Accueil Conseils santé Distilbène, un scandale sans fin ?
Distilbène, un scandale sans fin ?
Le scandale du Distilbène (DES) a fait couler tellement d’encre qu’on se demande comment il a été possible que cet œstrogène ait pu être prescrit durant tant de décennies ! Le DES aurait pu n’être qu’un mauvais souvenir, mais il marque de son empreinte indélébile et morbide des enfants dont les mères voire grands-mères se sont vu prescrire ce perturbateur endocrinien.
Synthétisé en 1938 par les professeurs Dodds et Lawson, comme le Bisphénol A de formule proche et tout aussi toxique, le Distiblène a été choisi comme hormone synthétique de remplacement des œstrogènes naturels. Actif par voie orale (contrairement aux œstrogènes naturels) non breveté, peu coûteux à fabriquer, il est un goudron de houille (coal tar en anglais), dérivé du benzène.
Historiquement, Dodds avait inventé le DES pour pallier certains symptômes liés à la ménopause comme les bouffées de chaleur et les sueurs nocturnes. Malgré une efficacité toute relative pour ces indications (disons-le clairement, une efficacité d’une effarante nullité), malgré le fait que dès 1938, Dodds savait son invention carcinogène (il a pourtant bien alerté le monde scientifique des dangers de son invention s’opposant au développement d’une pilule anticonceptionnelle à base de sa molécule), le DES libre de droit fut largement copié par des centaines de laboratoires pharmaceutiques, et prescrit à des centaines de millions de femmes dans des dizaines de pays à travers le globe.
Postulat erroné
Si aujourd'hui on sait que la diminution d'œstrogène (prégnandiol urinaire) est la conséquence et non la cause des fausses couches, les scientifiques à l'orée des années 1950 pensaient bien que cette diminution en était la cause, et qu'en complétant en œstrogènes de synthèse les femmes enceintes, elles feraient moins de fausses couches. Il faudra attendre 1967-1968, pour que soit démontré que les fausses couches sont liées à des problèmes génétiques. Ce nouveau paradigme invalide donc les théories endocriniennes qui avaient servi, vingt ans plus tôt, d’argument pour la prescription du DES chez les femmes enceintes.
Dès les années 1950 (étude de Dieckmann, 1953), les chercheurs ont commencé à tirer la sonnette d’alarme sur l’intérêt thérapeutique du DES. La boîte de pandore était ouverte et la catastrophe annoncée.
En 1971, l’apparition alarmante de cas de cancers, comme les adénocarcinomes à cellules claires (ACC) du vagin, du col de l’utérus chez de jeunes femmes âgées de… 14 à 22 ans, place la communauté médicale en alerte rouge. Comment se fait-il que ces cancers rarissimes et jamais vus chez des femmes si jeunes soient si nombreux. Herbst et Anderson publient une étude dans le New England Journal of Medecine faisant le lien entre la prescription de DES et l’ACC chez des jeunes femmes exposées in utero au DES prescrit à leur mère. La bombe explose. Pourtant, 1971 est l’année des plus fortes prescriptions du DES dans l’Hexagone. Mais bien avant, généralistes et gynécologues ont prescrit le DES à tours de bras dès 1945, en Algérie (française), puis en métropole, jusqu’en 1977 pour limiter fausses couches, naissances prématurées, diabète gestationnel ou pour soulager les nausées matinales.
Lire aussi Perturbateurs endocriniens : une liste qui s'allonge
Si en 1977, le Distilbène a cessé d’être prescrit pour les femmes enceintes (même si ce n’était que sporadique, on sait que cela a persisté au-delà ; les mauvaises habitudes ont la dent dure !), le Distiblène n’a pas disparu pour autant. Bien au contraire.
Durant les années 1980, sa prescription est quasiment devenue erratique. Ainsi a-t-on prescrit (et prescrit-on encore !) dans le monde le DES comme traitement substitutif de la ménopause, pour bloquer la montée de lait chez les mères non-allaitantes, comme pilule du lendemain, pour ralentir ou accélérer la croissance des enfants et du bétail, pour traiter les ulcères du duodénum. Jusqu’au 30 novembre 2018, le Distilbène a été très officiellement prescrit en France comme anti-androgène pour traiter les cancers de la prostate.
On peut se demander pourquoi les médecins se sont obstinés à prescrire le DES. Quelques éléments de réponse peuvent nous éclairer. Dans sa préface1, le Dr Charles Alezrah rappelle que " les vérités en médecine, comme dans toute science, ne sont que celles du moment. " Si les études scientifiques correspondaient à ce que l’on attendait d’elles à une époque, elles " n’étaient pas basées sur le type d’évaluation rigoureuse qui est disponible aujourd’hui ", écrivaient Herbst en 2015. N’en déplaise à ce médecin qui est à l'origine de l'interdiction du DES aux USA en 1971, c’est cette sorte d’évaluation qui sera certainement balayée demain par les progrès de la science, de sa technologie, de ses paradigmes. Il en va ainsi de la médecine. Le regard cruel qu’elle porte sur son passé connaîtra inexorablement le même sort avec les générations à venir.
