Accueil Conseils santé Vieillissement : l’interconnexion yeux-cerveau passée à la loupe
Vieillissement : l’interconnexion yeux-cerveau passée à la loupe
De plus en plus d’études font état d’une interconnexion entre les déficiences visuelles et les déficiences cognitives chez les personnes âgées, jusqu’à parfois les confondre au moment des tests. Jusqu’où va cette « liaison dangereuse » et comment agir de concert sur les deux organes concernés ?
Des problèmes de diagnostic qui posent question
Les diagnostics de troubles cognitifs liés à l’âge sont-ils faussés par l’impact des troubles de la vision ? C’est l’hypothèse provocante avancée par une étude australienne1 qui s’est intéressée à l’influence de la DMLA (dégénérescence maculaire liée à l’âge) sur la précision des tests de démence sénile.
Dans leur expérimentation, les chercheurs ont simulé des niveaux modérés à sévères de DMLA à l’aide de lunettes modifiées.Vingt-quatre participants sans déficience visuelle ont alors effectué, avec et sans ces lunettes, deux exercices cognitives courants dans ce genre de test : un premier dépendant du temps de réaction visuelle, un second sans lien avec la vision (test de fluidité verbale).
Si le test de fluidité verbale n’a pas du tout été affectée par l’expérience, les scores de réaction visuelle ont, sans surprise, diminué de manière significative dans les conditions de DMLA simulée. L’équipe alerte donc sur les possibles erreurs de diagnostic ou risques de surdiagnostic pour les séniors souffrant de troubles de la vue.
La question reste difficile à trancher, car si les troubles visuels peuvent causer des erreurs de diagnostic psychologique et de diagnostic neurologique, ils vont souvent de pair avec les troubles cognitifs, plus particulièrement à un âge avancé.
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Des corrélations troublantes
Outre la proximité de nos yeux et de notre cerveau, il existe une interconnexion plus profonde entre ces deux organes. En effet, notre perception du monde n’est pas dictée par nos yeux, elle est traitée et traduite par une grande partie de notre cerveau. Les aires cérébrales visuelles représentent en effet près d’un tiers de nos connexions neuronales et « sont chacune spécialisées dans un type de traitement particulier, du plus perceptif au plus cognitif », comme le rappelle l’association Les yeux dans la tête engagée dans le combat contre les troubles neurovisuels.
Cette collaboration yeux-cerveau influence alors d’autres zones cérébrales, telles que celles de la mémoire, du langage et même des émotions, qui peuvent à leur tour influencer notre perception visuelle.
De nombreuses études mettent d’ailleurs en évidence les liens étroits entre nos capacités visuelles et notre cerveau, notamment dans le cadre de la démence et des pathologies qui lui sont associées comme la maladie d’Alzheimer. Parmi elles, on trouve une étude chinoise3 datant de 2021 menée sur une cohorte de près de 12 364 Britanniques âgés de 55 à 73 ans. Ses résultats ont montré que le risque de démence était augmenté de 11 % pour les participants atteints de cataracte, de 26 % pour ceux atteints de DMLA et de 61 % pour les patients atteints de maladie oculaire associée au diabète. Un lien a aussi été établi entre le déclin cognitif et certaines formes de glaucome4. En ce sens, les conclusions d’une étude taïwanaise de 2022, menée sur une cohorte de près de 77 000 personnes, soutiennent que les personnes atteintes d’un « glaucome à tension normale » (glaucome primitif à angle ouvert) sont 52 % plus susceptibles de développer la maladie d'Alzheimer que les autres. De plus, les personnes plus âgées, de sexe féminin ou ayant des antécédents d'accident vasculaire cérébral, présenteraient l’incidence la plus élevée.
Cependant, si la communauté scientifique s’accorde sur l’existence de cette « liaison dangereuse », elle paraît encore frileuse quand il s’agit de confirmer un lien de causalité, les déficiences des deux organes concernés pouvant avoir des impacts réciproques.
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Quand les yeux affectent le cerveau… et vice versa
Aujourd’hui, le lien causal unissant les déficiences visuelles au déclin cognitif semble être l’angle privilégié par les chercheurs, comme le révèle une récente analyse systématique américaine5 (2022) : « Notre revue systématique indique qu’une majorité d’études (91 sur 110) examinant la relation vision-cognition rapporte que les troubles visuels sont [en cette direction] associés à plus de déficience cognitive ou de démence chez les personnes âgées. »
Ainsi, cette synthèse défend le besoin de tester des actions médicales (opération, prévention, dépistage) qui permettraient d’atténuer les conséquences cognitives en traitant les pathologies visuelles. Une piste explorée par une étude6 de 2021 dont les résultats montrent que les patients opérés de la cataracte ont 30 % de risque en moins de développer une démence (comparativement aux personnes souffrant de cataracte n’ayant pas subi d’opération), et ce sur une période d’au moins dix ans après l’intervention.
Une équipe de chercheurs7 s’est également attachée, à travers leur recherche, à relier trois troubles de la fonction visuelle (acuité visuelle, sensibilité aux contrastes et acuité stéréo) et cinq domaines de déclin cognitif (langage, mémoire, attention, fonction exécutive et capacité visuo-spatiale). Menées sur une cohorte de 1 202 patients (âgés en moyenne de 70 ans) suivi pendant une durée moyenne de sept ans, ces résultats permettraient d’agir plus spécifiquement en reconnaissant les symptômes :
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une acuité visuelle plus faible était associée à un déclin plus important du langage et de la mémoire ;
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une mauvaise sensibilité au contraste était liée au dépérissement des capacités cognitives du langage, de la mémoire, de l’attention, mais aussi de l’aptitude visuo-spatiale, c’est-à-dire celle permettant de se situer dans l’espace et de reconnaître les lieux ;
-
une altération de l’acuité stéréo (permettant aux deux yeux de distinguer deux objets comme étant situés à une distance différente) conduisait à la détérioration du langage et de la mémoire.
