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Marie-Claire Frédéric : "La fermentation, c’est du vivant à l’état pur !" 

Quel est le point commun entre la bière, les cornichons, les harengs, le pain au levain et la soupe miso ? Ce sont tous des aliments fermentés, utiles à notre santé à condition de savoir les consommer. Le point avec Marie-Claire Frédéric, auteur, historienne de l'alimentation et spécialiste de la fermentation. Celle-ci a ouvert il y a peu le restaurant Suri à Paris, spécialisé dans les aliments fermentés.

Lucile de la Reberdiere

Actualisé 15/05/2019

Que sont exactement les aliments fermentés ?

Des aliments transformés par des micro-organismes : bactéries, levures, moisissures, champignons. Ce processus n’est possible qu’en anaérobie, c’est-à-dire en l’absence d’oxygène. Sinon, les microbes se multiplient. Quand il n’y a pas d’oxygène, les microbes sont stressés et fabriquent des molécules pour assurer leur survie, parmi lesquelles de l’acide lactique ou de l’alcool. Mais au cours du processus, on a observé qu’ils fabriquent également du gaz carbonique, des substances aromatiques et même des vitamines. C’est un mécanisme naturel qui a lieu sans l’intervention de l’homme. Son utilisation, au départ pour conserver les aliments, est très ancienne et remonterait à la Préhistoire.

La fermentation a une mauvaise réputation, et on l’associe à la putréfaction. Pourquoi ?

Il faut remonter aux travaux de Louis Pasteur, à la fin du XIXe siècle. À l’époque où le savant découvre les micro-organismes, les gens souffrent du choléra, de la tuberculose, de la diphtérie… des maladies mortelles. Ce monde microbien a fait très peur aux scientifiques. La fermentation et le développement des bactéries ont dès lors été présentés comme néfastes, et cette méfiance a persisté jusqu’à notre époque, encore très hygiéniste. Les produits ménagers qui cherchent à éradiquer 99,9 % des microbes ont transformé nos cuisines en cliniques. Pourtant, la fermentation, c’est du vivant à l’état pur !

Vous voulez dire que les bactéries de la fermentation peuvent nous faire du bien ?

Évidemment, mais pour cela il faut avoir en tête que nous sommes des substrats à bactéries. Nous en avons partout : sur la peau, dans la bouche, les oreilles, les poumons, l’estomac et bien sûr les intestins (lire p. 9). Sans elles, nous ne pourrions pas survivre. Elles forment le microbiote, un rempart contre les pathogènes qui nous attaquent en permanence. Or, les bactéries fabriquées au cours de la fermentation, qu’on appelle les probiotiques, sont les mêmes que celles qui vivent dans nos intestins. Elles viennent renforcer les troupes déjà présentes pour assurer l’équilibre de notre système digestif.

Comment agissent-elles ?

La fermentation libère des enzymes qui réduisent les grosses molécules organiques en molécules plus petites. Elles facilitent l’assimilation des amidons et des protéines en scindant les protéines crues en acides aminés, ainsi que les amidons et les sucres complexes en sucres simples. Ces nouvelles molécules, plus petites, sont plus faciles à traiter pour l’organisme et plus utiles. Ainsi, les personnes qui ont du mal à digérer les fibres supporteront beaucoup mieux les légumes fermentés que les légumes frais.

Concrètement, quels sont les différents types de fermentation ?

On classe les modes de fermentation en fonction de la substance produite au terme du processus. Il y a d’abord la fermentation lactique : les bactéries se nourrissent des sucres de l’aliment et les transforment en acide lactique. C’est le cas des yaourts, des fromages, de la choucroute, mais aussi du saucisson, des salaisons de viandes et de poissons comme le caviar ou les anchois. La fermentation alcoolique, elle, est assurée par des levures et est à la base de la production des boissons alcoolisées. Les micro-organismes transforment les sucres du jus de raisin ou du moût de céréales en alcool et en de nombreux composés aromatiques. Enfin, la fermentation acétique est l’étape qui suit la fermentation alcoolique. Elle transforme le vin en vinaigre. C’est la seule qui a lieu en présence d’oxygène.

Si les bactéries se nourrissent des sucres, cela signifie que l’on ne peut fermenter que des aliments qui en contiennent ?

En effet, mais tous les aliments contiennent un minimum de sucre. L’un des avantages de la fermentation c’est d’ailleurs qu’elle réduit le taux de sucre d’un aliment. De même, les gens intolérants au lactose peuvent boire du lait fermenté en yaourts ou en fromages, car ce sucre aura été transformé par la fermentation.

L’acidification générée par la fermentation n’est-elle pas déconseillée aux personnes qui souffrent d’inflammation intestinale ou d’un terrain acide ?

