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Le burn-out, qu'est-ce que c'est ?

Article paru dans le journal nº 40

« Docteur, je me sens fatigué, je fais un burn-out, je dois souffler ». Combien de fois un médecin entend-il cet autodiagnostic ? Trop souvent, pour être honnête, d’autant que ce terme est galvaudé par une grande presse qui ne saisit pas toujours la gravité du sujet. Non, il ne faut pas trois semaines pour en sortir… quand on en sort.

Il faudrait être Hibernatus pour ne pas avoir entendu parler du burn-out. Ces dernières années, ce « syndrome d’épuisement professionnel » (SEP) assure de bonnes audiences pour les médias, qui du coup se passionnent pour lui… tardivement, certes. Plus précisément, depuis que le burn-out a apposé sa signature sur les dépouilles des salariés qui se sont donné la mort sur leur lieu de travail, chez Renault, La Poste ou France -Telecom. C’était dans les années 2000. Avant, on n’en parlait peu ou mal. Et pour cause, difficile de traiter d’une maladie qui n’en est pas une, qu’on aborde à tout bout de champ, alors même que la communauté scientifique ne sait pas quoi en faire.

Car si le concept est apparu dans les années 1970 quand sont apparus les cas de karoshi, des salariés japonais morts suite à une surcharge de travail, il n’est classé nulle part comme maladie. Même le DSM-IV, la bible des psys, celle qui est capable de décréter que la timidité est une maladie mentale, n’en cite pas une seule ligne. Étonnant non ? Quoique… Peut-être que la ligne éditoriale de cette « bible » s’interdit de froisser les gros labos. Car le burn-out incrimine directement l’entreprise, le travail, son cadre, son management, son organisation.

Mal universel

Il est le miroir reflétant la déshumanisation brutale des rapports sociaux et professionnels qu’exige et impose notre modèle économique. Le burn-out est à l’humanité que nous portons en nous ce que la cirrhose est au foie. Le syndrome d’épuisement par le travail est la maladie de notre humanité, nécrosée par la déshumanisation de nos rapports, des modes de management en entreprise, d’un système économique aux répercussions multiples. Cette déshumanisation a ses règles, sa méthodologie, ses concepts, ses principes, certains élaborés par des psychiatres, des psychologues, transmis à de jeunes étudiants par les grandes écoles de commerce et de management.

Nulle structure n’offre d’herbe plus verte que l’autre, pas plus les multinationales que les associations, les hôpitaux que les groupes de presse, les cabinets d’architecte ou d’avocats que la fonction publique. Et personne n’est à l’abri. Car des agriculteurs aux médecins, des cordonniers aux banquiers, des mères ou pères au foyer aux ouvriers, le syndrome d’épuisement par le travail peut embraser n’importe lequel d’entre nous. Même les patrons, même les DRH. Ils peuvent se réveiller un matin, à bout, envahi de ce vide indéfini qui succède au brasier. Un brasier que ce vide singulier finit d’éteindre aussi brutalement qu’était engloutie l’image quand on éteignait les vieux téléviseurs à tube cathodique. Je me -rappelle qu’il restait durant quelques secondes un point blanc, au milieu de l’écran noir. Un burn-out, c’est un peu ça aussi : engloutir un individu et le réduire à ce petit point blanc au centre d’un écran devenu noir. Juste avant, il projetait encore le film de la vie que chaque victime réalisait avec soin, séquence après séquence. Jusqu’à ce que le scénario leur échappe, qu’il soit écrit par d’autres, et que la douce comédie sentimentale dont elle rêvait devienne un véritable film d’horreur.

Façon puzzle

Bien sûr, la révolution industrielle de la moitié du XIXe siècle était tout aussi inhumaine, en témoignent admirablement un Hugo ou un Balzac. Mais à cette époque, chacun savait ce qui l’attendait tout en s’appuyant sur la fraternité du groupe. De nos jours, l’organisation du travail promet à ses employés « un contrat narcissique qui présente le travail comme une activité enrichissante et flatteuse », comme le rappelle la psychiatre Marie-France Hirigoyen, tout en les trahissant au profit d’un modèle économique du toujours plus, toujours plus vite, peu importe l’éthique, la qualité, le sens.

Des témoignages recueillis dans l’excellent livre d’Emmanuelle Anizon et Jacqueline Rémy, « Mon travail me tue – burn-out : pourquoi nous craquons tous » (Éd. Flammarion, 2016), émergent le profond sentiment de trahison de celles et ceux qui conservaient les valeurs (visiblement) archaïques de perfectionnisme, d’implication, d’honnêteté, de -professionnalisme, d’altruisme, de valeurs et de qualités pour lesquelles, et contre toute attente, les victimes de burn-out ont été broyées. Sans soutien, dans l’isolement des couloirs où les collègues les plus proches fuient par crainte ou stratégie, la chute est inéluctable. Et si les ouvriers du XIXe siècle étaient fiers de ce qu’ils faisaient, la reconnaissance et la satisfaction du travail bien fait sont aujourd’hui, dans certains cas, abolis par le système entraînant le burn-out.

