Méthodes vidéos

Implants Essure, un scandale oublié

Invisibilisé, ce scandale qui a touché au moins 32 000 femmes porteuses du dispositif de contraception définitive Essure en France peine à être reconnu. Même si les preuves de toxicité sont là et les impacts dramatiques sur la santé recensés par l’ANSM, la justice ne reconnaît pas les dommages, qui ne concernent que des femmes. Le fabricant Bayer a, de son côté, discrètement retiré le produit de la vente…

Élise Kuntzelmann

"Un mois de vacances passe, elle se sent aussi fatiguée que si elle n’était pas partie. " C’est l’un des premiers signaux que ressent Anne-Cécile Groléas, l’une des nombreuses victimes des implants contraceptifs Essure, véritable scandale sanitaire passé inaperçu, étouffé en plein scandale du Mediator.

Mais ce n’est que le début. S’ajoute à cela des douleurs articulaires. " Elle passe ensuite une première IRM qui éloigne le diagnostic de bursite. Son état de santé s’aggrave : elle subit des fourmillements, des réveils en pleine nuit avec une insupportable sensation de coup de poignard au côté. Et ce harassement qui continue à l’entourer d’une chape de plomb, qui rend chaque mouvement difficile, chaque réveil presque insurmontable le matin. "

Bien sûr, Anne-Cécile Groléas s’interroge. Tout comme elle se demande pourquoi elle souffre d’otites soudaines " qui l’envoient une bonne dizaine de fois vers son ORL, qui finit par la mettre sous antibiotiques ". Et que dire de ces douleurs musculosquelettiques récalcitrantes ? " Et pourtant, il n’y a rien à l’IRM. " En plus de ces douleurs invalidantes et inédites, Anne-Cécile doit gérer l’inquiétude de l’absence de réponses. " Que faut-il faire ? Chercher un autre rhumatologue, un ostéopathe ? Son généraliste fait office de rond-point : les informations lui parviennent de toutes parts, mais le diagnostic n’apparaît toujours pas. Anne-Cécile, elle, continue de souffrir en silence, sans en comprendre les raisons. "

Les passages entre guillemets sont tirés du livre* des journalistes Delphine Bauer et Jacqueline Maurette, et décrivent le combat et l’errance médicale vécus par Anne-Cécile Groléas, une des nombreuses victimes des implants Essure. Implantée à l’âge de 41 ans, cette femme active, mère de quatre enfants, a été, comme bien d’autres femmes en quête d’une contraception définitive, séduite par un dispositif présenté comme simple et efficace.

[lireaussi:5176]

L’alerte d’Anne-Cécile Groléas, victime de l’implant Essure

« Malgré le nombre significatif de publications, le sujet reste invisibilisé et je ne le comprends pas, nous confie au téléphone Anne-Cécile Groléas. Je suis une femme de 51 ans en colère et triste d’une situation que je trouve injuste. À partir du moment où cela touche des femmes de 50 ans ayant choisi un moyen de contraception définitif, elles passent dans la case invisible. Nous avons en plus l’outrecuidance de nous attaquer à des lobbys hyper puissants. C’est un tel scandale sanitaire qu’il est sans doute plus prudent d’étouffer l’affaire. En tout cas, c’est une supposition que je fais. J’attends que les réponses nous soient données. Aujourd’hui, nous réclamons toutes, à cor et à cri, que l’ensemble des porteuses d’Essure soient informées. Savoir où sont les implants et dans quel état ils sont, serait un minimum, au nom du principe de précaution. Il est anormal qu’en 2023, les femmes apprennent encore par hasard, en surfant sur les réseaux sociaux, que leurs problématiques de santé pourraient être dues aux implants. Chaque semaine, je reçois deux à trois témoignages de femmes sur ma page Facebook*. Elles me contactent pour des problèmes graves, me racontent parfois des histoires terrifiantes. L’une d’elle évoquait les conseils de son médecin qui n’a pas fait le lien avec ses implants Essure. Il lui a assuré qu’elle faisait de l’endométriose et, pour lutter contre, lui a posé un stérilet en plus des implants. » Une des nombreuses errances médicales…

* Sur Facebook, chercher « La vie après les implants Essure ».

