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Cancer et ses traitements : les bactéries intestinales font la différence
Cette année, plusieurs publications scientifiques, travaux de recherche universitaires et thèses de doctorat ont été consacrés à l’étude du microbiote dans le traitement du cancer. Il en ressort que sa composition, notamment sa teneur en certaines familles de bactéries, est un facteur de prédiction de la réponse aux traitements. Il est donc possible, en modifiant le microbiote, d’obtenir une meilleure réponse antitumorale de l’organisme et, en amont, de prévenir divers cancers.
Les immunothérapies, ça passe ou ça casse
De nouvelles connaissances sur le microbiote intestinal n’ont de cesse de nous montrer toute son importance dans la régulation de la réponse immunitaire. Le sommet mondial sur le microbiote qui s’est tenu à Paris, l’an passé, mettait en exergue l’influence du microbiote sur l’efficacité des médicaments. Nous apprenons aujourd’hui que sa composition décide de l’efficacité ou non de certains traitements anticancéreux.
Sous les feux de la rampe, les immunothérapies. Elles visent à rééduquer le système immunitaire pour qu’il reconnaisse et détruise les cellules cancéreuses, en boostant les lymphocytes et/ou en rendant les cellules cancéreuses plus facilement identifiables. Présentées comme un espoir majeur dans le traitement du cancer, les immunothérapies ont pourtant une histoire de plus d’un demi-siècle. L’aventure a commencé avec les théories de la surveillance immunitaire dans les années 1950. Elle est remise au goût du jour en 2004 par les travaux de l’immunologiste américain Robert D. Schreiber. Elle bénéficie aujourd’hui d’une troisième vague, grâce aux technologies innovantes et aux progrès dans la compréhension du système immunitaire.
Pourtant, de l’aveu même des chercheurs, beaucoup de subtilités leur échappent encore. La célèbre cancérologue Nicole Delépine est d’ailleurs très prudente face à l’emballement médiatique, évoquant la « fragilité des autorisations de mise sur le marché après seulement quelques tests, sur peu de malades et en peu de temps, ne permettant pas le recul sur efficacité réelle. »
En effet, si les attentes qui pèsent sur les immunothérapies sont nombreuses, les résultats sont, jusque-là, très partagés : souvent excellents, et même extrêmement encourageants chez une minorité de patients, ils restent absents chez beaucoup d’autres, avec parfois de graves effets secondaires. Et c’est le microbiote intestinal qui pourrait faire la différence…
Le programme incitatif et collaboratif 3i (PIC3i), financé par l’Institut Curie et consacré à l’étude du microbiote dans le traitement des cancers, a montré qu’en l’absence de bactéries intestinales, certaines immunothérapies n’ont aucune efficacité. Par ailleurs, la présence de certaines souches bactériennes semble jouer un rôle important dans la résistance ou la sensibilité aux immunothérapies. Un microbiote de souris répondante à l’immunothérapie a été transféré à des souris non répondantes. Celles-ci sont immédiatement devenues sensibles au traitement, ce qui permet d’imaginer un avenir pour les transplantations fécales dans le traitement du cancer.
Chez l’homme, nous savons que les patients sous antibiotiques ne répondent pas au traitement en immunothérapie. À l’inverse, des antibiotiques sélectifs, comme la vancomycine qui réduit le nombre de bactéries gram+, augmentent la réponse antitumorale et l’efficacité du traitement. En fait, les patients répondant le mieux sont porteurs de la bactérie Akkermansia muciniphila, célèbre pour son implication dans la perte de poids chez les obèses. De quoi renforcer le lien entre cancer et maladies métaboliques.
Des bactéries, mais ni trop ni trop peu
La compréhension du système immunitaire a considérablement évoluée depuis le début de ce siècle. Nos défenses sont assurées par un double système :
- L’immunité innée, qui assure une réponse immédiate de première nécessité et inclut l’inflammation
- L’immunité adaptative, permettant une réponse ciblée en fonction de l’agresseur et disposant d’une mémoire.
Il existe une communication permanente entre immunité innée, immunité adaptative et flore intestinale qui ont, en quelque sorte, signé une « convention tripartite ». Nous savons aujourd’hui que la réponse immunitaire est déclenchée et régulée par les bactéries intestinales. Mais dans quelles proportions les voies thérapeutiques que nous empruntons, dans le cancer comme dans d’autres maladies, intègrent-elles ces nouvelles notions ?
Il existe, à la surface de certaines cellules de la muqueuse intestinale, des récepteurs spécifiques, les Toll-like receptors (TLR). Œuvrant pour l’immunité innée, ils reconnaissent les bactéries à partir de molécules gardées en mémoire puis émettent un signal jusqu’au noyau de la cellule, qui va activer les gènes orchestrant l’inflammation et la réponse antitumorale.
Ce qui signifie qu’en l’absence de microbiote adapté, cette réponse sera inadaptée, voire absente. Des souris sous antibiotiques cessent de produire la Tumor Necrosis Factor (TNF), cette cytokine pro-inflammatoire que l’organisme utilise contre les cellules cancéreuses.
Les immunothérapies stimulent les lymphocytes. Seulement voilà, l’immunité est un travail collaboratif de tous les instants. Les lymphocytes, même préalablement boostés, ont besoin de rester en contact avec les cellules immunitaires de l’intestin. La réponse immunitaire adaptative nécessite donc que l’immunité innée ait d’abord été activée, en particulier par la rencontre des TLR avec les antigènes bactériens. Autrement dit, sans un bon microbiote, l’immunothérapie aura l’effet d’un pétard mouillé… Augmenter les lymphocytes tout en négligeant l’immunité innée intestinale, c’est comme s’imaginer faire plus de crêpes en achetant plus de poêles alors qu’il n’y a qu’un seul cuisinier.
