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Se réapproprier sa féminité par l’observation de son corps

Naturopathe, dédiée à la cause féministe depuis son engagement dans le Mouvement de libération des femmes à Genève dans les années 1970, Rina Nissim invite les femmes à se réapproprier leur santé par une meilleure compréhension de leur corps. Auteure d’un ouvrage à succès sur la gynécologie, elle dénonce des normes médicales qui laissent souvent peu de place à la liberté des intéressées.

Lucile de la Reberdiere

Alternative Santé. Vous avez dit « il est parfois plus facile pour une femme de tomber malade que de se révolter ». La maladie, c’est une ultime façon de s’exprimer ?

Rina Nissim. La maladie, c’est l’expression de contraintes que l’on subit sur le plan émotionnel, environnemental, hormonal, bactérien… En effet, quand ça devient trop difficile pour l’organisme, la seule solution c’est de tomber malade. J’ai grandi dans un milieu patriarcal. Il y en avait beaucoup pour mon frère, pas beaucoup pour moi. Je pense que je devais avoir un peu d’ambition dans la vie pour que ça me contrarie à ce point, car j’ai été une enfant très malade. Ces contraintes, quand on n’est pas capable de les identifier et de les corriger, on les subit jusqu’à ce que ça s’exprime sous forme de pathologie.

A. S. Vous avez contribué à la naissance du mouvement Self-Help, une approche militante invitant notamment à l’auto-observation génitale. Est-il ainsi possible de détecter quelque chose d’important pour sa santé ?

R. N. Il faut préciser que l’auto-­observation ne peut fonctionner que dans une approche collective. Toute seule, cela ne serait pas émancipateur. En groupe, on vise la réappropriation de ce qu’on est, et la destruction de tabous. Il y a beaucoup de préjugés sur la vulve, les odeurs, les sécrétions. Je pense que ce qui s’est passé pendant les quatre siècles de chasse aux sorcières a imprégné notre mémoire collective. Nous avons beaucoup de honte au sujet de nous-mêmes, et de complexes qui peuvent être levés en s’y mettant à plusieurs. Alors on s’émerveille. On se rend compte que nous sommes belles, toutes différentes et combien ces préjugés sont inutiles. À l’époque, au MLF, on faisait des groupes de conscience pour comprendre ce qui nous appartenait et ce qui faisait partie de l’oppression afin de s’en débarrasser. Quand un groupe souhaite aller plus loin, il apprend à reconnaître les phases ovulatoires, à reconnaître une mycose ou une infection à trichomonas.

A. S. Et ne pas attendre l’unique rendez-vous gynéco de l’année ?

R. N. Les groupes Self-Help ont travaillé sur ce qui n’intéressait pas les gynécos. Quand c’est grave, on a besoin d’eux. Face à un kyste de l’ovaire avec une torsion, il faut un chirurgien. Mais il y a des pathologies plus bénignes qui ne les intéressent pas trop. Beaucoup de prescriptions se font par téléphone pour des mycoses chroniques, par exemple. Il n’y a même plus d’examens, l’ordonnance arrive par la poste. Les gynécologues sont formés pour travailler sur de la haute pathologie, pas sur les petits troubles fonctionnels. Or, il est ­possible de se réapproprier ce que l’on peut traiter par nous-mêmes, qu’il s’agisse d’infection, de ­contraception ou de sexualité.

A. S. Vous défendez l’utilité de l’autopalpation des seins pour ne pas attendre la mammographie et vous regrettez que cette technique dépiste « trop de cancers ». Pouvez-­vous développer ?

R. N. L’avantage de l’autopalpation, c’est qu’on peut détecter les choses vite et que de petites masses sont toujours plus faciles à traiter que des grosses. Les mammographies ont plusieurs inconvénients, notamment celui des rayons X. Donc l’acte a une incidence sur le nombre de cancers détectés. Irradier les seins tous les ans, c’est mauvais. C’est pour ça qu’on est passé au dépistage ­bisannuel. Les mammographies peuvent aussi détecter des « faux positifs » parce que, dans le corps, il y a souvent des masses qui dégénèrent dans différents tissus mais, le plus souvent, notre système immunitaire fait la voirie tout seul : les globules blancs mangent les mauvaises cellules et les nettoient par la lymphe. Si cela ne se fait pas, l’organisme peut aussi enkyster la masse. Il n’est pas rare qu’une autopsie sur une personne âgée révèle une petite masse sur le rein, ­enkystée avec une tumeur bénigne autour. Si cette personne avait été diagnostiquée quinze ans plus tôt, qu’on lui ait asséné la mauvaise nouvelle d’un cancer, il n’est pas sûr qu’elle aurait vécu aussi longtemps. À la fin, on dépiste trop de cancers peu graves qui n’auraient peut-être pas évolué et ceux qui sont graves, on les dépiste quand même trop tard. Les mammographies sont utiles, mais il y a aussi les thermographies et les échographies qui donnent de bonnes images. Le problème, c’est qu’on met l’argent dans le dépistage, mais si on travaille en prévention, on aura de meilleurs résultats.

