Méthodes vidéos

Le dioxyde de titane qui cache la forêt : quels additifs alimentaires encore autorisés sont-ils dangereux pour la santé ?

Après le retrait bruyant et tardif du dioxyde de titane des rayons (alimentaires) de nos supermarchés, du fait de ses risques pour la santé, de quels additifs alimentaires doit-on encore se méfier ?

Julie Lioré

Naturels ou synthétiques, les additifs alimentaires (colorants, conservateurs, antioxydants, agents texturants, édulcorants, exhausteurs de goût, etc.) sont employés pour modifier les qualités organoleptiques d’un produit : son arôme, son goût, sa couleur ou sa texture. Dans le cas des aliments ultra-transformés, ils servent surtout d’agents cosmétiques, afin d’exacerber, de masquer, d’imiter ou de restaurer des qualités sensorielles perdues au cours de l’ultra-transformation (fractionnement – ou cracking –, fabrication, transformation, traitement, conditionnement, transport, entreposage). « La plupart sont inutiles, et servent à compenser un manque de qualité intrinsèque du produit », explique Christophe Brusset, auteur de Vous êtes fous d’avaler ça ! (éd. Flammarion document).

Philippe Chavanne, auteur de Additifs alimentaires (éd. Mozaïque santé) va dans le même sens : « Il s’agit de mieux connaître les additifs alimentaires pour éviter leur toxicité . » Il ajoute qu’ils servent « à camoufler la médiocrité des ingrédients et préparations industriels low cost, et à tromper le consommateur sur la qualité réelle des produits » .

À force d’initiatives et d’alertes médiatisées, d’applications d’informations nutritionnelles mettant l’accent sur la dangerosité potentielle des additifs alimentaires, entraînant doucement, mais sûrement un réel changement des mentalités, certaines substances finissent par être retirées du marché. Prenons l’exemple du dioxyde de titane (E171).

Après une longue et tumultueuse trajectoire, entre dénégations, incertitudes dans l’expertise, lobbying des industriels et atermoiements des autorités, le désormais célèbre E171 est interdit depuis le 1 er janvier 2020, dans le seul domaine alimentaire : les médicaments, compléments alimentaires et produits d’hygiène tels que les dentifrices ou les crèmes solaires ne sont pas concernés par cette interdiction. Ce colorant blanc ou révélateur de couleurs, enrobant et opacifiant, associant « micro- et nanoparticules » (dont la nocivité n’a jamais été testée), serait capable de franchir les barrières physiologiques, d’accéder à certains organes comme le foie, de s’y accumuler, puis de s’infiltrer jusque dans le sang. En passant, cette exposition induirait des micro-inflammations, à l’origine de perturbations au niveau de la flore intestinale, donc des réponses immunitaires. Cet additif jouerait aussi un rôle dans la formation de lésions précoces de cancer colorectal. Mais si le dioxyde de titane, E171 ou encore tiO2, est désormais interdit dans l’alimentation, quels autres additifs au potentiel délétère ingérons-nous en toute sécurité ?

<payant>

Dans la jungle des étiquettes

La législation impose de mentionner l’ajout d’additifs alimentaires sur les étiquetages des produits commercialisés. Ils le sont sous la forme d’un code E suivi d’un nombre et, le cas échéant, d’une lettre (facultative) pour en préciser la nature. Rien d’évident pour le consommateur qui souhaiterait appréhender un éventuel danger pour la santé.

Par exemple, un simple caramel, classé sans risque dans les guides de référence sur les additifs alimentaires, apparaît sous le code E150a, tandis que sa version au sulfite d’ammonium — qui donne sa couleur brune aux colas, bières et autres aliments ultra-transformés — classée rouge, car probablement cancérigène et génotoxique, correspond au E150d.

Les additifs peuvent aussi être indiqués par leur nom savant et, le plus souvent, parfaitement inintelligible pour le commun des consommateurs. Voyez plutôt : « parahydroxybenzoate d’éthyle » ou E214, présent dans les charcuteries industrielles, les biscuits apéritifs, les confiseries, etc., ou encore, « esters mono- et diacétyltartariques des mono- et diglycérides d’acides gras » ou E472 qu’on retrouve, entre autres, dans les produits de boulangerie, les boissons alcoolisées, les fruits et légumes secs, etc. Également classé rouge. Quand c’est flou, n’y a-t-il pas un loup ?

