions synaptiques dans le cerveau.

On parle également beaucoup, ces dernières années, des effets du jeûne sur le cancer. Qu’en est-il vraiment ?

Les mentalités ont beaucoup évolué sur ce point. Le jeûne est désormais encouragé par certains oncologues. Cette pratique n’est pas plus dangereuse en cas de cancer que pour d’autres pathologies. Dans tous les cas, elle doit être menée sous surveillance médicale, et reste proscrite en cas de cachexie (état de faiblesse avancé de l’organisme), de masse musculaire faible ou d’ostéoporose. En revanche, ses bénéfices sont, de mon expérience, tout à fait intéressants, ce que suggère aussi la recherche récente. C’est à Valter Longo que l’on doit les découvertes les plus remarquables. Ce gérontologue italo-­américain qui a repris, dans les années 1990, les travaux du Dr Roy Walford sur l’augmentation de l’espérance de vie, a montré que des souris exposées à des ­produits de chimiothérapie et ayant préalablement jeûné survivaient toutes, alors que celles ayant été alimentées normalement avant le traitement mouraient. Il semblerait ainsi que le jeûne thérapeutique favorise la capacité des cellules saines à se protéger, alors qu’il fragilise les cellules cancéreuses. Utilisé comme « outil » complémentaire, il permettrait de limiter les effets secondaires de la chimiothérapie, mais aussi d’en potentialiser les effets. Il pourrait même être bénéfique en prévention, pour réduire, voire détruire, la masse tumorale, lorsque celle-ci en est encore à un stade microscopique. En effet, on a observé que lors d’un jeûne, la production du facteur de croissance IGF1 diminue – or il est avéré que c’est un engrais pour toutes les cellules, y compris cancéreuses.

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Que dire à ceux que l’idée de jeûner inquiète ?

Contrairement à certaines idées reçues, notre organisme est conçu pour jeûner. C’est un mécanisme naturel, hérité de nos lointains ancêtres chasseurs-cueilleurs qui s’alimentaient par intermittence et qui, malgré cela, devaient continuer à produire des efforts. On retrouve d’ailleurs le jeûne spontané chez tous les grands animaux. C’est aussi une approche thérapeutique dans beaucoup de traditions spirituelles comme le yoga, le bouddhisme ou le christianisme. Lors du jeûne, un processus interne se met en route pour nous donner de l’énergie. Au bout du troisième jour, le corps cesse de puiser dans les protéines pour produire de l’énergie directement à partir des réserves de graisse. Celles-ci sont transformées en partie en glucose, qui sert à la fabrication de l’ATP – adénosine tri-phosphate, le « carburant » de l’organisme – ; puis en corps cétoniques, substances énergétiques « de secours » de l’organisme. Des hormones comme la leptine (modérant la sensation de faim) et des neurotransmetteurs comme la dopamine, l’adrénaline et la neuroadrénaline sont alors produits. Ces dernières ont des effets stimulants des fonctions cérébrales cognitives et émotionnelles. Elles permettent de se sentir bien, motivé, concentré, dynamique : un véritable « état de grâce » que l’on peut vivre parfois lors d’un jeûne. Cela dit, il existe aussi des inconvénients : de la fatigue, des crampes, des maux de tête et une aggravation des douleurs, en général dans les premiers jours. Une supplémentation en sels minéraux basiques alcalins permet généralement d’y remédier. Dans ma pratique, j’observe que 10 % à 15 % des personnes ne supportent pas le jeûne. Cela est souvent lié à un manque de motivation. Il n’est pas si simple d’impliquer les patients dans une telle pratique.

Comment se lancer dans un jeûne thérapeutique lorsqu’on n’en a jamais fait l’expérience ?

Il faut être motivé, justement, et animé par la dimension spirituelle du jeûne, outre son aspect purement thérapeutique. C’est en effet un moment pour se retrouver, se reconnecter à l’essentiel, ralentir le rythme dans une société hyperagitée, et profiter du silence et du calme. Lorsque l’on n’a aucune expérience, je conseille de commencer par un jeûne court de deux jours, le temps d’un week-end par exemple. Plutôt que de se lancer dans un jeûne hydrique strict, je recommande un jeûne à très basses calories. C’est-à-dire consommer moins de 450 kcal par jour, ce qui correspond à un bol de soupe de légumes. Ainsi, on garde un rituel de repas et on apporte les sels minéraux nécessaires à l’organisme pour éviter les coups de pompe. On peut aussi pratiquer régulièrement des jeûnes séquentiels de courte durée, de quatorze à seize heures (en sautant un repas, comme celui du matin) jusqu’à vingt-quatre heures (en mangeant le soir puis en remangeant le lendemain soir). Nombre de personnes le font spontanément et, contrairement aux idées reçues sur le sacro-saint petit déjeuner, cela s’avère bénéfique pour l’organisme. De plus, jeûne ne rime pas avec immobilisme. Il est important de pratiquer une activité physique régulière adaptée pendant cette période. Enfin, lorsqu’on sort d’un jeûne, il faut veiller à la manière de se réalimenter en se tournant vers une nourriture saine et en évitant de grignoter entre les repas. Dans tous les cas, il est indispensable, dans un jeûne à visée thérapeutique, de se faire suivre par un médecin qui saura évaluer les contre-indications, faire le suivi, adapter la pratique et prescrire si besoin des médicaments ou compléments alimentaires.

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