Au contraire, consommer des aliments fermentés apaise l’inflammation des intestins. On pense que l’acidité acidifie, mais c’est une idée reçue. Le taux d’acidité de notre corps est régulé d’une manière absolument exacte par nos organes internes. S’il bouge ne serait-ce qu’un petit peu, on se retrouve aux urgences. Le vinaigre, sans doute un des aliments les plus acides avec un pH de 2 ou 2,5, rencontre dans votre estomac un environnement encore plus acide que lui, puisque le pH de l’estomac se situe à 0 ou 1. Cet organe passe tous les aliments sous une douche d’acide chlorhydrique pour préparer leur décomposition. Les bactéries produites au cours de la fermentation complètent cette action prédigestive. Et puis, lorsqu’on vieillit, la production d’acide chlorhydrique diminue, rendant plus difficile la digestion. Les aliments fermentés stimulent sa production.

 

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Quel rôle le sel joue-t-il dans la fermentation ?

On l’utilise uniquement dans la fermentation des légumes. Le légume se retrouve alors submergé dans sa propre saumure et atteint plus vite le stade d’anaérobie. Le sel favorise aussi les bactéries lactiques par rapport aux bactéries pathogènes liées à la décomposition. La Listeria et les salmonelles n’aiment pas le sel. Cela rend même les légumes plus croquants. Attention toutefois, les personnes qui suivent un régime sans sel strict devront s’abstenir. En revanche, dans le cadre d’une alimentation variée, cela convient tout à fait.

Comment faire fermenter soi-même des aliments ?

La lacto-fermentation des légumes est la plus accessible. On a simplement besoin de légumes frais, de bocaux en verre munis d’une bague en caoutchouc, d’eau et de sel. L’opération ne prend qu’un quart d’heure. Une fois le bocal rempli et refermé, le gaz carbonique s’installe entre le niveau des légumes et le couvercle, et l’anaérobie est donc parfaite. Inutile de mettre les bocaux au frais. Progressivement on va voir des bulles apparaître, le liquide se troubler, le caoutchouc siffler, tout cela prouve que le travail a bien commencé. Au bout d’un moment, l’acidité atteint un seuil, le milieu s’équilibre et la fermentation s’arrête d’elle-même. À ce stade, la conservation peut durer plusieurs années, même à température ambiante.

On peut donc faire des tests chez soi ?

Oui, d’autant plus qu’il n’y a aucun risque sanitaire. Il faut se renseigner autant que possible, chercher des recettes, aller voir du côté des autres cultures. Je m’inspire beaucoup des gastronomies chinoise, coréenne, japonaise. Il y a aussi des choses intéressantes en Europe centrale, en Europe de l’Est et en Russie.

Trouve-t-on des aliments fermentés dans le commerce ?

Actuellement si vous voulez manger fermenté, il vaut mieux le faire soi-même. La choucroute de supermarché n’apporte aucun bienfait. Les fabricants industriels de choucroute lui rajoutent des bactéries et la chauffent à 40 °C pour accélérer le processus. Alors qu’une choucroute naturelle demande 3 mois de fermentation, il leur faut seulement une semaine. Or en matière de fermentation, il faut laisser le temps au temps. Les petits producteurs sont toujours à privilégier. La choucroute d’Alsace est un AOP. Cela implique un cahier des charges strict, garanti sans chauffage, et jusqu’à 6 mois de fermentation, gage de qualité. Cela vaut pour tous les produits.

Et en magasin bio ?

On trouvera du kombucha et du kéfir. La mention « produit vivant » doit être stipulée sur la bouteille. En revanche, les jus de légumes dits « lacto-fermentés » sont vendus pasteurisés. Cela leur retire tout intérêt.

Les femmes enceintes et allaitantes peuvent-elles consommer des aliments fermentés ?

J’ai tendance à dire que oui, même si je sais que c’est encore à contre-courant. Néanmoins, le corps médical commence à repenser la question. Une étude réalisée dans plusieurs pays d’Europe a montré que les enfants dont les mères ont bu du lait cru durant leur grossesse ont un système immunitaire plus résistant, notamment face aux allergies. De plus en plus de médecins commencent à recommander aux gens de manger des aliments fermentés. Certains gastro-entérologues recommandent ainsi de consommer du fromage au lait cru pour renforcer le système immunitaire. Les probiotiques comptent parmi les meilleurs chélateurs : ils ont la capacité d’éliminer les toxines et métaux lourds. Ils peuvent aussi atténuer l’action de certains pesticides et nitrates. Bref, ils vont dans le sens de la vie.

Propos recueillis par Lucile de la Reberdière.


En résumé : 10 bonnes raisons de manger des aliments fermentés

1. Ils facilitent la digestion.

2. Ils sont source de vitamine C.

3. Ils sont source de vitamines K, PP et B.

4. Ils sont source de choline.

5. Ils sont riches en minéraux.

6. Ils sont antiseptiques.

7. Ils détoxifient la nourriture.

8. Ils contribuent au bon fonctionnement de l’intestin.

9. Ils renforcent le système immunitaire.

10. Ils apportent de l’énergie.


En savoir plus

Retrouvez les recettes et conseils de Marie Claire Frédéric sur le blog www.nicrunicuit.comJe mange des aliments fermentés et ça me fait du bien (Marabout, 2016), Aliments fermentés, aliments santé (Alternatives Gallimard)

 

 

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