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"Médecine et chamanisme peuvent se conjuguer", Muriel Dodin-Delvaux

Le Dr Muriel Dodin-Delvaux n’est pas une thérapeute comme les autres. Médecin généraliste et médecin du sport, installée en Essonne, elle a fait un détour par le chamanisme en Amérique du Sud. Ces cultures si différentes que sont la médecine occidentale et le chamanisme ont enrichi ses techniques de soins, modifié sa façon de voir les patients et la maladie. Entretien.

François Lehn

Alternative Santé. Comment en êtes-vous arrivée à vous intéresser à d’autres approches médicales, comme le chamanisme ?

M. D.-D. Mon intérêt pour d’autres approches date de mes études de médecine. À l’hôpital, je trouvais la façon de gérer la mort profondément insatisfaisante. Quand on est externe, on va signer des certificats de décès, donc on vérifie que la personne est bien en état de mort clinique. Mais moi, je sentais une présence autour des défunts, quelque chose d’autre. J’étais très insatisfaite de la façon dont on traite la mort, et de ce qui se passe avant, vis-à-vis des patients en fin de vie. Je me suis éloignée de l’hôpital. Je me suis dit qu’il fallait que je trouve ma façon de soigner. À la sortie de mes études, j’ai fait ­pendant dix ans des remplacements. Puis, je me suis formée à l’ostéopathie.

Là tout a changé. L’approche tactile m’a beaucoup plu. On touche les corps, les os, les muscles, avec cette technique on va chercher plus loin. Un de mes professeurs d’ostéopathie travaillait avec ce que l’on appelle l’énergétique. Il m’a indiqué le nom d’un chaman à Lyon qui travaillait sur et avec la sensation et la perception de ce qui n’est pas matériel. C’est avec lui que j’ai appris à travailler sur les émotions et l’extraction des nœuds émotionnels. J’ai fait mon premier voyage au Pérou à 50 ans. Je suis partie avec une amie pour un voyage organisé par un chaman. J’ai vécu des cérémonies dans des lieux sacrés : à Cuzco, au Machu Picchu, au lac Titicaca.

Quels sont vos souvenirs ou les expériences les plus marquantes avec le chamanisme ?

La première fois, c’était au Machu Picchu. Lors de la cérémonie, j’ai eu l’impression de vivre trois morts successives. Je sentais que je mourais, puis je démarrais autre chose et on me demandait de mourir à nouveau. Pendant cette expérience, j’ai compris que l’on n’est pas habité que par ce que l’on vit ici et maintenant. On arrive dans ce monde avec un petit bagage. Les morts traversées avaient un sens. J’ai compris que l’on peut mourir puis renaître. C’est important de se laisser mourir. Lors de cet événement, plus je résistais, plus j’avais mal. Il fallait que je me laisse aller à ces passages successifs. Un peu comme dans la vie : plus on résiste et plus notre corps nous fait mal. Notre corps est un outil magnifique qui nous révèle là où on en est. Lors d’une autre séance au lac Titicaca, j’ai eu l’impression d’évacuer tout ce que je portais de difficile dans cette vie, familialement et personnellement. J’ai beaucoup pleuré. Une charge émotionnelle se libérait enfin. Je me suis allégée d’un poids. Un monde, dont j’ignorais l’existence, s’est ouvert à moi.

Depuis ces cérémonies, je suis devenue hypersensible aux plantes, aux rochers, aux montagnes. Je me suis rendu compte que tout est vivant. Je ne vois plus les plantes de la même façon maintenant, j’ai compris qu’il y avait autre chose que la matière. Je sentais les liens avec les autres. J’ai l’impression que ça m’a guérie de plusieurs choses, d’une certaine tristesse.

Pouvez-vous nous raconter plus précisément la façon dont se déroule une cérémonie ?

Chaque cérémonie est différente, mais voilà ce que j’ai vécu. Nous étions une quinzaine de personnes, toutes habillées en blanc. Deux chamans nous encadraient. Au début, les chamans fument du tabac pour purifier et protéger le lieu. Les cérémonies se déroulent souvent la nuit. Pour nous, cela s’est passé très tôt le matin. Il faut préparer la cérémonie avec quelques précautions. On ne se nourrit pas avant, on est à jeun. On se met en cercle, dans un lieu calme. Le chaman fait venir les gens un par un pour prendre la plante sacrée, l’ayahuasca. C’était une expérience toute neuve pour moi, je n’ai jamais pris de drogue de ma vie, même pas un pétard, mais là, on sait qu’on prend une plante sacrée, pas de la drogue. Ensuite, on s’assied le plus longtemps possible. On évite de s’allonger. La plante a des effets digestifs certains. On ferme les yeux et après quelque temps, ça commence. Lorsque les yeux sont fermés, on est comme dans un film : des images nettes défilent, mais quand on ouvre les yeux, tout est normal. C’est vraiment un travail intérieur qui s’opère. Ce qui est très étrange au début, c’est que l’on sent que le mental se débat, il ne veut pas voir, voyager. Je n’ai pas compris les visions que j’ai eues. Je me souviens d’un serpent magnifique de toutes les couleurs qui est venu vers moi et qui m’a emmené en voyage. Le mental finit par s’effacer et on est dedans, on ne cherche pas le sens, on vit la chose. Le chaman m’a dit après que la plante m’avait accepté. Durant la séance, il lui est arrivé de venir à mes côtés pour me chanter une chanson avec une tonalité particulière. La musique et ses chants sont comme un fil qui nous raccroche, pour ne pas aller trop loin.