Si l’association, entre trouble visuel et cognitif, est établie, il reste primordial d’en comprendre le fonctionnement. Pour les spécialistes, l’isolement social consécutif aux troubles de la vision ainsi que la moindre activité intellectuelle cognitive (difficultés à lire, moindres stimulations sensorielles, manque d’informations à traiter pour le cerveau) seraient probablement en cause.
En effet, ces différents facteurs pourraient avoir des conséquences sur le déclin cognitif, car notre cerveau a sans cesse besoin d’être stimulé afin de favoriser sa régénération neuronale et sa plasticité.
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Moins connu et moins exploré, l’impact du déclin cognitif sur la déficience visuelle n’en est pourtant pas moins réel. Ainsi, le cerveau souffrant de démence et des maladies associées verrait ses capacités de traduction des éléments transmis par les yeux diminuer. Dès lors, la perception du réel pourrait être altérée et entraîner divers troubles visuels en fonction de la façon dont la maladie modifie la structure du cerveau8. Parmi eux on trouve :
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une moindre sensibilité aux variations du contraste entre le premier plan et l’arrière-plan ;
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une diminution de la capacité à détecter les mouvements ;
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une altération de la perception des différentes couleurs ;
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des problèmes pour diriger ou déplacer le regard ;
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des difficultés à reconnaître les objets et les visages.
De plus, ces difficultés d’interprétation peuvent engendrer une trop grande sollicitation des terminaisons oculaires entraînant dans son sillage des pathologies visuelles ainsi que le vieillissement accéléré de l’œil.
Des troubles aux racines communes
Si les liens entre déficience visuelle et déficience cognitive sont aussi difficiles à démêler et leurs conséquences mutuelles à discerner, c’est parce que ces deux problèmes partagent des causes et des facteurs de risque systémiques et métaboliques. En effet, de nombreuses recherches ont déjà pointé du doigt l’association entre diabète (type 2) et démence9, ainsi qu’entre diabète et baisse de la santé oculaire (il peut entraîner la rétinopathie diabétique, la cataracte et plus rarement le glaucome).
Mais le diabète n’est pas la seule pathologie à pouvoir toucher l’œil et le cerveau10. Les maladies cardiovasculaires comme l’hypertension vont fragiliser les délicats vaisseaux du globe oculaire (hémorragie conjonctive) et ceux du cerveau (risque d’AVC, mauvaise irrigation, démence). Les maladies inflammatoires ou l’inflammation chronique peuvent aussi être un facteur de trouble visuel, tel que la DMLA, ainsi que de problème neurologique grave. En effet, l’inflammation contribue grandement à la production de radicaux libres, et donc de stress oxydatif qui va durement affecter la santé des yeux et du cerveau. Cependant, pas de panique, il est possible d’agir sur ces différents tableaux grâce à une meilleure hygiène de vie.
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L’alimentation : une prévention deux en un
L’alimentation est un des facteurs environnementaux les plus importants sur lequel tout un chacun peut intervenir. Suivre un régime sain est primordial pour préserver aussi bien la santé oculaire que cérébrale. Il est par exemple important de limiter la consommation de graisses. Un régime trop riche en mauvaises graisses génère un état inflammatoire chronique dans l’ensemble de l’organisme, notamment induit par une altération de la composition de la flore intestinale. Cet état facilite l’apparition de la DMLA, dans sa forme humide, et contribue à augmenter les risques de démence en favorisant l’atrophie de certaines zones du cerveau, comme celles de la mémoire10. D’autre part, on devrait faire la part belle aux aliments riches en fibres et en antioxydants, particulièrement en caroténoïdes.
Le changement le plus simple à opérer pour prévenir et/ou freiner le développement de troubles visuels et cognitifs est de suivre le régime méditerranéen : reconnu pour ses bénéfices significatifs contre la DMLA sèche et humide, il l’est aussi pour son influence positive sur la régénération neuronale et la plasticité cérébrale. On le recommande également pour lutter contre bon nombre d’affections systémiques dont celles citées précédemment (hypertension, dépression, inflammation chronique…). Enfin, il semblerait qu’un bon apport en zinc soit idéal pour préserver les yeux et le cerveau. S’il est préférable d’adopter le régime méditerranéen, mais plus généralement d’adopter au plus tôt une bonne hygiène de vie, il est important de rappeler que naître avec une déficience visuelle ou la développer avant le troisième âge n’augmente pas les risques d’impact cognitif du fait d’une plus grande neuroplasticité. Cette dernière n’étant pas le privilège des plus jeunes, le maître mot demeure ici la stimulation du cerveau à tous les âges de la vie.
Références :
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The effect of age-related macular degeneration on cognitive test performance, 2022
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Dementia in Europe Yearbook 2019 - Estimating the prevalence of dementia in Europe, 2019
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Associations of ophthalmic and systemic conditions with incident dementia in the UK Biobank, 2021
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Normal-tension glaucoma is associated with cognitive impairment, 2021
-
Vision impairment and cognitive decline among older adults: a systematic review, 2022
-
Association Between Cataract Extraction and Development of Dementia,2021
-
Dementia, Alzheimer’s and Eyesight: Symptoms and How to Help, 2021
-
Here’s How Declining Eye Health Affects Your Brain, According to a Neurologist, 2022
-
Midlife systemic inflammatory markers are associated with late-life brain volume, 2017
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