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La lactoferrine, une molécule couteau suisse

Découverte en 1960 chez le bovin et chez l’homme presque en même temps, la lactoferrine est principalement connue pour optimiser l’absorption du fer et pour empêcher les bactéries de proliférer en utilisant le fer. Dépourvue de toxicité, on ne cesse de lui découvrir de nouvelles applications, autant dans les troubles du quotidien que dans les maladies émergentes.

Dimitri Jacques

Molécule fascinante, la lactoferrine conserve précieusement ses secrets, depuis que les chercheurs ont réussi à l’isoler en 1960. Si on a longtemps cru qu’elle n’était qu’un chélateur, privant les bactéries du fer dont elles ont besoin pour leur croissance, les chercheurs lui découvrent de nouvelles fonctions.

Régulatrice du fer, mais pas seulement

On vous a prescrit une supplémentation en fer et cela vous donne la diarrhée ? C’est peut-être à cause de votre microbiote ! Certaines bactéries peuvent détourner le fer pour proliférer. Résultat, vous avez le ventre en vrac et vous êtes toujours carencé. C’est d’autant plus vrai si vous souffrez d’une inflammation intestinale. C’est là tout l’intérêt de la lactoferrine (LF), un apport va optimiser la biodisponibilité du fer en court-circuitant les bactéries. La LF agit tel un garde du corps qui escorte le fer jusqu’à l’intérieur de la muqueuse, en lui évitant d’être capturé par les bactéries ou d’être dévoyé par une inflammation intestinale. Une fois entré dans le sang par la ferroportine, le fer est pris en charge par la transferrine.

La LF appartient à la famille des transferrines qui sont des transporteurs du fer. Qu’est-ce qui différencie la LF de la transferrine dosée dans les analyses sanguines courantes ? L’une et l’autre possèdent des sites de liaison capables d’accueillir deux ions ferriques. C’est au niveau du pH que se fait la différence. Pour que le fer se détache de la lactoferrine, le pH doit être inférieur à 2, tandis qu’un pH inférieur à 6 suffit pour qu’il se détache de la transferrine. Cette stabilité physiologique de la liaison confère à la LF un rôle de chélateur du fer plutôt que simple transporteur.

Bien qu’abordée sous l’angle du complément alimentaire, la LF est d’abord une molécule endogène, c’est-à-dire produite par notre organisme. Elle connaît son heure de gloire dès le début de la vie. Présente en abondance dans le lait maternel et le colostrum, elle participe à la mise en place du microbiote et des défenses immunitaires. Elle permet un apport de fer au bébé sans l’exposer aux bactéries non symbiotiques, qui pourraient profiter de la fragilité d’un nouveau-né pour proliférer et l’infecter. L’efficacité de la LF est démontrée en prévention des septicémies nosocomiales chez les nouveau-nés prématurés. Même à l’âge adulte, elle continue de faire partie de la panoplie des molécules antimicrobiennes et immunomodulatrices que notre immunité déploie en réponse aux infections.

Malgré une alimentation saine et équilibrée, certaines personnes jouent de malchance. Le polymorphisme génétique, qui fait que nous exprimons nos protéines d’une manière plus ou moins adaptée, n’y est pas étranger. La lactoferrine produite par l’organisme est sujette à un polymorphisme qui, s’il est défavorable, la rendra peu efficace chez certains. D’où l’intérêt d’une supplémentation lorsque les épisodes infectieux sont fréquents.

La lactoferrine est-elle absorbée ?

La lactoferrine ingérée en complément alimentaire n’est pas celle qui va entrer dans vos cellules. S’agissant d’une grosse protéine composée de milliers d’acides aminés, elle ne peut pas passer la barrière intestinale sans être découpée en unités plus simples, appelées ­peptides. Vous pouvez expédier un camion avec 50 vélos, mais vous ne croiserez que des vélos sur les sentiers, jamais de camion ! Certains peptides ont des propriétés supérieures à la protéine entière. C’est le cas de la lactoferricine dont l’activité antibactérienne est importante. L’organisme peut toutefois produire à nouveau de la lactoferrine entière dans certains organes s’il en a besoin.

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Une activité antimicrobienne très large

Toutes les bactéries, aussi virulentes puissent-elles être, ont leur talon d’Achille. Le système enzymatique qui leur permet de se répliquer utilise le fer comme ­oligo-élément activateur. De nombreuses bactéries disposent de sidérophores, sorte d’épuisette qui leur permet de capturer le fer libre. Mais si ce fer leur est retiré, l’aventure s’arrête là pour les bactéries. Dans la septicémie abdominale polybactérienne, des études ont montré une efficacité des chélateurs du fer. Le premier mode d’action de la LF est bactériostatique, c’est-à-dire qu’elle bloque la croissance des colonies bactériennes en les privant du fer.

La LF peut s’attaquer directement aux bactéries, en allant au contact de leur surface. Sa principale approche est d’interférer avec les porines, canaux permettant les échanges ioniques indispensables chez les bactéries à Gram négatif. L’intégrité de la membrane s’en trouve affectée et la bactérie peut rapidement péricliter. Une autre approche est de venir se fixer sur certains récepteurs membranaires, ce qui empêche la bactérie de se nourrir.