Une affaire qui fait précédent
Absence de test clinique sérieux ? Aucun problème. Tous les moyens sont bons pour les labos. Un lobbying intensif et global (comprenez qu’il aurait inclus des campagnes d’intimidation, des pots-de-vin) aura eu raison des réticences des gendarmes du médicaments américains (la FDA). En 1941, et malgré de légitimes inquiétudes sur ses effets cancérogènes potentiels, la FDA accorda au DES son précieux sésame, son Autorisation de mise sur le marché (AMM). L’affaire est si marquante que l’historienne Nancy Langston montrera que cette homologation a créé un précédent. Depuis, les laboratoires étaient dispensés de faire la preuve positive de l’innocuité d’un médicament, contrevenant ainsi la loi de 1938 obligeant les laboratoires à de telles contraintes.
Lire aussi FDA : Le laxisme inquiétant du gendarme américain de la santé
Une histoire sans fin ?
En attendant, ce qui restera gravé dans le marbre grâce aux travaux de chercheurs et aux combats de victimes, c’est la responsabilité du DES dans l’apparition in utero de graves pathologies et malformations.
Car si nous avions évoqué plus haut l’inquiétude de la communauté médicale face à l’émergence d’ACC dès 1953, les études vont se succéder. Elles ont avéré que le DES est carcinogène et tératogène, comprenez responsable de malformation du fœtus. Ils observent l’émergence de cancer et de malformation chez les filles dont la mère avait reçu du DES, avec des cancers du vagin, des absences de vagin, des cancers de l’utérus, des utérus en T, en V, des absences d’utérus, des clitoris de petite taille, des absences de clitoris, des anomalies du col de l’utérus, des mauvais positionnements des organes génitaux, et la liste est affreusement longue. Et si elle touche les " filles DES ", la première génération d’enfant exposée in utero, les garçons sont aussi frappés de malformations génitales comme celles du méat urinaire (hypospadias), de testicule non descendu, (cryptorchidie), de risques accrus du cancer des testicules ou de diminution de spermatozoïdes (jusqu'à l'azoospermie totale).
Tous marqués
Il en est de l’exposition in utero au Distilbène comme de la propagation d’une onde à la surface de l’eau. La deuxième génération est affectée également. En effet, le désastre semble bien s'étendre de génération en génération, affectant de nouveaux pans de la santé des enfants. Des malformations physiques manifestes aux cancers, voici que depuis quelque temps, les études ciblent l'impact du DES sur les psychopathologies, bouleversant au passage les paradigmes en vigueur concernant certaines d'entre elles. Et si autisme, schizophrénie, troubles du comportement alimentaire avaient pour étiologie, pour origine, une mère sous DES, ou plus exactement le DES prescrit à une mère ?
Si dès 1983, une équipe de chercheurs découvrit de façon inattendue que les filles et les garçons exposés au DES présentaient deux fois plus de cas de dépression et d’anxiété que dans la cohorte placebo3, il fallut attendre 2010 pour que les effets délétères du DES sur le système nerveux soient démontrés, aux USA, par E. J. O’Reilly et son équipe, dans une grande étude épidémiologique sur 76 240 femmes américaines infirmières, dite " Nurses Health Study " 4. Parmi elles se trouvaient 1 612 femmes exposées in utero au DES. Chez ces dernières fut identifiée une augmentation statistique de troubles dépressifs et anxieux par rapport aux femmes non exposées. En 2012, des psychiatres (Inserm/Hôpital Sainte-Anne, Paris) ont examiné 442 témoignages spontanés issus de l’association de patients HHorages (Halte aux HORmones Artificielles pour les GrossessES). Ils ont constaté la présence de troubles psychiatriques : 46,7 % de troubles de l’humeur, 22,9 % de psychoses, 6,6 % de troubles anxieux, 11 % de troubles des conduites alimentaires (TCA) et 12,7 % d’autres (troubles obsessionnels compulsifs, violences, addictions). En 2016, le Dr Marie-Odile Soyer-Gobillard a analysé 1 002 enfants dont 720 exposés in utero à des œstrogènes synthétiques. Cette étude a mis en évidence des troubles psychotiques sévères dans la même cohorte, ainsi que nombreux suicides et tentatives de suicides qui se sont manifestés à la post-adolescence5.