Engouement généralisé

Racheté par le laboratoire Bayer HealthCare, le procédé mis au point par la start-up américaine Conceptus a, en effet, été célébré comme une solution technique et médicale pertinente pour remplacer la ligature des trompes. En bref, un moyen pour les femmes le souhaitant de bénéficier d’une stérilisation.

L’engouement de la communauté médicale et scientifique pour ce dispositif, dont la mise en place est rapide tout en évitant l’anesthésie générale avec ses désagréments et ses risques, a été assez unanime. " Pour de nombreuses femmes, cela a été présenté comme une très bonne alternative, voire même la chose à faire… sur le papier en tout cas ", souligne Delphine Bauer.

Concrètement, les implants se présentent sous la forme de deux spirales de 40 mm de long sur 0,8 mm de diamètre, composées d’un alliage de nickel et de titane, et d’un enroulement interne recouvert de fibres de polyéthylène téréphtalate (PET), mises en place à l’entrée des deux trompes utérines. " Une fois installés, les ressorts se déploient pour atteindre 2 mm de diamètre. Épousant la paroi interne des trompes, ils s’y ancrent, empêchant définitivement les spermatozoïdes d’atteindre l’ovule. Les dispositifs créent juste une “petite” fibrose (ou état inflammatoire) à l’entrée des trompes de Fallope. En quelque sorte, un obstacle pour que les spermatozoïdes ne viennent pas féconder un ovule ", peut-on lire dans l’ouvrage de Delphine Bauer et Jacqueline Maurette.

Temps de latence

Les premiers effets secondaires n’ont été répertoriés qu’aux alentours de 2015 pour un dispositif mis sur le marché en 2002 en France. Ce temps de latence s’explique par le fait que les femmes ont eu d’abord à associer les implants aux douleurs. " Faire le lien entre les implants et des effets indésirables qui sortent de la sphère gynécologique n’est pas immédiatement évident ", indique Delphine Bauer.

L’apparition d’effets indésirables a concerné des dizaines voire des centaines de milliers de femmes dans le monde. Ces femmes, qui partageaient le point commun d’avoir ces implants, ressentaient pour nombre d’entre elles les mêmes symptômes pénibles :

  • douleurs articulaires,
  • douleurs musculaires,
  • problèmes de mémoire,
  • troubles du système nerveux, cardiovasculaires, endocriniens, musculosquelettiques,
  • problèmes de vue, d’audition,
  • inflammations, et la liste est encore longue.

Du côté de Bayer, le dispositif restait quand même un best-seller. " Je pense donc qu’ils ne se sont pas précipités sur les premières déclarations d’effets secondaires qui leur parvenaient, poursuit Delphine Bauer. Ce qui a été déterminant, c’est lorsque l’organisme certificateur irlandais NSAI a demandé des informations complémentaires à Bayer. "

Le groupe pharmaceutique a finalement retiré Essure de la vente en 2017. Cela a perduré un peu plus longtemps dans certains pays, notamment aux États-Unis où la commercialisation a été arrêtée en 2018. En tout, près d’1 million de femmes ont été implantées dans le monde. En France, pendant les quinze années de commercialisation, 200 000 femmes ont été implantées et plus de 32 000 explantées… " Bayer a botté en touche en retirant son dispositif du marché, en prévision peut-être de ce qu’aurait pu devenir cette affaire ", avance Delphine Bauer. Officiellement, le retrait est lié à des raisons économiques. Et, effectivement, le nombre de femmes implantées avait probablement diminué en raison des effets secondaires rapportés.

