Accueil Dossiers Douleurs chroniques : dix questions au Dr Claire Chauffour-Ader
Douleurs chroniques : dix questions au Dr Claire Chauffour-Ader
Riche d’une longue expérience dans la prise en charge de la douleur chronique, la Docteure Claire Chauffour-Ader a toujours été tournée vers l’humain et la qualité de vie, des valeurs partagées par l’institution au sein de laquelle elle évolue. Cette convergence lui a permis d’introduire, à côté des approches conventionnelles, des techniques complémentaires telles l’aromathérapie, l’électrothérapie ou encore l’hypnose, pour le plus grand bénéfice de ses patients.
Quel est le parcours qui vous a conduit à votre situation professionnelle actuelle d’experte dans le traitement de la douleur ?
Avant tout, c’est un parcours de médecin toujours tourné vers l’humain. J’ai développé un intérêt quasi immédiat pour la prise en charge de la douleur et de la qualité de vie des patients. J’ai fait des stages en milieu hospitalier en cancérologie, et en 1996, je me suis orientée vers une pratique de soins palliatifs et de consultation en douleurs chroniques au sein d’un établissement qui a une histoire un peu particulière. Il s’agit de l’hôpital Joseph-Ducuing qui a été créé à la fin de la Seconde Guerre mondiale par et pour des réfugiés espagnols engagés dans la guerre d’Espagne. À partir des années 1950, l’accueil de l’hôpital s’est élargi à l’ensemble de la population, sous l’égide du Professeur Ducuing qui avait à cœur de cultiver des valeurs sociales (accueil de patients en difficulté sociale, marginalisés, comme les toxicomanes) et d’innovation (création de la première unité de soins palliatifs de l’ancienne région Midi-Pyrénées) qui font encore partie de l’institution. Il y a quatre ans, j’ai été à l’initiative de la création d’une hospitalisation de jour de soins de support en oncologie, qui s’appelle « La Parenthèse ».
Comment en êtes-vous arrivée à intégrer dans votre pratique hospitalière des produits et des techniques complémentaires comme l’aromathérapie ou l’hypnose ?
Un peu par bon sens, dirais-je. Et puis j’ai grandi dans un environnement familial où herboriser et utiliser les plantes était régulier. Mon père a toujours utilisé la diffusion d’huiles essentielles, à une époque où c’était encore très peu connu, parce qu’il travaillait en tant qu’enseignant et directeur d’établissement dans des endroits avec énormément de passages. Son bureau était connu pour être celui où ça sentait bon. Ensuite, au cours de ma formation à Toulouse, on a été biberonnés à la iatrogénie médicamenteuse en pharmacologie par le professeur Montastruc. Il a beaucoup enseigné les principes de précaution, parce que si la médecine conventionnelle est puissante, elle a aussi des inconvénients, notamment au niveau de ses effets secondaires. Ensuite, quand je suis rentrée dans le domaine de la médecine de la douleur, c’est la confrontation à des médicaments puissants, mais imparfaits, qui m’a incitée à chercher d’autres ressources pour soulager les patients, en essayant d’avoir le moins d’effets secondaires possibles.
Qu’est-ce qui guide votre choix d’utiliser un traitement conventionnel, ou plutôt une approche complémentaire ? Est-ce la nature de la douleur, son origine, ou les antalgiques sont-ils toujours donnés en première intention… ?
Il n’y a pas de règle, parce que la prise en charge de la douleur exige de rentrer dans la compréhension de ce qui arrive à la personne. Souvent, douleur et souffrance sont très liées. Il faut bien sûr, avant tout, chercher la cause réelle de la douleur, mais les patients douloureux chroniques qui arrivent chez nous ont généralement déjà un assez long parcours, au cours duquel l’implication d’un spécialiste n’a d’ailleurs pas forcément été évoquée. Donc nous travaillons aussi avec un panel de spécialistes, parce que c’est important de pouvoir s’appuyer sur un diagnostic qui permet de comprendre la cause de la douleur. Cela dit, indépendamment d’une cause bien identifiée, le patient « fait sa douleur », au travers de son histoire personnelle et de sa souffrance. Il est donc important d’individualiser, de personnaliser la prise en charge et de ne pas être dans une démarche trop systématique ni protocolarisée.
Lire aussi
L’aromathérapie en postopératoire diminuerait de moitié la prise d’opioïdes
Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par « souffrance », dans le contexte de la prise en charge de la douleur ?
