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Origine du Covid : le silence de la France

Durant la pandémie de Covid-19, l’hypothèse de la fuite d’un virus issu de laboratoire était généralement considérée comme conspirationniste. Trois ans et quelques révélations plus tard, plusieurs enquêtes journalistiques montrent qu’il n’en est rien. Deux journalistes français, notamment, démocratisent ce sujet complexe et révèlent des faits qui questionnent la part de responsabilité de l’État français.

La rédaction

« Nous sommes unis pour condamner fermement les théories du complot suggérant que le Covid-19 n’a pas d’origine naturelle. […] Les théories du complot ne font que créer de la peur, des rumeurs et des préjugés qui mettent en péril notre collaboration mondiale dans la lutte contre ce virus. » Dans cette tribune1 publiée dès février 2020 dans The Lancet (et signée par d’éminents virologues, microbiologistes et autres spécialistes en sciences biomoléculaires), la messe est dite : circulez, il n’y a rien à voir.

Près de quatre ans plus tard, de nombreuses révélations permettent de douter de l’aplomb avec lequel ces scientifiques ont affirmé que l’hypothèse d’une fuite en laboratoire était absolument improbable, voire complotiste.

Un travail d’enquête largement entamé aux États-Unis

Aux États-Unis, un important travail d’enquête a été porté par des journalistes, des associations comme U.S. Right to Know ou des collectifs comme DRASTIC (Decentralized Radical Autonomous Search Team Investigating Covid-19) et a permis de révéler des faits qui remettent en cause l’objectivité de certains des protagonistes défendant l’idée d’une origine naturelle du virus. C’est ainsi que l’on a appris, par exemple, que diverses agences gouvernementales (département de l’énergieFBI) penchaient depuis un certain temps déjà pour l’hypothèse de la fuite de laboratoire. Ou encore l’existence de collaborations scientifiques étroites entre le laboratoire de Wuhan et des organisations étasuniennes comme les NIH (National Institutes of Health) ou EcoHealth Alliance (une ONG dirigée par Peter Daszak, un des signataires de la tribune « anticomplotiste » du Lancet).

Pendant ce temps, en France, peu de travaux similaires ont été entrepris, si ce n’est par quelques journalistes courageux dont le travail a eu, jusqu’ici, peu de retentissement auprès du grand public.

Une prétendue infaillibilité des laboratoires relayée à grand renfort d’éléments de langage

En France, au tout début de la pandémie, l’hypothèse de la fuite accidentelle en laboratoire commençait à faire de plus en plus parler d’elle sur les réseaux sociaux et dans les rédactions. Mais elle aurait été savamment jugulée à grand renfort d’éléments de langage sur la prétendue infaillibilité de ces laboratoires P4 (laboratoires qui travaillent sur les pathogènes les plus dangereux — de « classe 4 » — et présentent donc le niveau de sécurité le plus élevé parmi les différents types de laboratoire, NDLR), idée particulièrement relayée par la Chine. Pourtant, dans le même temps, de hauts dignitaires de l’OMS se seraient inquiétés lors de réunions en février 2020 de la forte probabilité de cette hypothèse.

En avril 2020, deux articles publiés dans la presse américaine, dont celui du Washington Post dont nous nous étions fait l’écho, évoquaient sérieusement la piste de la fuite. Dans la foulée, Donald Trump annonçait d’ailleurs lancer une enquête. Dans l’Hexagone, des articles rendent compte de ces révélations, mais l’opacité dans la réglementation des laboratoires rend difficile de savoir si, oui ou non, des coronavirus étaient étudiés dans ledit laboratoire de Wuhan.

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« Tout montre que la chauve-souris et le pangolin sont innocents »

En France, c’est en 2022 que le journal Le Point, notamment, révèle plusieurs éléments dévoilant « une tout autre histoire que celle racontée au public » qui présentait la pandémie comme une « surprise impossible à prévoir et ayant pris de court le président à la mi-mars 2020 »2. Parmi les journalistes ayant œuvré à ces révélations se trouve Jérémy André, correspondant du journal en Asie qui a publié en avril dernier l’ouvrage « Au nom de la science ». Covid-19 - Qui nous a menti ? (éditions Albin Michel) dans lequel il rapporte des faits peu connus (notamment les liens entre l’Institut Pasteur et le laboratoire de Wuhan) qui démentent beaucoup des éléments de langage mis en circulation par les autorités et « révolutionne[nt] l'histoire officielle de la pandémie ».

Son enquête le pousse à conclure que si « tout montre que la chauve-souris et le pangolin sont innocents », la Chine et la France auraient bien, elles, « leur part de responsabilité » dans un éventuel accident ayant eu lieu dans le laboratoire P4 de Wuhan. En effet, selon ses découvertes, des notes internes de certains services de l’Inserm « trahissent [dès 2018] la crainte prémonitoire d'un accident à Wuhan ».

Dans son livre, Jérémy André conclut, en des termes très clairs : « La France elle-même a ses secrets. Elle craignait depuis des années un accident de laboratoire à Wuhan. Elle s’est abritée quand la pandémie a éclaté derrière des éléments de langage : le [laboratoire] P4 ne travaillerait pas sur les coronavirus ; il n’y avait plus de coopération ; c’était une affaire chinoise. Mais faute d’enquête ouverte, rien n’exclut en réalité que le P4 ou la France aient été impliqués dans des recherches qui auraient provoqué un accident. »

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L'Etat français au courant des risques depuis 2018 ?

Un autre journaliste français, Marc Endeweld, s’est attaqué au sujet dans l’un des chapitres de son livre L’Emprise. La France sous influence (paru en janvier 2022 aux éditions du Seuil) dans lequel il évoque notamment comment des échanges confidentiels entre diplomates français laissent penser que l’État français aurait été tenu au courant de ce qui se passait à Wuhan « bien plus tôt que l’histoire racontée jusqu’à présent à partir du storytelling de certains officiels ».

Dans un article récent3 consacré à la façon dont la France a traité et décrit l’origine du Covid et publié sur son site, il retrace les hésitations et tractations au cœur du pouvoir pour définir une position officielle sur la question. Il rappelle que le laboratoire de haute sécurité de Wuhan a été « construit avec l’aide la France » et que « les liens entre la communauté scientifique française et l’Institut de virologie de Wuhan sont loin d’être coupés lorsque survient la pandémie de Covid-19 ». Selon lui, si l’hypothèse d’une fuite de laboratoire n’est « toujours pas avérée sur un plan scientifique, l’absence de transparence de la Chine comme des autres États sur les laboratoires haute sécurité devrait au moins susciter des questions, tant dans les médias qu’au sein de la représentation nationale dans un pays démocratique comme la France ».

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