[lireaussi:8661]

Efficacité à revoir

Au-delà des effets secondaires, le dispositif n’a pas toujours tenu ses promesses d’efficacité. Delphine Bauer signale le travail de Madris Kinard, une ingénieure américaine qui a travaillé à la Food and Drug Administration (FDA). Ayant constaté que les méthodes de recueil des effets indésirables par les autorités sanitaires américaines avaient pour effet de passer sous silence une partie des problèmes – par ailleurs largement sous-reportés par Bayer –, cette dernière a créé la plateforme de recueil de données d’effets secondaires Device Events. La méthodologie de recueil élaborée par l’ingénieure a permis d’affiner les données. Avec son outil, les déclarations d’effets secondaires et de non-efficacité ont augmenté. Des cas de grossesses extra-utérines ont même été recensés…

Une toxicité encore à prouver ?

" Il y a toujours un écueil quant aux études précliniques et cliniques menées avant la commercialisation des implants, explique Delphine Bauer. A priori, personne n’a réussi à savoir ce qu’elles contenaient précisément, et Bayer n’a pas pu ou voulu les fournir. Aujourd’hui que le dispositif est retiré du marché, Bayer n’ira certainement pas recreuser quoi que ce soit. "

Des études ont en revanche été menées par différents laboratoires de recherche. Leurs résultats penchent clairement vers une toxicité générée par les implants Essure. Une étude1 publiée en janvier 2022 dans le Journal of Trace Elements in Medicine and Biology conclut à la présence systématique de particules d’organoétain, qui est un neurotoxique, dans les tissus proches de la soudure. Comme le spécifie l’Insa de Lyon sur son site2, en référence à cette étude, " une fois le dispositif inséré dans la trompe, la fibrose se forme autour de celui-ci. Dans le même temps, la soudure fixant le ressort sur son axe se corrode, engendrant une inflammation dans les trompes et les cornes utérines. C’est ici que se diffusent les particules d’étain, exposant le bassin et les organes alentour ". " L’étain en lui-même est assez peu toxique pour l’organisme, informe Ana Maria Trunfio Sfarghiu, chercheuse en biomécanique à l’Insa Lyon, co-autrice de l’étude en question. En faible quantité, on peut l’ingérer par l’alimentation et l’éliminer sans qu’il puisse rentrer en contact direct avec le sang. Mais lorsqu’il se retrouve associé à un atome de carbone, il devient de l’organoétain, qui est un neurotoxique. Cette transformation entraîne une réaction en cascade du système immunitaire qui peut le transmettre directement au cerveau. C’est cette substance qui semble expliquer les symptômes que présentent certaines patientes dont les organismes en sont intoxiqués ; les troubles sont très ressemblants aux symptômes d’intoxication à l’organoétain. "

Delphine Bauer regrette cependant le fait que même si un faisceau d’indices non négligeable existe sur la question de la toxicité, la justice semble juger ces données insuffisantes pour confirmer un lien de causalité.

Recherches complémentaires

L’efficacité de ces implants repose sur le fait de provoquer une fibrose. " Pourquoi cet état ne se propagerait-il pas, pour certaines femmes implantées, à l’entièreté du corps ? se demande donc Anne-Cécile Groléas. Une fois cet état inflammatoire provoqué, certaines femmes vont avoir une santé extrêmement détériorée, avec un tas de symptômes qui ne concernent pas que la sphère féminine. La sphère digestive, la sphère ORL, les articulations, les muscles, les yeux, les dents, le cerveau sont également touchés. Il est possible d’imaginer que nous souffrions d’une maladie en lien avec un empoisonnement aux métaux lourds ou d’une maladie rare ou inconnue qu’il faudrait nommer. Il est plus qu’urgent d’entreprendre des recherches complémentaires. "

Et l’ASNM dans tout ça ?