Chez une souris privée de microbiote, la capacité d’une chimiothérapie à détruire des cellules cancéreuses cesse après seulement deux jours. Inversement, l’injection de lipopolysaccharide (LPS), une endotoxine bactérienne, parvient à rétablir la réponse à l’immunothérapie. Or, ces LPS sont plutôt connues pour être associées à l’inflammation chronique. En fait, c’est une question d’équilibre. Il faut des toxines bactériennes pour que le système immunitaire se régule. Mais s’il y en a trop, cela favorise l’instabilité génétique. Certaines bactéries, qui doivent demeurer dans des proportions contenues, sont nécessaires pour déclencher ce qu’on appelle la veille immunitaire, une inflammation physiologique normale qui se tient prête mais ne s’exprime pas tant qu’un véritable agresseur n’a pas été identifié.
Prévention du cancer : quel microbiote avez-vous ?
Qu’en est-il de l’implication du microbiote dans la prévention ou le développement du cancer ? Nous savons, à présent, qu’une majorité des cancers du côlon ne sont pas hérités génétiquement. Cela laisse deviner un rôle important des facteurs environnementaux, dont les pesticides, les perturbateurs endocriniens, le stress psychologique chronique et, bien entendu, l’alimentation. Ce sont tous, à divers degrés, des modulateurs de microbiote.
Des bactéries sont impliquées dans le développement tumoral des personnes dont le système immunitaire est altéré. En effet, sous l’effet de facteurs extérieurs, les bactéries du microbiote résident peuvent devenir pathogènes et induire des processus cancérigènes, y compris à distance. Ce ne sont donc pas seulement les tissus au contact immédiat des bactéries qui sont concernés, mais potentiellement l’ensemble de l’organisme ! Des travaux publiés dans la revue Cancer Discovery ainsi que les bactéries intestinales déterminent la vitesse de croissance d’une tumeur du pancréas…
Des « profils » bactériens sont clairement associés à un risque de cancer. Par exemple, certaines bactéries sont liées au diabète et à l’obésité. Ou encore le champignon Candida albicans, qui figurait jusqu’ici comme un opportuniste profitant de la faiblesse immunitaire du patient cancéreux sous chimiothérapie. Depuis quelques années, les chercheurs ont découvert qu’il participait aussi à la promotion du cancer : en libérant des toxines et en exacerbant l’inflammation, il perturberait la différenciation du soi et du non-soi. De leur côté, les bactéries Escherichia coli (E. coli), Fusobacterium et Bacteroides fragilis (B. fragilis) sont identifiées pour leur implication dans le cancer du côlon. La Fusobacterium nucleatum, qui aggrave le développement tumoral au niveau de l’intestin, est présente en grand nombre chez les patients atteints.
Dans l’ensemble, un microbiote déséquilibré exacerbe l’inflammation et la production de radicaux libres, préjudiciables à l’intégrité de l’ADN et au fonctionnement des mitochondries, deux axes cruciaux dans la genèse du cancer. À l’inverse, un microbiote sain stimule et encadre le système immunitaire. De nombreuses études sont consacrées à l’intérêt des probiotiques en prévention du cancer. Il a ainsi été démontré qu’une flore intestinale saine limite la formation des aromatases et stimule la régénération de plaques de Peyer, base arrière de l’immunité intestinale.
De nouvelles stratégies, ciblées sur des familles bactériennes, voire des souches précises (voir par exemple ici sur le cancer du colon, sont pressenties pour rejoindre l’arsenal des thérapies anticancéreuses : antibiotiques sélectifs, probiotiques, transfert de microbiote.
En attendant, les chercheurs concèdent qu’une alimentation associant probiotiques (bonnes bactéries en renfort) et fibres prébiotiques pourrait avoir un rôle préventif non négligeable. Les personnes ayant une alimentation riche en fibres ont moins de cancers du côlon. La digestion des fibres par les bactéries produit des acides gras à chaîne courte – dont le butyrate – qui favorisent une bonne différenciation cellulaire. Cette dernière est nécessaire à la prévention du cancer.
De nouveaux tests de dépistage non invasifs ?
Si la coloscopie est, à ce jour, la technique de dépistage la plus efficace, elle demeure invasive et souvent mal perçue. L’identification des microbes procancéreux pourrait changer la donne, avec la mise au point de tests utilisant le séquençage ADN du microbiote via des analyses de selles. Une possibilité incluse dans le projet MetaGenoPolis, coordonné et hébergé par l’Institut national de la recherche agronomique (INRA). Grâce à des échantillons obtenus auprès de The Cancer Genome Atlas (TCGA), les chercheurs sont d'ores et déjà parvenus à établir des associations entre le profil bactérien et le profil ARN de la région tumorale.
Si le microbiote intestinal reste le plus étudié et le plus déterminant des microbiotes humains, d’autres ont été découverts, y compris dans des tissus internes comme ceux du sein. Dans certains cas d’adénomes et de carcinomes, les chercheurs ont retrouvé des protéobactéries en quantité dans les tissus cancéreux, tandis que les actinobactéries étaient majoritaires dans les tissus non cancéreux. Plus encore, des bactéries comme l’Haemophilus influenzae pourraient demeurer à l’état latent dans les tissus conjonctifs, et influencer l’expression des gènes des voies de prolifération. Bien entendu, ces microbiotes communiquent étroitement avec le microbiote intestinal, et sont dépendants de la qualité de ce dernier.
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