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Manger du faux pour de vrai : les scandales de la fraude alimentaire

Voici bientôt venu l’été, le temps des salades arrosées de délicieuse huile d’olive et des tomates cerises que l’on picore avec gourmandise ! Cette perspective vous met-elle autant l'eau à la bouche si nous vous révélons que l’huile d’olive ne contient aucune olive et que les tomates sont faussement bios ? La fraude alimentaire est malheureusement un phénomène massif très largement ignoré des consommateurs.

Sabrina Debusquat

Attention, il y a de fortes chances pour que vous regardiez différemment votre panier de course après avoir lu cet article. En effet, si vous achetez bio pour fuir les pesticides, ou « avec labels » pour favoriser la qualité, il se peut que vous soyez particulièrement énervé en apprenant qu’un certain nombre de nos produits alimentaires ne sont pas ce qu’ils prétendent, et sont même de véritables arnaques indécelables au nez ou à l’œil nu.

Des « alimenteurs »

Du célèbre « chevache » dans nos lasagnes au bio falsifié en passant par l’huile d’olive sans olive ou le miel sans abeille, la journaliste Ingrid Kragl qui travaille au sein de l’ONG Foodwatch, et investigue sur le sujet depuis plusieurs années, explique qu’elle-même en avale probablement à son insu tant le phénomène de la fraude alimentaire est répandu.

Mais de quoi parle-t-on exactement ? De malbouffe ? D’aliments ultra-transformés aux faibles bénéfices pour la santé ? La journaliste précise : « C’est encore plus grave. Nous parlons d’aliments volontairement hors la loi dans l’idée de réaliser des profits. Des aliments contrefaits, contaminés, altérés, qui comportent des étiquettes d’origine française alors qu’ils viennent d’ailleurs, qui font croire qu’ils viennent du terroir ou imitent des grands crus. Nous parlons d’aliments qui ne devraient jamais atteindre le consommateur, qui ne devraient jamais finir dans nos assiettes. »

Selon Interpol, aucun supermarché d’aucun pays ne serait épargné par ce que l’agence qualifie de « criminalité alimentaire ». Au supermarché, lors d’un repas entre amis, au restaurant et même chez le petit artisan du coin, ce « juteux business » s’est aggravé au fil des années, notamment parce que la probabilité de se faire coincer est mince et les agences de contrôle bien trop sous-dotées pour réagir efficacement.

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Thon avarié et huile d’olive sans olive

Parmi les fraudes alimentaires que le livre passe en revue, deux choquent particulièrement par leur côté « trop gros pour être vrai » : le thon avarié piqué aux additifs et revendu comme si de rien n’était, et l’huile d’olive sans olive colorée à la chlorophylle. Le scandale du « poisson avarié piqué aux additifs » il y a quelques années avait tout de même provoqué des centaines de malades, y compris en France. Il s’agissait de thon (frais ou déjà transformé sous forme crue dans des sushis) rendu de nouveau « rouge et alléchant alors qu’il était en réalité brun et immangeable » par ajout de doses néfastes pour la santé d’additifs de type nitrites. Les produits venaient d’un gros réseau européen, aujourd’hui démantelé, que des « contrôleurs corrompus » prévenaient avant le passage des inspecteurs.

Le scandale de l’huile d’olive sans olive dont nous parle la journaliste est, lui aussi, digne du scénario d’un polar qu’on lirait sur la plage avec ses personnages caricaturaux et ses arnaques rocambolesques. En 2019, une opération en partie menée par Europol (l’agence européenne spécialisée dans la répression de la criminalité) avait mis à jour un réseau criminel qui achetait de l’huile de tournesol bas de gamme à 1,20 € le litre pour la colorer à la chlorophylle et la revendre 10 à 15 € le litre sous l’appellation « huile d’olive extra-vierge ».

Chaque mois, 46 000 litres de cette fausse huile d’olive inondaient les supermarchés italiens et allemands. Pour Ingrid Kragl, cette fraude absolument « dingue et gonflée » a duré des années et permettait de vendre les produits dix fois plus cher. En France, une huile d’olive sur deux ne serait pas conforme, ce qui signifie qu’elle « triche » à un degré plus ou moins élevé sur sa qualité. L’ONG Foodwatch, pour laquelle elle travaille, vient de médiatiser les résultats d’une enquête menée par un magazine italien ; il révèle qu’une huile d’olive italienne sur deux, test pratiqué en Italie, n’est en réalité pas « vierge extra » comme annoncé sur son étiquette, alors que son prix lui, est toujours aussi « extra », soit 30 % plus cher qu’une huile de moins bonne qualité. Parmi les marques épinglées, beaucoup remplissent abondamment les rayons de nos supermarchés : Carapelli, Cirio, De Cecco, Pietro Coricelli.

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Du bio pas si beau

D’instinct, nombre d’entre nous associent la fraude alimentaire aux produits bon marché. Pourtant, tous les rayons des supermarchés sont touchés, notamment les produits « bios » et labellisés IGP (Indication géographique protégée) désignations supposées être un gage de qualité. Or un produit bio sur douze ne serait pas bio et déclaré non conforme. Parmi les fraudes dévoilées : de beaux kiwis bios annoncés français et en réalité issus de l’agriculture intensive non-bio italienne ou bien du jus de pomme concentré fabriqué avec des pommes pourries serbes impropres à la consommation, au goût masqué par le sucre. Sur les 60 000 contrôles effectués par le principal organisme de certification bio chaque année en France, 10 % s’avèrent non conformes.