La LF sait également contrarier les virus, en se fixant aux intégrines, des protéines transmembranaires couramment utilisées par les virus pour entrer dans nos cellules. Son activité contre la réplication in vitro des virus de l’herpès, de l’hépatite C, et même du VIH, est documentée. Un troisième mode d’action de la LF, plus indirect, est de moduler la réponse immunitaire, en particulier l’inflammation, indissociable de l’étude des infections. Pièce charnière entre bactéries et inflammation, les lipopolysaccharides (LPS) sont une cible privilégiée de la LF.

Si la lactoferrine s’attaque aux bactéries, qu’en est-il des bonnes bactéries nécessaires à notre microbiote ? Les lactobacilles et bifidobactéries, couramment rencontrés dans les probiotiques, ne sont pas impactés par la LF. Il est même démontré qu’elle favorise le développement de certaines souches. La LF, naturellement présente dans le corps humain, est prévue pour éloigner les bactéries non symbiotiques tout en favorisant l’implantation des bactéries symbiotiques. En cas de dysbiose, la prise conjointe de probiotiques et de lactoferrine est donc judicieuse pour rétablir l’équilibre. Enfin, la LF améliore l’efficacité de certains antibiotiques et prévient l’antibiorésistance.

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Cosmétique et dentisterie se l’arrachent

Contre toute attente, l’industrie cosmétique s’est aussi penchée sur l’intérêt de la lactoferrine. Elle est utilisée aussi bien dans le maquillage, les soins de la peau et ou des cheveux. Par exemple, l’action antibactérienne sera recherchée pour des lotions nettoyantes, quant à sa capacité antioxydante, elle fascine pour des crèmes anti-âge, tout en stimulant le métabolisme cutané. En outre, la lactoferrine présente un intérêt significatif dans l’hygiène bucco-dentaire. En agissant comme un agent bactériostatique, elle réduit la quantité d’ions de fer, permettant de freiner le développement de certaines bactéries, la mauvaise haleine, la plaque dentaire et les caries.

Contre Lyme et les biofilms

La lactoferrine a cette rare capacité d’agir à la fois contre :

  • la prolifération bactérienne,
  • la formation des biofilms,
  • l’adhérence des bactéries aux cellules,
  • l’entrée des parasites dans les cellules,
  • l’apoptose des cellules infectées,
  • le stress oxydatif et l’inflammation,
  • en plus de réguler la disponibilité du fer.

Voilà un excellent couteau suisse pour faire face à la borréliose de Lyme, maladie extrêmement polymorphe et multifactorielle qui réunit toutes ces dimensions.

Mais l’Académie des sciences de Slovaquie et l’université de Vienne ont découvert à la LF une nouvelle propriété qui pourrait s’avérer décisive dans cette maladie. La LF est une inhibitrice naturelle de l’activation du plasminogène, une enzyme qui intervient dans la cicatrisation et la réparation des tissus. Des bactéries peuvent s’y lier pour entrer dans nos cellules, s’en servant de cheval de Troie. C’est exactement ce que font les Borrelia burgdorferi, bactéries qui causent la maladie de Lyme et qui agissent principalement comme parasites intracellulaires. Les déloger n’est pas une mince affaire. Et si nous agissions en amont, pour les empêcher d’entrer ? La LF est capable de griller la priorité aux bactéries, en se liant au plasminogène qui devient alors inutilisable pour elles. D’après les chercheurs, elle pourrait aussi s’avérer utile pour réguler l’activité du plasminogène et éviter une dégradation des tissus environnants. En effet, Lyme est une de ces maladies qui s’enlisent à cause des dégâts collatéraux et de l’inflammation provoqués par le système immunitaire dans sa lutte contre la bactérie.

Les Borrelia s’organisent avec d’autres bactéries mais aussi des levures de type Candida. Une association de malfaiteurs qui doit sa ténacité à une caractéristique commune : l’organisation en biofilm, qui place ses occupants à l’abri de nos défenses immunitaires mais aussi des antibiotiques classiques. La LF intervient en amont en prévenant la formation des biofilms. Les résultats sur culture de B. burgdorferi montrent que la quantité de biofilm formée est significativement réduite par la LF, qui s’est montrée la plus efficace parmi les substances testées, devançant légèrement la doxycycline, médicament bactériostatique couramment utilisé dans la maladie de Lyme. La littérature scientifique prête à la lactoferrine un potentiel antifongique contre Candida albicans, Candida krusei et Aspergillus fumigatus. La synergie avec les traitements antifongiques directs, médicaments ou huiles essentielles, est très intéressante.