A. S. Vous constatez, par ailleurs, que les médecins ont tendance à moins dépister le cancer de la prostate pour ne pas entraver les hommes dans leur masculinité.

R. N. Ils se laisseraient moins faire. Les hommes supportent moins bien les interventions pénibles, les effets néfastes. « Un toucher rectal ? Non mais ça va pas la tête ! » Les femmes sont plus soumises aux médecins, plus « collaborantes ». Ils n’ont jamais lancé de campagnes de dépistage du cancer de la prostate parce qu’ils savent également qu’il y aurait beaucoup de faux positifs.

A. S. Vous dénoncez un « viol de l’ovule » pour résoudre les problèmes de fertilité. S’agit-il de procréation médicalement assistée ?

R. N. Oui, cette idée d’amener les spermatozoïdes juste devant l’ovule comme pour les encourager à y aller semble étrange. Pour les couples qui n’ont pas d’autres solutions, c’est génial. Mais cette technique questionne parce que la sélection naturelle, c’est tout de même utile. J’ai accompagné des femmes dans des problèmes de fertilité et ça m’a toujours bouleversée de voir que, quand bien même le sperme de leur partenaire était appauvri, et qu’elles avaient perdu beaucoup d’années, elles ne voulaient toujours pas un sperme de donneur. C’est troublant.

A. S. Vous dites que si le foie est fatigué, la femme se congestionne avec ses propres hormones. Elle s’auto-empoisonne en fait ?

Le syndrome prémenstruel, quand on a les seins gonflés et qu’on est très ballonnée en fin de cycle, c’est ça. Le foie, qui est chargé de dégrader les œstrogènes et la progestérone, n’arrive plus à éliminer. Au fur et à mesure, on s’auto-­intoxique avec nos propres hormones. Les règles sont d’autant plus douloureuses et violentes. C’est la raison pour laquelle juste avant les règles, faire un petit jeûne ou boire des jus de carotte est bienvenu.

A. S. La docteure Catherine ­Kousmine insistait sur l’importance des cures de vitamines, notamment E et F. Pourquoi celles-ci sont-elles cruciales dans la santé féminine ?

R. N. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui les acides gras poly­insaturés 3-6-9. Il s’agit d’éléments essentiels pour l’immunité cellulaire, ce qui nous intéresse d’autant plus en temps de Covid. On les trouve dans les huiles pressées à froid. Chez nous, la seule huile pressée à froid est souvent l’huile d’olive. Or fonctionner avec de l’huile d’olive toute l’année, ça ne suffit pas. Il faudrait varier plusieurs huiles différentes. Les gens ont peur de prendre du poids, mais c’est le corps gras animal qu’il faudrait diminuer, pas le végétal. On peut donc couper l’huile d’olive avec une huile de noix et consommer aussi du colza ou du tournesol sur les légumes, en dépassant deux cuillères à soupe, par personne et par jour. Autour de l’adolescence et de la ménopause, et en cas de projet de grossesse, on a besoin de davantage d’omega-6 : on misera sur les huiles d’onagre ou de bourrache. Pour pouvoir les absorber, il faudra les omega-3 du poisson.

A. S. A la ménopause, peut-on se fier aux hormones de substitution bio-identiques, extraites de plantes ?

R. N. Extraites de plantes, puis modifiées chimiquement ! Non, on est inondées d’hormones… Il y a déjà les xénoestrogènes, ces fameux perturbateurs endocriniens et la pilule. Les femmes ont une sexualité plus tôt, démarrent la contraception plus tôt, tout en repoussant leurs projets de grossesse. Cela donne quinze parfois vingt ans de prises hormonales. A la ménopause, ce n’est peut-être pas intelligent d’en rajouter une couche. Plus il y a d’exposition à ces hormones, plus il y a de risques de maladies hormono­dépendantes. Ce n’est pas moi qui le dis. Le Centre de recherche sur le cancer à Lyon a classé la pilule et les hormones de substitutions comme cancérogènes. Deux études, Million Women Study et Women’s Health Initiative, commandées par l’OMS, ont prouvé le lien entre hormones de substitution et cancer du sein. Suite à leurs parutions, des millions de femmes ont cessé d’en prendre, et l’incidence du cancer du sein a drastiquement baissé dans le groupe d’âge concerné. Mais les fabricants reviennent avec leurs crèmes œstrogéniques bio-­identiques et la fréquence de l’endomètriose augmente. Et le marché est juteux parce que, chez nous, les femmes ont peur de vieillir, alors ce type d’informations n’est pas valorisé.

En savoir plus :

Le succès de son premier livre a permis à Rina Nissim d’envisager la création des éditions  Mamamélis, situées  en Suisse. Le catalogue axé sur la santé féminine au naturel propose notamment des ouvrages comme La ménopause : réflexions et alternatives aux  hormones de remplacement, Une sorcière des temps modernes ou Luna Yoga. Ce catalogue s’enrichit d’ouvrages  sur les luttes féminines issues  du mouvement des femmes comme ceux de Audre Lorde  et Adrienne Rich,  publiées en français. www.mamamelis.com

 

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