La douleur n’est pas uniquement dans le corps ou l’organe, elle est aussi dans la vie du patient. Le vécu douloureux est fait de tout ce qui est responsable de la douleur au départ, bien sûr, mais c’est aussi l’intégration par le cerveau de toutes les informations qu’il reçoit, et les liens qui sont faits entre les différentes structures de la douleur. La douleur est composée de ce qu’on sent, mais aussi de ce que l’on ressent, de ce que l’on comprend : elle intègre des composantes sensorielles, émotionnelles, cognitives et comportementales. La douleur du patient est la résultante de tout cela. Une douleur qui devient chronique, c’est un mécanisme très complexe, qui fait référence à des modifications dans le fonctionnement du système nerveux, telles qu’une sensibilisation exacerbée à la douleur, une mémorisation de la douleur, l’abaissement du seuil de la perception de la douleur, notamment. On n’est plus dans un schéma qui se résume à une cause bien identifiée et au traitement de cette cause.
D’où la diversité des moyens que vous mettez en œuvre pour aider vos patients ?
Absolument. Personnellement, je suis formée à l’aromathérapie et à l’hypnose, que nous utilisons relativement souvent dans la prise en charge de la douleur pour traiter la douleur elle-même ou les troubles associés comme les troubles du comportement (alimentaire, par exemple) et dans le cadre des sevrages (tabagique et médicamenteux). Pour les soins de support, il y a une infirmière qui est formée en phytothérapie, nous utilisons aussi l’ostéopathie, le shiatsu, la réflexologie, la sophrologie, les techniques de respiration, le nursing-touch, prochainement la méditation par un médecin formé et l’électrothérapie. Cette dernière regroupe la magnétothérapie, la TENS (neurostimulation électrique transcutanée) et la stimulation vagale auriculaire qui est prometteuse dans les maladies inflammatoires. En consultation douleur, nous privilégions l’hypnose, les thérapies manuelles et l’électrothérapie. En soins de support, le choix est plus vaste. Le problème, c’est que les patients douloureux, qui sont plus de 10 millions en France, n’ont pas un bon accès à tout cet arsenal parce que nous manquons de centres et de consultants douleur. Et aussi parce qu’il faudrait que le généraliste puisse prescrire sans difficulté l’accès au TENS, par exemple.
Qu’auriez-vous à dire sur le CBD (cannabidiol), une spécialité dont on parle beaucoup et qui est aujourd’hui librement accessible au public ?
C’est un produit très intéressant, qui a des propriétés anti-inflammatoires remarquables confirmées par les études. C’est une molécule naturelle, ancienne, bien antérieure à la chimie de synthèse, qui semble finalement plus intéressante pour traiter les symptômes associés à la douleur que la douleur elle-même. Le CBD est ainsi très utile pour retrouver un sommeil de qualité et réparateur. On a beaucoup de retours dans ce sens. C’est important parce que la privation de sommeil a une influence prépondérante sur la douleur et l’état émotionnel. Mais il faut faire attention à la qualité du produit, et considérer les précautions d’emploi, car le CBD peut entrer en compétition métabolique avec certains médicaments. D’ailleurs, les recherches se poursuivent sur le CBD, ainsi que sur le THC (tétrahydrocannabinol), qui n’est pour l’instant pas autorisé, mais qui possède aussi un potentiel thérapeutique.
Lire aussi
Le cannabis médical : un potentiel atout dans la gestion des douleurs dû au cancer
Un autre composé refait parler de lui : le PEA (palmitoyléthanolamide). Fait-il également partie de votre « trousse à pharmacie » ?