Épices et vins maquillés

Si d’aventure après ces quelques informations vous souhaitez finalement vous retrancher sur un petit wok fait-maison, à base de légumes et d’épices, accompagné d’un petit prosecco, malheureusement, la fraude alimentaire peut encore vous attendre au tournant. Comme vous l’apprendrez dans le livre d’Ingrid Kragl Manger du faux pour de vrai, les épices font partie des produits alimentaires les plus fraudés. Pour exemple, la journaliste révèle ce chiffre choc, issu des rapports 2018 de la Répression des fraudes : 81 % du safran n’en serait pas. En France, une épice sur deux présente des anomalies frauduleuses : des mélanges non autorisés aux erreurs d’étiquetage, jusqu’aux épices coupées… au sable ou aux grignons d’olive (un sous-produit de l’olive composé d’un amalgame de peaux, noyaux et résidus). Dans ce domaine, vous pouvez donc favoriser les grains entiers pour être sûrs de ce que vous achetez.

Côté alcools, certains cas extrêmes de fraudes ont révélé des produits frelatés à base d’antigel, de détergents ou de lave-glace aux conséquences dramatiques pour ceux qui les boivent. Mais les plus courants sur notre sol concernent les contrefaçons de marques célèbres, ou l’usurpation de crus prestigieux d’indications géographiques protégées. L’Italie, pourtant particulièrement attentive à son patrimoine et à sa réputation vinicole, n’y échappe pas non plus. Très en vogue actuellement, le prosecco fait partie de ces appellations qui attirent les fraudeurs. Il y a quelques années, un réseau italien avait réussi à écouler plus de douze millions de bouteilles de faux prosecco et 22,4 millions de bouteilles usurpant l’identité du célèbre mousseux étaient saisies en 2018.

Dans l’Hexagone, même combat. Ingrid Kragl décrit ces whiskies coupés à l’eau ou au vin, ce « brandy français » composé de vin espagnol ou ces très grands crus dont la bouteille et l’étiquette d’origine sont récupérées pour être remplies par un vin frauduleux et revendues à nouveau. C’est d’ailleurs face aux nombreuses fraudes sur les vins et spiritueux que la célèbre DGCCRF (direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) a été créée en 1907.

Miel sans abeilles

En 2019 en France, nos apiculteurs ont produit 9 000 tonnes de miel alors que les Français en consomment jusqu’à 45 000 tonnes par an. Victimes d’effondrement de leurs populations, les abeilles ne parviennent plus à satisfaire la demande. Nous importons donc du miel à des prix défiant parfois toute concurrence. Les fraudeurs ont alors inventé le miel sans abeilles ! Pour faire face à la demande, certains faux miels sont apparus, composés à 100 % de sirop de sucres industriels auxquels sont ajoutés des arômes de fleurs de synthèse puis présentés comme du miel sur l’étiquette. En France, nous trouvons aussi de faux AOP ou des miels coupés avec des miels étrangers et/ou de basse qualité.

Des fraudes massives et massivement taboues

Depuis le début de la crise du Covid, les fraudes auraient sensiblement augmenté. Selon Ulrich Singer, expert pour le laboratoire Mérieux NutriSciences, le risque d’adultération (NDLR : pratique frauduleuse qui consiste à couper un produit avec d’autres de moins bonne qualité pour augmenter sa marge) aurait augmenté de 94 % entre l’hiver 2019 et le printemps 2020, particulièrement pour le miel, la viande, les produits laitiers et les alcools.

Mais alors, en tant que consommateur, comment faire face à ces fraudes nombreuses, indétectables et qui prennent de l’ampleur ? Quand nous demandons à la journaliste d’investigation si la solution ne serait pas simplement d'acheter des produits bios et ultra-locaux, elle douche quelque peu nos espoirs en citant l’exemple d’un apiculteur corse qui n’a pas hésité à remplacer son miel par du miel d’ailleurs. Elle en appelle donc plutôt à des actions collectives, notamment du côté des politiques et, surtout, à plus de transparence : « Au sein de l’industrie, tout le monde est au courant que la fraude alimentaire grandit d’années en années mais la fraude est facile avec toutes ces agences de contrôle écrémées au fur et à mesure des années. Autorités et fabricants sont au courant mais nous sommes maintenus dans l’ignorance. Foodwatch a donc lancé sur son site Internet une pétition réclamant plus de transparence sur ces fraudes alimentaires ».

Si la lutte contre la fraude alimentaire fait partie des priorités absolues affichées par l’Union européenne, la journaliste rappelle que ce cadre ne suffit pas, les États membres doivent s’emparer du sujet et faire preuve d'une réelle volonté politique. En France où nous ne serions « pas les plus mal lotis », il n’y a pourtant aucune obligation pour les industriels de communiquer auprès des consommateurs en cas de constat d’un produit frauduleux là où certains pays, comme le Royaume-Uni, se dotent d’unités anti-fraude (la Food Crime Unit) ou permettent aux consommateurs d’accéder en ligne aux rapports de contrôles indiquant quel industriel fraude et sur quel produit.

En savoir plus : pour signer la pétition

Manger du faux pour de vrai. Les scandales de la fraude alimentaire, par Ingrid Kragl (éd. Robert Laffont), 400 pages, 21 €.

Foodwatch.org

 

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