« Massacré », « broyé » sont les mots les plus souvent employés. À la spoliation d’un environnement de travail acceptable, voire valorisateur si ce n’est idyllique (idéalisé ?) pour le transformer en lieu de souffrance quotidienne, le « système » ajoute, selon tous les témoignages de ce livre, la destruction méthodique de l’individu, en le dévalorisant, le dégradant, l’humiliant, vidant ce travail si important, de son sens, de sa nourriture psychique que sont la satisfaction, la reconnaissance, la gratification. Des rêves brisés à une humanité piétinée, la somatisation est systématique. Toucher au travail de ceux dont il est la raison de vivre, c’est attenter à leur propre vie. Et vient ce jour où le corps refuse et ne répond plus après que, systématiquement, des idées suicidaires embrument l’esprit. Après avoir souffert si profondément de son humanité, se reconstruire prend du temps… Quand l’écran finit par se rallumer, redéployant des séquences après ce petit point blanc au centre de l’écran, la victime de burn-out est une autre personne, souvent méconnaissable, systématiquement incapable de reprendre ce travail qu’il aimait tant. Et la médecine contemporaine se trouve bien souvent démunie face à ce mal qui ronge nos sociétés. L’antidote ? Parler, livrer, témoigner, diffuser… Alors, parlons-en.

Concept récent, réalité millénaire

On pourrait croire que le burn-out est le mal du XXIe siècle, mais on trouve dans la Bible deux figures correspondant à l’épuisement professionnel, et non des moindres : Élie et Moïse. Après le massacre des prêtres du dieu Baal, Élie est contraint à l’exil dans le désert où, en proie à un profond découragement, il souhaite la mort (1 Rois, 17-21). Quant à Moïse, en plein Exode, exténué par des frondes contre son autorité et une perpétuelle défiance vis-à-vis de Dieu, il est tenté par la mort (Livre des nombres, XI, 4-6). Moins biblique, le médecin suisse Samuel Tissot dresse déjà le tableau, en 1770, de diverses personnalités de gens de lettres mourant littéralement à leur tâche d’érudition. Et puisque nous abordons les gens de lettres, Gustave Flaubert a sacrifié sa vie sentimentale et sociale pour son travail. Dans ses formes modernes, l’épuisement revêt plusieurs formes. En 1911 est répertoriée une forme de neurasthénie des instituteurs allemands associant exacerbation sensorielle, migraine, fatigue, incapacité à travailler, etc. On repère, dans les années 1920, la « fatigue industrielle », et en 1956 est décrite une spectaculaire névrose des téléphonistes (données relevées dans le livre de Philippe Zawieja, « Le burn-out »). En 1960, Graham Greene contribue à remettre le terme à la mode dans un roman intitulé « A Burn-Out Case ». Toutefois, les premières bases théoriques sur le sujet sont jetées en 1974 par Herbert Freudenberger lorsqu’il s’est penché sur la démotivation des employés d’un centre de désintoxication, suivie par Christina Malasch, dont le sérieux scientifique a permis une popularisation légitime du concept.

Le burn-out a été décrit pour la première fois en 1969. Son champ d’applicationa été progressivement élargi à toutes les activités rémunérées et à tous les niveaux de qualification. Sauf que les femmes et les hommes qui restent à la maison parce qu’ils ont la charge de plusieurs enfants ou d’un proche malade ou âgé ne sont pas pris en compte. Aujourd’hui, le burn-out est défini comme le résultat d’une surcharge prolongée de travail et se caractérise par « un sentiment de fatigue intense, de perte de contrôle et d’incapacité à aboutir à des résultats concrets au travail ».

En lien avec un monde fou

La survenue du burn-out est le plus souvent le fait de la conjonction de plusieurs facteurs :

En ce qui concerne l’organisation du travail, citons la précarisation de l’emploi qui pousse à le conserver à tout prix. Situation qui génère un grand stress quand on ne peut pas en changer.

La culture du lean management qui vise à réduire toutes les formes de pertes évitables. Elle conduit parfois à un règlement intérieur inhumain (interdiction de parler avec qui que ce soit autrement que pour des questions techniques, obligation de rester debout des heures durant, réduction des pauses…) et à une surveillance sans relâche de chaque employé : soumis à une demande psychologique élevée et ne disposant que d’une faible marge décisionnelle, celui-ci se ressent comme robotisé.

L’entreprise élevée au rang d’objet de culte qui oblige l’employé – qu’il veuille faire carrière ou qu’il désire conserver son salaire – à se soumettre à toutes les exigences de la direction comme celles d’être toujours à son meilleur niveau, de se montrer disponible, de changer de région -régulièrement en échange d’une promotion ou à l’occasion de toute nouvelle restructuration.

Le manque d’équité de la hiérarchie dans la façon de répartir les tâches, de reconnaître la valeur du travail rendu, de rémunérer selon le poste occupé et le sexe.