Quel autre moment fort ­pouvez-vous nous décrire ?

Une autre cérémonie s’est déroulée au bord d’une rivière. Nous nous sommes baignés avant. Le chaman m’avait dit de mettre une intention. La mienne était de pouvoir parler aux esprits de l’eau. Après la cérémonie, je suis restée seule au bord de l’eau. Alors, j’ai vraiment eu l’impression de contacter des êtres de l’eau, des petits êtres féeriques. Depuis, je sens que quelque chose passe par mes mains, comme des chakras qui se sont ouverts. J’ai l’impression que maintenant, je conserve cette ouverture dans mes soins.

Est-ce que vos connaissances en chamanisme, vous ont amené à voir votre pratique de médecin différemment ?

Complètement. J’ai compris que la maladie avait un sens. Tout ce que l’on vit a un sens. Il n’y a pas de hasard. Il est important que la personne comprenne ce qu’elle traverse, une maladie, une douleur, une blessure, et qu’elle en tire un bénéfice. Tout cela veut dire quelque chose.  A mon retour du Pérou, je me suis lancée dans l’astrologie pour aller plus loin. J’ai senti une « synchronicité ». C’était le moment pour moi d’étudier ce domaine. Je me suis formée à Paris, à l’école Agape. Au fond, j’ai l’impression que cela permet de donner des clés de compréhension et une ­méthodologie adaptée à l’Occident, dans un langage audible pour un Occidental.

Quels sont les bénéfices à tirer de cette double culture scientifique et chamanique ?

Soyons clairs, je suis médecin et je soigne mes patients selon la médecine occidentale. J’ai constaté toutefois que mes patients avaient changé. Ce ne sont plus les mêmes personnes qui me consultent. Maintenant, je pense que je peux aider autrement. Je tente de les aider à changer leur façon de vivre, à vivre plus heureux, à prendre soin d’eux. L’idée intéressante est de redonner à la personne sa capacité de guérison. J’ai appris à utiliser les huiles essentielles avec un chaman. Lorsque j’en conseille, je demande à mes patients de se souvenir de la blessure sur laquelle ils doivent travailler et de respirer une huile essentielle particulière, chaque jour. Chaque huile essentielle a une symbolique, elle est porteuse d’un message. La symbolique va parler à la personne.

Pour illustrer cette approche, je vais vous raconter une histoire. Au début de cette nouvelle forme de soins, une dame souffrant de lombalgie est venue me voir. J’ai fait ce que j’avais l’habitude de faire avec mon ressenti pour la soulager et pour l’orienter vers une approche intérieure de sa douleur. Puis, plus de nouvelle. Je l’ai revue deux ans plus tard. Je ne l’ai pas reconnue. Elle était mourante, elle avait des métastases dans le rachis et souffrait beaucoup. Au moment de partir, elle me dit : « Vous vous souvenez ? Vous m’aviez touchée à la hauteur de la poitrine et vous m’aviez dit que quelque chose n’était pas normal sur le poumon. Vous êtes la seule à avoir senti le cancer du poumon que j’avais. » Elle est décédée une semaine plus tard. J’ai eu la sensation qu’elle était venue me dire que je pouvais avoir confiance en ma sensation des mains.

Que ressentez-vous avec vos mains ?

Je sens le corps émotionnel. Je sens si la personne a une pathologie dans son corps physique, émotionnel ou mental. Je peux être amenée à sentir s’il y a une cause émotionnelle qui explique que la cause physique ne cède pas. Par exemple : un patient souffre de douleurs à l’épaule. Les IRM ne montrent rien. Mais son foie est plein de colère, une émotion négative flambe et entretient l’inflammation de l’épaule. Je vais alors chercher l’émotion, je peux aller jusqu’à dater le traumatisme, le situer dans l’histoire paternelle ou maternelle. On peut ensuite travailler avec des huiles essentielles pour mettre de la conscience sur la part qui a été blessée. Mon passage par d’autres cultures m’aide à avoir une conscience plus aiguë d’un questionnement, d’une recherche de sens, de ce que l’on vit. Dans les situations les plus ­difficiles, j’essaie de donner ce recul à mes patients sur la mort ou sur leur maladie. À travers le corps et les soins du corps, on peut ­guérir des blessures plus subtiles. À mesure que l’on avance, on enlève des couches à ses blessures. Le plus important, c’est de parvenir à s’ouvrir et à voir les choses différemment. De telle sorte que la maladie, la vie et la mort deviennent plus douces.

 

Biographie

Issue d’une famille très « conservatrice », la vie de médecin de Muriel Dodin-Delvaux était toute tracée. Mariée, mère de plusieurs enfants, son questionnement sur la vie, la santé, la mort, les autres façons d’aborder l’Homme ont fait dévier sa trajectoire de sa vie. Rapidement, elle commence en 2011 ses premiers voyages initiatiques en Amérique du Sud. Ces initiations au chamanisme vont bouleverser sa perception
de la médecine et de sa vie.

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