Oui. C’est une molécule qui n’est pas récente, mais qui est tombée dans l’oubli pendant presque une trentaine d’années. Elle est intéressante sur les processus inflammatoires. Nous proposons du PEA micronisé standardisé qui a cette particularité d’être exempt d’effets secondaires dans les études qui ont été réalisées. Le PEA distille des effets subtils, et il faut lui laisser le temps d’agir. Quelques fois, certains patients l’arrêtent au bout d’un mois, parce qu’ils pensent que ça ne leur a rien apporté. Ils n’auront pas mesuré les bénéfices pendant la prise, mais quand ils cessent d’en prendre, ils se rendent compte que ça fonctionnait bel et bien, parce que leurs douleurs redeviennent plus intenses. Le PEA permet d’amoindrir la douleur et l’intensité des crises. Certains nous disent que le PEA a carrément changé leur vie, parce qu’ils dorment mieux, ils ont une meilleure humeur, etc. Dans le cas des neuropathies chimio-induites, pour lesquelles nous disposons de très peu de médicaments capables de calmer ces douleurs, nous avons constaté que l’association de techniques comme la réflexologie, les techniques physiques de rééducation et la prise de PEA, amène un résultat. On améliore presque toujours la tolérance du patient à la douleur, et sa qualité de vie du fait de l’absence d’effets secondaires comme la prise de poids, la somnolence, la sensation d’ébriété, la modification de la libido, etc. Je pense à un patient qui prenait des médicaments antiépileptiques qui l’assommaient beaucoup, avec beaucoup d’effets secondaires. Son neurologue a été d’accord pour faire évoluer son traitement vers la prise de CBD, et il a réussi à faire un sevrage des médicaments qu’il prenait au profit du CBD exclusif, avec une qualité de vie bien meilleure. Donc il y a des ouvertures, encore faut-il que les médecins s’y intéressent. Or, la qualification de ces substances fait que beaucoup de praticiens ne les connaissent pas, ni ne connaissent d’ailleurs le système endocannabioïde, parce qu’il est de découverte récente, et que les trois quarts des praticiens, dont je fais partie, n’ont pas eu d’enseignement à ce sujet. Donc vous avez d’un côté des professionnels qui ont une orientation vers les approches complémentaires et qui sont susceptibles de découvrir les cannabinoïdes, et de l’autre, ceux qui ne font confiance qu’aux techniques conventionnelles, et qui peuvent vous dire « le CBD, je n’y crois pas ». Mais on est au-delà de l’ordre de la croyance, aujourd’hui.
Lire aussi
PEA, un bon antidouleur ? Pas seulement
À propos de l’environnement professionnel, avez-vous rencontré des résistances quand vous avez commencé à introduire les huiles essentielles et vos autres techniques complémentaires ? Et en rencontrez-vous encore ?
Oui, bien sûr. Au début, l’ouverture était mince. Mais les retours des patients ont permis de faire avancer les choses et aujourd’hui, l’intérêt pour ces techniques progresse, de jeunes praticiens s’y intéressent, ce qui me rend plutôt optimiste pour la suite.
L’arrivée du CBD et le bruit médiatique qui l’a accompagné, ont-ils fait bouger les lignes ?
D’une certaine manière, oui. En tout cas, les patients sont très en demande aujourd’hui sur cette thématique. Ils veulent savoir si le CBD peut leur être utile. Le PEA, par contre, le public ne le connaît pas encore. Il faut être conscient que face à la douleur, on est relativement pauvre en termes de molécules qui sont pour la plupart anciennes, et présentent des effets secondaires importants. Donc on est obligé de s’intéresser à autre chose. Et souvent, de se contenter d’observations en vie réelle, parce qu’il y a peu d’essais cliniques sur le CBD et le PEA. Comme ces molécules ne sont pas soumises à brevet, les fonds n’affluent pas pour financer des études, et c’est pour cette raison aussi qu’une molécule aussi intéressante que le PEA, molécule pourtant découverte il y a plusieurs décennies, n’a jamais décollé. Heureusement, ça se passe mieux pour les huiles essentielles. Il existe des initiatives qui rassemblent différents acteurs. Nous avons décroché une bourse, par exemple, de la part d’un grand laboratoire français (Pierre Fabre) présent sur le marché des huiles essentielles, ainsi qu’une autre attribuée par la fondation Gattefossé. Il existe aussi depuis peu une association française d’aromathérapie clinique, dont la création a été annoncée au dernier congrès Phyt’Arom de Grasse (Alpes maritimes).
Pour finir sur une note plus terre à terre, quelles sont les huiles essentielles que vous êtes amenée à utiliser le plus souvent ?
Nous recommandons beaucoup la lavande vraie pour améliorer le sommeil, parce que c’est une problématique récurrente chez les patients douloureux. Pour les effets antalgiques, la menthe poivrée est un incontournable, tandis que sur les aspects plutôt anti-inflammatoires, on retrouvera souvent la gaulthérie ou l’eucalyptus citronné. Je préconise le plus souvent une recette personnalisée.
En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Alternative Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé
Pour consulter le site sans publicités inscrivez-vous
Douleurs chroniques, toujours plus de solutions naturelles
Une hygiène de vie antidouleur
L’approche corps/esprit pour se libérer de la douleur chronique
Les analgésiques, faux amis des lombalgies ?
Des plantes pour traiter la douleur en douceur