L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) met en place un Comité scientifique de suivi temporaire, qui rend un rapport sur les Essure en avril 2017. " Cela témoigne d’une prise de conscience, admet Delphine Bauer. Dans son évaluation, l’ANSM avance toutefois que la balance bénéfice/risque reste en faveur du dispositif Essure. De plus, si l’agence du médicament n’oublie pas de mettre en avant sa propre réactivité dans cette affaire, elle n’émet aucune inquiétude quant au dispositif lui-même. " En octobre 2022, pourtant, le site d’investigation Splann3 rend public un rapport commandé en février 2017 par l’ANSM et qui mettait en avant un risque de corrosion galvanique4

Une étude prospective de l’amélioration des symptômes après ablation de l’implant contraceptif (dite étude Ables) devrait être lancée dans le courant du premier semestre 2023. Un temps trop long pour les victimes, évidemment.

[lireaussi:8477]

À quand une reconnaissance officielle ?

Certains médecins ont refusé de poser des implants Essure. D’autres y ont vraiment cru pour libérer leurs patientes de la charge contraceptive. " Il y a des médecins qui n’étaient pas mal intentionnés et qui ont implanté en pensant réellement que c’était une avancée. Ils se sont rendu compte des effets néfastes par la suite, nuance Delphine Bauer. En revanche, il y a les médecins qui refusent de faire le lien et attribuent cela à autre chose, avec le soupçon à bas bruit de femmes hystériques en préménopause. "

Pour Anne-Cécile Groléas, les gynécologues sont loin d’être tous informés de la problématique. " S’il y a bien une liste de gynécos ayant implanté qui circule, cela ne signifie pas pour autant qu’ils sont prêts à explanter. Les coordonnées des bons gynécos se transmettent sous le manteau, comme à l’époque où l’avortement était illégal. On en est là. C’est pour cette raison que je parle de multiples scandales. "

Il est possible de faire soi-même une déclaration d’incident médical lié aux implants auprès de l’ANSM. " Les femmes doivent le faire parce qu’aucun gynécologue, médecin généraliste ou chirurgien ne le fera à leur place ", déplore-t-elle.

Biais de genre

Dans son précédent ouvrage* Delphine Bauer a enquêté avec Ariane Puccini sur les biais de genre dans l’accès aux médicaments : " Nous avons réalisé que dans les études cliniques, la conception, la prescription et le marketing des médicaments, la dimension de genre apparaissait très fortement, et ce souvent au détriment des femmes. " Ces dernières y sont très mal représentées. En d'autres termes, les médicaments sont globalement pensés pour les hommes. Et lorsque les femmes ressentent des effets secondaires, leur parole est souvent dévalorisée. Tout est mis sur le compte de leur psychologie  : " Si vous avez mal, c’est dans votre tête. "

[lireaussi:7576]

Du côté de la justice

Une plainte collective auprès de Bayer, qui avait été initiée par l’association Resist, a été déboutée le 16 janvier, en raison de l’absence de reconnaissance de causalité. Les femmes victimes qui pensaient voir leur dossier avancer sont bien entendu très déçues. " Les choses ne sont pas enterrées, mais c’est très long, commente Delphine Bauer, et certainement pas à la hauteur du préjudice subi. "

Une victime espagnole a été indemnisée à hauteur de 236 000 €. Outre-Atlantique, 39 000 plaignantes ont eu une indemnisation d’1,6 milliard de dollars. En France, des plaintes individuelles ont été déposées auprès de la commission de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux (CCI). Certaines victimes ont passé des expertises médicales. " Au niveau individuel, comme il s’agit toujours de dossiers personnels et uniques, il est parfois compliqué de mettre en exergue ce qu’il se passe, rend compte Anne-Cécile Groléas. L’ensemble des plaintes contre l’État a été relocalisé auprès des tribunaux administratifs, puis à Montreuil, siège de l’ANSM. Plusieurs victimes ont aussi déposé plainte contre X. Au-delà de cela, nous attendons que la justice s’occupe des centaines de plaintes déposées par les victimes, qu’elle fasse son travail et désigne les responsables de ce fiasco. Nous ne sommes pas responsables. C’est à la justice française d’enquêter. "

À qui s’adresser ?

En savoir plus