Méthodes vidéos

Traitements anticancéreux : jusqu’à 90 % des données des essais cliniques invérifiables

Une récente analyse publiée dans la prestigieuse revue scientifique JAMA Oncology explique que 45 à 90 % des données complètes des essais cliniques en oncologie réalisés dans le cadre de mises sur le marché aux États-Unis ne sont pas disponibles en libre accès aux chercheurs qui en font la demande. Une information qui illustre le manque de transparence des industriels sur ces données censées prouver l'efficacité et la sécurité de traitements pris par des millions de patients.

Sabrina Debusquat

C’est un fait que le grand public connaît peu, ou a découvert durant la crise du Covid concernant les vaccins, mais les données intégrales des essais cliniques sont loin d’être systématiquement accessibles, hormis aux autorités qui en autorisent la mise sur le marché. Or, ces dernières années un mouvement de fond poussé par des chercheurs, médecins et associations réclame que les données des essais cliniques soient systématiquement et facilement accessibles aux chercheurs qualifiés qui le souhaitent et ce, afin que l’ensemble du corps scientifique, notamment indépendant et sans lien avec l’industrie, puisse regarder et évaluer, en toute transparence, les données qui permettent la mise sur le marché des médicaments qui visent à nous soigner ainsi que leurs taux d’efficacité.

90 % des données indisponibles pour les trois médicaments anticancéreux les plus vendus

Comme l’expliquent des chercheurs auteurs d’une revue critique parue récemment dans le JAMA Oncology (1)aux États-Unis, malgré des efforts sur la transparence des données, plus de la moitié des essais cliniques qui ont conduit les autorités à approuver les médicaments anticancéreux au cours des dix dernières années ne sont pas disponibles pour un examen indépendant.

Sur 304 essais qui ont permis la mise sur le marché de 115 médicaments anticancéreux au cours de la dernière décennie, seuls 45 % divulguaient l’intégralité de leurs données. Par exemple, concernant les trois médicaments anticancéreux les plus vendus au monde (le nivolumab, le pembrolizumab et le pomalidomide), 90 % des données des essais n'étaient pas disponibles. Or, à eux seuls, ces médicaments ont généré en 2020 plus de 30 milliards de dollars de revenus pour les industriels. En Australie, par exemple, deux de ces médicaments (nivolumab et pembrolizumab) sont les médicaments de chimiothérapie les plus coûteux pour le contribuable australien, la Sécurité sociale australienne ayant dépensé plus de 800 millions de dollars en 2020-2021 pour ces derniers.

[lireaussi:7793]

Des industriels qui font traîner sous des prétextes peu convaincants

Le docteur Ash Hopkins, chef de laboratoire en épidémiologie clinique du cancer, chercheur au National Health and Medical Research Council (NHMRC, le principal organisme de financement pour la recherche médicale en Australie), et auteur principal de l’étude, explique que la raison la plus couramment invoquée pour ne pas diffuser ces données est que « la collecte de données de suivi à long terme est toujours en cours ».

En effet, les patients sont suivis sur un, cinq ou dix ans (ou plus) suite à un essai clinique pour évaluer leur état de santé et repérer si, dans certaines populations, le traitement ne déclenche pas des effets indésirables trop importants ou qui pourraient passer, à court terme, sous le radar. Prétextant être encore en train de collecter ces données, les industriels empêchent donc d’accéder à l’ensemble des données détaillées de leurs essais cliniques.

« C'est la même raison donnée par Pfizer et Moderna pour les données d'essais cliniques sur leurs vaccins COVID-19 respectifs qui ne sont pas actuellement disponibles » rappelle le docteur Hopkins. Cependant, ajoute-t-il, « cette excuse fait fi de tout engagement en faveur de la transparence des données. Un suivi continu est bien sûr nécessaire, mais il ne doit pas entraver la publication des données essentielles qui sont impliquées dans la mise à disposition mondiale de médicaments à des dizaines de milliers de personnes. » Comprenez par là que les industriels pourraient tout à fait donner accès aux données dont ils disposent actuellement, tout en continuant de collecter celles sur le suivi à long terme des patients.

Cette absence fréquente de données complètes sur les essais cliniques s'explique aussi par le fait que de plus en plus de nouveaux médicaments empruntent dorénavant une "voie accélérée" pour leur mise sur le marché, avec par exemple l'augmentation des autorisations dites conditionnelles, pour lesquelles les laboratoires doivent fournir, après leur validation par les autorités, des données complémentaires provenant d'études futures ou encore en cours. Selon une enquête du BMJ publiée en juin dernier (2), ce type de processus accéléré de mise sur le marché concernaient en 2020 pas moins de 68% des nouveaux médicaments aux États-Unis, 50% dans l'Union européenne et 36% au Royaume-Uni.

[lireaussi:7427]

Des industriels qui ne respectent pas le « contrat social » qui les lient aux patients des essais

Alors que l’on sait que la majorité des demandes visant à accéder à ces données ont le plus souvent lieu pour accéder à des informations sur les risques et les avantages des médicaments chez des groupes de patients, ces chercheurs rappellent aux industriels qu’un « contrat social » les lie avec les participants aux essais. Contrat selon lequel leur participation permettra de poursuivre les recherches afin de maximiser les avantages pour la société. Et l’étude de conclure que « les participants aux essais et leurs familles méritent mieux » que le comportement actuel des laboratoires.

Pour mettre fin à ce manque de transparence, l’équipe de chercheurs demande à l'industrie pharmaceutique d'indiquer explicitement dans ses politiques de transparence que les données d'essais sous-tendant les approbations de médicaments seront disponibles pour une enquête indépendante, ceci dès l’enregistrement de l’essai clinique. Ils en appellent aux gouvernements, revues et régulateurs du monde entier pour assurer cette transparence.

[lireaussi:6449]

[lireaussi:7125]

En savoir plus