Certains additifs portent aujourd’hui une mention obligatoire, comme l’aspartame (E951), un édulcorant intense qui contient une « source de phénylalanine », ou encore les colorants azoïques (E102, E104, E110, E122, E124 et E129) qui peuvent « avoir des effets indésirables sur l’activité et l’attention chez les enfants ». Ce sont pourtant ces colorants-là qui donnent, entre autres, à un grand nombre de confiseries, toutes leurs couleurs et leur brillance, des produits notamment destinés aux enfants. Ces colorants sont, par ailleurs, interdits dans certains pays de l’Union européenne (Autriche, Finlande, Norvège, etc.) ou ailleurs dans le monde (États-Unis, Japon, etc.).

Quelle évaluation des risques ?

Certes, ces substances font l’objet d’une évaluation des risques strictement encadrée et d’un processus d’autorisation de mise sur le marché par des instances indépendantes. Les additifs ne doivent pas poser de problèmes de santé aux doses proposées, répondre à un besoin technologique non remplaçable par un autre et ne pas tromper le consommateur. Pour cela, ils sont testés sur des rongeurs, à qui l’on administre pendant 90 jours des doses répétées (d’un seul additif à la fois) pour identifier la survenue d’effets neurotoxiques, immunologiques, reproductifs, endocrines, pathologiques ou encore, physiologiques, en somme, pour en évaluer les effets toxicologiques (cancérogénicité, mutagénicité, reproduction, développement, métabolisme).

Certes, des études sur le rongeur ont permis de montrer en 2019 par exemple que le E319 (butylhydroquinone tertiaire), antioxydant couramment intégré dans céréales du petit-déjeuner, viandes et poissons surgelés ou soupes toutes prêtes, avait des effets indésirables sur nos défenses immunitaires (en plus d’être potentiellement cancérogène). Pour autant, ces études animales sont-elles suffisantes ? Jusqu’où les effets sur le rongeur sont-ils toujours extrapolables à l’homme ? Ou à un enfant de 3 ans ? Aussi, une administration pendant 90 jours chez le rongeur et une exposition chronique chez l’homme durant 20, 30, 40 ans peuvent-elles être raisonnablement comparées ?

Enfin, mesure-t-on les effets d’accumulation et dits « cocktail » ou les interactions potentielles entre ces substances, sachant qu’un consommateur avale en moyenne des dizaines d’additifs chaque jour ? Les études toxicologiques sur les pesticides ont de leur côté montré l effet multiplicateur et délétère de cet effet cocktail et l insuffisance des études animales testant une seule molécule dans l’évaluation des risques. En définitive, les précautions prises sont-elles suffisantes ?

Si l’on sait aujourd’hui que les additifs alimentaires n’ont aucun bénéfice sur la santé, d’abondantes études établissent une corrélation entre certaines de ces substances ou leurs interactions d’une part et une prévalence de maladies chroniques, ainsi qu’une stagnation de l’espérance de vie en bonne santé d’autre part.

Des scandales sanitaires en gestation ?

De trop nombreux additifs alimentaires aujourd’hui considérés comme potentiellement problématiques pour la santé sont encore trop mal évalués et encadrés.

Deux émulsifiants (E433 et E466), utilisés couramment (notamment dans les produits laitiers et crèmes glacées industriels, produits de boulangerie, sauces, soupes, confiseries, etc.), sont par exemple de plus en plus suspectés de mettre à mal la santé intestinale. Ils tendraient à modifier la composition du microbiote et du mucus protecteur, ainsi qu’à déstabiliser les jonctions serrées de la muqueuse intestinale, causant réactions métaboliques ou inflammatoires et maladies chroniques de l’intestin ou auto-immunes. La barrière intestinale, lorsqu’elle est intègre, est une véritable protection entre l’extérieur (les xénobiotiques) et l’intérieur (le sang, les organes internes et vitaux). Or, une barrière intestinale altérée présente des risques d’inflammation (risques d’infection), en ne parvenant plus à résister aux pathogènes. Pourtant, l’évaluation des risques ne mesure pas, aujourd’hui, l’impact des additifs alimentaires sur le microbiote (et d'ailleurs très peu l'impact des médicaments sur ce microbiote), dont on sait pourtant qu’il est central dans la stimulation, la régulation et la protection de l’immunité, donc sur l’état de santé tant physiologique et physique que psychologique.

L’aspartame ou E951, les différents glutamates (E620 à E625) ou encore les nitrites et nitrates (E249 à E252) rejoindront-ils bientôt le dioxyde de titane dans comme additifs honnis ou interdits ?

