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Antidépresseurs chez les jeunes : un autre essai clinique bidonné !

En réanalysant les essais cliniques visant à démontrer l’intérêt de la fluoxétine (Prozac®) dans la prise en charge de la dépression chez les enfants et les adolescents, des chercheurs sont parvenus... à conclure l’inverse. Mais surtout, à démontrer comment les laboratoires pharmaceutiques manipulent les données. Une histoire qui n’est pas sans rappeler le scandale de la paroxétine (Deroxat®), un autre antidépresseur tragiquement promu par un laboratoire alors qu’il augmente le risque de suicides chez les jeunes...

Clara Delpas

En novembre dernier, le British Medical Journal a publié un article (1) signé de Peter Gøtzsche (membre fondateur de Cochrane, groupe de médecins indépendants spécialisés dans l’évaluation des médicaments) et de David Healey (psychiatre britannique). Cet article réanalysait deux séries d’essais cliniques dont les résultats, parus en 1997 et en 2002, validaient l’intérêt de la fluoxétine (Prozac®) dans le traitement de la dépression de l’enfant et de l’adolescent. Ces publications initiales concluaient à un effet modeste de la molécule sur la dépression, et à l’absence d’un risque significatif lié à la prise du médicament. Ceci a notamment conduit à faire de ce médicament l’un des antidépresseurs les plus prescrits pour les enfants et adolescents, les autres étant notoirement peu efficaces pour cette classe d'âge.

La relecture critique de ces essais cliniques par Gøtzsche et Healey récemment aboutit à une conclusion tout autre : non seulement la fluoxétine n'est pas efficace pour traiter la dépression chez l’enfant et l’adolescent, mais son usage n'est pas sûr quand on tient compte de tous les événements suicidaires mal catalogués ou pas rapportés du tout dans les publications initiales ! Cette manipulation des chiffres est un scandale de plus pour l’industrie pharmaceutique, mais elle n’a pas fait beaucoup de bruit en France...

Des résultats manipulés

L’histoire rappelle celle de la paroxétine (Deroxat®), un autre antidépresseur mis sur le marché en 1992. Lui aussi avait commencé à être prescrit aux adolescents déprimés, suite à une étude clinique (la « Study 329 »), dont les résultats avaient fait l’objet d’un article paru en 2001 dans la revue JAACAP (Journal of the American Academy of Child and Adolescent Psychopharmacology). <payant>Des doutes ont rapidement émergé face aux cas de suicides rapportés au fil des ans chez les jeunes sous Deroxat ®. Mais surtout, en 2015, l’équipe du Dr David Healey (déjà lui !), réanalysant toutes les données de l’essai initial, montra, dans un article (2) paru dans le même British Medical Journal, que le laboratoire avait menti : le Deroxat® poussait bien certains jeunes au suicide et n’était chez eux pas plus efficace qu’un placebo... (l’histoire est résumée sur le blog d’Hervé Maisonneuve, avec une version plus complète en anglais ici ). Pour autant, l’article du JAACAP n’a jamais été rétracté. Et il est probable que les articles concernant le Prozac®, bien qu’ils soient visiblement tout autant bidonnés, ne le soient jamais non plus, suppose sur son blog la journaliste australienne Maryanne Demasi.

Ainsi pour parvenir à des conclusions qui leur sont favorables, les laboratoires n’hésitent pas à manipuler les études ainsi que la présentation de leurs résultats. La manipulation commence probablement dès le recrutement : dans les essais cliniques menés sur les antidépresseurs, les populations étudiées sont très différentes des populations ciblées par les médicaments. Car les personnes les plus déprimées, qui peuvent présenter des risques suicidaires, en sont a priori exclues, pour des raisons éthiques que l’on peut aisément comprendre : personne n’a envie de se risquer à les traiter par un placebo ! Mais du coup, comment apprécier l’intérêt du traitement chez ceux qui en ont probablement le plus besoin ? Et comment jauger d’un éventuel impact de ces médicaments sur le risque suicidaire lorsque sont soustraits des résultats de l’essai clinique les tentatives de suicides ou bien qu'elles sont masquées et décrites sous l'appellation floue "labilité émotionnelle" ? Ou encore lorsque les promoteurs du médicament « lissent » leurs effets indésirables en les reliant statistiquement à une « durée d’exposition totale au médicament » plutôt qu’au nombre d’individus réellement concernés par ces effets indésirables ?

En 2019, des psychiatres suisses ont ainsi réanalysé la base de données d’effets indésirables de 14 médicaments antidépresseurs soumis à l’approbation de la FDA (Food and Drug Administration) entre 1991 et 2013 pour traiter la dépression de l’adulte. Ils l’ont fait en se basant sur le nombre d’individus concernés et non sur la durée totale d’exposition aux antidépresseurs. Leur article (3) montre que cette simple différence dans la manière de compter change significativement l’appréciation du risque suicidaire associé à la prise d'antidépresseurs ! Un risque qui ne fait aujourd’hui plus de doutes selon eux, et qui concernerait 0,8 % des patients traités par antidépresseurs, contre 0,3 % des patients sous placebo.

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Chez l’adulte comme chez l’enfant, parfois les antidépresseurs tuent

En 2022, des scientifiques chinois ont recherché toutes les études observationnelles liant l’usage d’antidépresseurs et l’augmentation du risque de suicide, parues entre janvier 1990 et avril 2021. Cette méta-analyse (4) leur a permis d’identifier dix-sept études de cohorte et cas-témoins faisant état de suicides ou de tentatives de suicide chez des enfants et des jeunes adultes (âgés de 5 à 25 ans) après avoir utilisé des antidépresseurs. Leur conclusion est sans appel : le risque suicidaire est bien majoré chez les jeunes lorsqu’ils prennent des antidépresseurs. Bien qu’on ne sache pas encore très bien pourquoi.

Chez l’adulte, on suppose que ces médicaments peuvent, en levant les inhibitions, faciliter le passage à l’acte. Ils peuvent également tout simplement fournir aux gens… un moyen de se tuer, comme le suggère le Dr John Read dans The Telegraph. Ce professeur de psychologie clinique à l’université d’East London (UEL) est l’auteur d’un article à paraître prochainement dans la revue Ethical Human Psychology and Psychiatry :l’analyse de près de 8 000 certificats de décès survenus au Royaume-Uni entre 2003 et 2020 chez des personnes sous antidépresseurs montre l’implication probable de ces médicaments, ces décès étant dus à des suicides majoritairement. Dans 933 cas, c’était même une overdose d’antidépresseurs qui en était la cause !

Tout ceci doit inviter à la prudence : s’il est essentiel de traiter la dépression (dont on sait qu’elle majore aussi le risque suicidaire), il est tout autant essentiel de ne pas se contenter de donner des médicaments dont les modes d’action sont encore mystérieux et les effets indésirables imprévisibles. Le suivi médical et l’accompagnement psychologique restent essentiels.

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