L’addiction au travail de certains responsables qui, tout à la fois, les fragilise et « encourage » leurs équipes à suivre leurs exemples.

Les conséquences de cette forme d’épuisement sont loin d’être toutes connues. On peut citer l’état d’insécurité émotionnelle, la distanciation de ses besoins élémentaires (pauses, loisirs…), le recours à des substances psychoactives pour être à la hauteur, le sentiment d’exclusion, l’incapacité à faire reconnaître ses besoins, l’impression de ne pas être compris, la progressive déshumanisation (surinvestissement émotionnel pour atteindre ses objectifs, incapacité à y parvenir, sentiment d’échec, accès de colère ou de pleurs, confusion, démotivation…), ou encore la déstructuration de la vie familiale (altération de la relation de couple, maladies psychosomatiques chez le partenaire et les enfants).

La maladie, psychologique ou physique, nécessitant un arrêt de travail prolongé, voire la mise en invalidité est une autre conséquence avérée :

 

  • Problèmes musculo-squelettiques, migraines, perte ou prise de poids importante, diabète de type 2, maladies cardiovasculaires, ulcère gastroduodénal, eczéma, infections à répétition…
  • Dépression réactionnelle, idées suicidaires.
  • Très probablement des allergies, des maladies auto-immunitaires, des cancers et des pathologies hormonales (mais le manque d’études ne permet pas de les reconnaître comme liées au burn-out).
  • Au pire, le décès sur le lieu de travail par suicide ou par infarctus.

 

La déshumanisation discutée

La reconnaissance du burn-out par le corps médical puis par les instances législatives a nécessité l’élaboration d’une liste de critères identifiables et fiables. Publié en 1981, le Maslach Burn-Out Inventory (MBI) sert aujourd’hui de référence internationale. Malheureusement, sa version française serait moins valable, certains auteurs lui reprochant un manque de consistance au niveau de l’échelle de déshumanisation.

3 millions de Français

On estime en France qu’entre 5 et 10 % de la population active est touchée par le syndrome d’épuisement professionnel. Ce qui laisse entendre qu’entre 90 et 95 % de la population active est épargnée. Cependant, 5 et 10 % représente tout de même entre 1,5 et 3 millions de personnes en France en 2015, en intense souffrance. Un cabinet d’évaluation et de prévention des risques a réalisé une étude sur tous les actifs qui dévoilait que les secteurs touchés sont classés comme suit : les agriculteurs (23,5 %), les artisans, commerçants et chefs d’entreprise (19,7 %), les cadres (19 %) et les ouvriers (13,2 %).

Combien ça coûte

Aux États-Unis, le coût des 23 millions de cadres ayant souffert de burn-out en 1970 a pu être estimé entre 10 et 20 milliards de dollars par an. En y incorporant les arrêts maladie, les longues incapacités de travail et les rotations de personnel, la charge s’élève à 300 milliards de dollars. En Europe, l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail estimait en 2010 les coûts liés au stress à plus de 20 milliards d’euros. En France, les estimations de 2007 chiffraient les coûts entre 1,9 et 3 milliards d’euros sur la base de 27,8 millions d’actifs.

Des profils types

Pour ce qui concerne le profil même de la victime et la présence de certains traits de caractère chez l’employé, on peut citer la fragilité émotionnelle créée et entretenue par le manque chronique d’estime de soi ou un contexte familial difficile, la croyance inconsciente que la loyauté au système garantit le besoin d’appartenance et de reconnaissance, le perfectionnisme, le désir de tout contrôler, ce qui induit l’incapacité à déléguer quand la charge de travail dépasse les possibilités physiologiques, et enfin l’incapacité à dire non.

Mythologie

Si le burn-out peut faire penser à Icare, celui qui s’est brûlé ses ailes de cire à vouloir voler trop haut, la figure de la mythologie correspondant au mieux à ce syndrome reste le tonneau des Danaïdes, princesses de la mythologie grecques, condamnées à remplir pour l’éternité un tonneau sans fond ou des jarres fêlées. Car ici, plus que l’effort physique, c’est la question du sens du travail qui est posée (sensation de vide).

À lire

Philippe Zawieja, « Le burn-out », Éd. PUF (2015), 9 €.

Dr Francis Baumann, « Le bore-out, quand l’ennui au travail rend malade », Éd. Josette Lyon, (2016), 11,90 €.

Lise Gaignard, Fabienne Bardot, et autres, « Chroniques du travail aliéné », Éd. D’une (2016), 12 €.

Manu Larcenet, « Guide de la survie en entreprise » (bande dessinée) Éd. Fluide Glacial (2005), 9,95 €.

Zoé Shepard, « Absolument dé-bor-dée » Éd. Albin Michel (2010), 19,30 €.

Emmanuelle Anizon et Jacqueline Remy, « Mon travail me tue - Burn-out : pourquoi nous craquons tous » Éd. Flammarion (2016), 19,90 €.

 






 

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