L’aspartame, au pouvoir sucrant 200 fois supérieur au sucre, est notamment soupçonné d’induire une accoutumance au sucre, d’augmenter l’appétit en perturbant la leptine (hormone de la satiété), donc de favoriser le diabète, comme d’entraîner un nombre conséquent d’effets secondaires ou de pathologies chroniques. Pourtant, l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments), chargée d’évaluer les additifs alimentaires, a réévalué maintes fois l’aspartame, en concluant à chaque fois à son innocuité, lorsqu’il est testé de façon isolée. Mais qu’en est-il lorsqu’il est combiné à d’autres ?

Quant aux glutamates, associés au « syndrome du restaurant chinois », sont un exhausteur de goût aux effets bien plus problématiques que de donner du goût aux plats qui n’en auraient pas : ils dérégleraient l’appétit, entraîneraient des douleurs chroniques et porteraient gravement atteinte au cerveau, favorisant le développement de maladies neurodégénératives.

Les nitrites et nitrates, enfin, de sodium et de potassium, largement utilisés dans les charcuteries et les viandes (ainsi que dans certains fromages et poissons préparés pour les nitrates), sont classés cancérigènes chez l’homme par le Centre international de recherche sur le cancer. Le E249 ou nitrite de potassium serait particulièrement à éviter pour les enfants.

La liste est longue, à laquelle nous pourrions ajouter les nombreuses formes d’amidons modifiés, le plus présent des additifs dans l’industrie agroalimentaire — après l’acide citrique (E330) et avant les lécithines (E322) — que l’on retrouve sous les noms de code E14XX. Ces épaississants sont issus du cracking (process industriel de fractionnement) du maïs, du tapioca, du blé ou de la pomme de terre.

Outre l’impact environnemental, du fait de la monoculture intensive de ces produits de base entraînant un appauvrissement de la biodiversité, ces amidons modifiés peuvent être classés vert, orange, voire douteux, selon leur déclinaison. Ces derniers contiennent du phosphate qui, consommé en grande quantité, peut entraîner des problèmes graves aux niveaux cardiovasculaire et rénal. De plus, les amidons peuvent se comporter comme des sucres, en l’occurrence cachés, qui tendent à élever la glycémie, avec pour conséquence (entre autres) de favoriser un risque de diabète de type 2.

Quelques bons élèves

Les consommateurs sont de plus au plus au fait du potentiel délétère de certains additifs. Il est bon de rappeler ici que tous ne le sont pas : parmi eux, nous trouvons de l’extrait de paprika (E160) ou de betterave (E162) pour colorer naturellement, des algues (agar-agar ou E404) servant à gélatiniser une préparation, du chlorure de magnésium (E511) ou sel de Nigari pour permettre au lait de soja de coaguler pour devenir du tofu, ou encore de la cire d’abeille (E901). De cette inquiétude grandissante jaillissent diverses formes de récupération de la part de certains industriels qui, pour se démarquer, déploient des stratégies marketing 100 % naturelles, comme Liebig avec ses soupes, ou bien débarrassées de substances désormais compromettantes, comme certaines marques de charcuterie dorénavant « sans sels nitrités » dont, d’ailleurs, les ventes de jambon gris explosent. D’autres encore retirent le dioxyde de titane de leurs recettes et certaines enseignes de la grande distribution, de leurs rayons.

Le conditionnel est de mise dès lors qu’il est question de résultats d’études scientifiques portant sur l’impact de substances chimiques sur la santé. En revanche, il est aujourd’hui urgent et salutaire de venir ou de revenir à un indicatif : celui de se faire confiance et de se fier à son bon sens.

Un produit contenant du gallate de propyle (E310) ou encore, du caramel de sulfite d’ammonium (E150d), peut-il être consommé sans le moindre doute ? Dès lors que ces substances n’ont aucune pertinence dans notre cuisine quotidienne maison - comme l’aurait sel, poivre et autres aromates - quel sens y a-t-il à nous les imposer dans l’alimentation ? Elles se sont imposées dans les assiettes de quiconque consomme de l’alimentation ultra-transformée.

S’en préserver aujourd’hui, c’est avant toute chose désindustrialiser son alimentation sans avoir à l’exalter artificiellement : colorer son assiette avec des végétaux et fruits de saison, riches en antioxydants, ou en exalter le goût avec de vrais condiments.

 

Aller plus loin :

Vous êtes fous d’avaler ça !, Christophe Brusset, éd. Flammarion, 2016

Additifs alimentaires, Mieux les connaître pour éviter leur toxicité, Philippe Chavanne, Mosaïque Santé.

Philippe Chavanne, éd. Mozaïque santé

En savoir plus