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Candidose

La candidose est une prolifération fongique, souvent chronique et évoluant à bas bruit, capable de coloniser l’ensemble du tube digestif depuis la bouche à l’anus. Parmi les principales causes connues, la surconsommation de sucre et l’usage excessif d’antibiotiques. La femme est davantage touchée car les dérèglements hormonaux favorisent la candidose. Dans une majorité des cas, une candidose est constatée chez les malades de Lyme. Les bactéries borrelia recrutent volontiers des levures pour constituer leur biofilm. La lactoferrine se fixe sur les levures, déstabilise leur paroi et raccourcit considérablement leur durée de vie.

Contrôle de l’inflammation

L’écosystème intestinal, ses 200 m2 de villosités et ses cent mille milliards de bactéries sont le centre névralgique de notre immunité. C’est là que se décide la politique inflammatoire pour l’ensemble de l’organisme. En tête de liste, les lipopolysaccharides (LPS), molécules présentes à la surface de certaines bactéries Gram négatif du microbiote. Leur présence est nécessaire pour stimuler la réponse inflammatoire, afin qu’elle soit prête lorsqu’une infection survient. Sauf qu’un excès de LPS, fréquent en cas de dysbiose, se soldera par une propension aux débordements inflammatoires dans tout l’organisme. Par sa capacité à se lier aux LPS, la lactoferrine en limite les débordements. La cascade de cytokines inflammatoire s’en trouve réduite. Chez la souris, un peptide dérivé de LF protège contre des doses létales de LPS administrées par voie intrapéritonéale.

Comprenons que la LF est régulatrice et adaptogène. Selon les conditions physiologiques, elle corrige à la baisse ou à la hausse un certain nombre de métabolismes, et pas seulement celui du fer. Il en est ainsi de l’inflammation. Si la LF est connue pour diminuer l’inflammation, elle peut aussi contribuer à la stimuler lorsque c’est nécessaire. En conditions normales, la LF n’exerce aucun effet sur les cellules intestinales. Mais son comportement change dans des conditions pathologiques, où LF semble détecter l’activation du Galt (système immunitaire intestinal). En se fixant sur des récepteurs à la surface de la muqueuse, elle participe à la modulation du Galt et à la différenciation des cellules immunitaires qui se préparent alors à faire la paix ou la guerre, selon les besoins du moment.

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Face au Covid-19 ?

Une première étude in vitro sur le Sars-Cov-1 en 2011, puis une seconde en 2020 sur le Sars-Cov-2, ont montré que la lactoferrine inhibe le virus en phase précoce et agit aussi en post-infectieux. Dans un essai randomisé sur 32 patients Covid avec ­symptômes légers à modérés, l’administration quotidienne de 1 gr de lactoferrine pendant trente jours a permis de réduire l’ensemble des symptômes chez tous les patients, sauf la fatigue chez un tiers d’entre eux. Dans le sang, une baisse des cytokines pro-inflammatoires était observée. L’action antivirale de LF peut être attribuée, au moins en partie, à sa capacité à perturber la fixation de la protéine spike du Sars-CoV-2 au récepteur ACE2, en se liant au HSPG, un des sites d’arrimage des virus sur la membrane cellulaire. Mais la LF pourrait aussi se lier directement à la protéine spike.

Une étude publiée le 24 février 2022 met en évidence que la lactoferrine d'origine bovine inhibe fortement, in vitro, l'infection de cellules SARS-CoV-2 pour tous les variants testés (B.1.1.7, B.1.351, P.1 et Delta), renforçant l'optimisme des chercheurs sur son potentiel immunomodulant.

Des biofilms bactériens sont également associés à la sévérité du Covid. Des travaux montrent que la LF décompose les biofilms à S. pneumoniae et empêche la colonisation des tissus respiratoires humains, sans affecter la viabilité des bactéries symbiotiques. Sur modèle animal, la LF protège des lésions pulmonaires induites par le LPS administré par voie intrapéritonéale, associé à une normalisation des cytokines régulatrices de l’inflammation. La LF est sécrétée dans toutes les muqueuses du corps humain pour améliorer la réponse immunitaire à la plupart des agents infectieux. Ce qui pousse certains chercheurs à suggérer d’incorporer la LF dans les vaccins contre le Sars-CoV-2 en tant qu’adjuvant naturel. Des chercheurs qui ont aussi compris l’importance du statut micronutritionnel et de l’équilibre du microbiote. Ils proposent d’utiliser la LF en prévention pour corriger l’état immunitaire et la composition du microbiote intestinal chez les sujets sains, en raison de l’incidence de ces paramètres sur l’évolution de l’infection par le Sars-CoV-2.

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Alzheimer et Parkinson

Tout choc inflammatoire peut provoquer des dégâts neurologiques. Certaines formes de Covid n’y font pas exception. La lactoferrine est synthétisée naturellement par la microglie (système de défense et de réparation du cerveau) lorsque celle-ci est activée. Les dérivés de la lactoferrine traversent rapidement la barrière hématoencéphalique. Des études montrent une réduction de l’accumulation de fer et de la perte de dopamine chez les patients parkinsoniens, la réduction du dépôt d’Aβ et l’amélioration du déclin cognitif dans la maladie d’Alzheimer. Les Covid graves sont fortement signalés dans cette population et la LF a été suggérée comme traitement adjuvant.

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