Lire aussi Santé mentale : La grande délaissée
Enfin, en 2017, au cours d’une enquête nationale diligentée par l’association Réseau DES-France, on a observé sur 2 566 femmes exposées – versus 2 967 non exposées – 1,7 fois plus de " Filles-DES " ayant consulté un psychiatre, montrant ainsi que ce groupe est à haut risque concernant les troubles psychiques6.
La pilule dans le même sac
Les progestatifs et prosgétrones de synthèse participent de la pilule contraceptive et ont été administrés aux femmes enceintes – pour éviter les risques d’accouchement prématurés – seuls ou en cocktail avec les œstrogènes. On les trouve dans les dispositifs intra-utérins (DIU) distributeurs de progestérone synthétique pour lesquels ont été déposées des milliers de plaintes pour dépressions en 2017 devant l’ANSM par des femmes porteuses de ces DIU. Leurs effets psychiatriques (psychoses, bipolarité) chez les enfants exposés in utero, analysés à partir de la cohorte de HHorages 2, 3 sont identiques à ceux des œstrogènes de synthèse. Une étude épidémiologique chinoise sur 232 enfants autistes 4 et des travaux sur une cohorte danoise (Baron-Cohen et al. 2018)5 font le lien entre autisme des enfants et progestatifs ingérées par les mères en présence ou non d’œstrogènes (EE).
L’épigénétique à l’appui
Des publications récentes font état d’une relation entre vulnérabilité génétique individuelle et environnement dans les causes d’apparition de maladies psychiatriques (schizophrénies en particulier) et dans celles de malformations urogénitales. Ces modulations gènes-environnement passent par des modifications structurales de l’ADN dites " épigénétiques " et modifient l’expression de certains gènes impliqués dans le neuro-développement à travers la perturbation hormonale. L’épigénétique, (étymologiquement, ce qui est autour du gène) est donc l’analyse des facteurs interagissant avec les gènes et qui sont déterminés par l’environnement et non par l’hérédité.
Lire aussi Épigénétique : comment déjouer le destin des gènes
À partir de l’analyse moléculaire génétique et épigénétique du sang (périphérique, c'est-à-dire hors moelle osseuse)d’un groupe d’enfants psychotiques (schizophrènes et/ou bipolaires), l’équipe de psychiatres et biologistes moléculaires de l’Hôpital Sainte-Anne (Paris) a démontré, pour la première fois chez l’homme en 2017, un lien concret entre exposition in utero des enfants à ces hormones synthétiques et effets psychiatriques. Cette étude révèle l'existence de modifications épigénétiques au niveau du fonctionnement de deux gènes particuliers impliqués dans le développement du système nerveux central : ZFP 57 et ADAM TS9. Ce dernier est aussi impliqué dans le contrôle de la morphogenèse des organes sexuels, des organes souvent anormaux après une exposition au DES7 comme on l'a vu.
Une bombe à retardement : l’effet multi générationnel
Dès 2011 avec l’équipe du Pr Charles Sultan à Montpellier, Marie-Odile Soyer-Gobillard a pu mettre en évidence une augmentation de la prévalence des hypospadias, malformation de la verge caractérisée par un méat urinaire qui ne se situe plus au bon endroit et qui nécessite une ou plusieurs opérations, chez les… petits-fils de femmes traitées par le DES durant leurs grossesses8. Des petits-fils ! Ce qui signe un effet multi-générationnel de cette hormone. Cet effet a été confirmé en 2016 par Tournaire lors de l’enquête épidémiologique nationale sur les " Filles-DES " commencée en 2013 par l’association Réseau DES-France, enquête qui met également en évidence une augmentation des malformations de l’œsophage, des fentes labiales ou palatines, des anomalies de l’appareil musculo-squelettique et du système circulatoire chez les petits-enfants des femmes auxquelles on avait prescrit du DES9.
En 2021, avec le Dr Laura Gaspari, Soyer-Gobillard a rapporté qu'un traitement DES pris par la mère peut impacter l’endomètre non seulement des filles exposées in utero mais aussi des petites-filles, montrant son effet multi-générationnel10. Concernant les troubles psychiques, les petits-enfants des mères traitées de la cohorte O’Reilly (2010) furent recherchés et questionnés. Sur 47 540 participants couvrant trois générations, les chercheurs conclurent que l’exposition au DES est associée à des troubles du neuro-développement chez les petits-enfants (troubles cognitifs et de l’apprentissage, hyperactivité) démontrant son effet multi-générationnel11. Tout récemment, dans une famille informative (dont l’aînée ne fut pas exposée au DES), nous avons décrit la présence de troubles psychiatriques chez tous les enfants exposés in utero de la seconde génération, associés à des malformations, et leur transmission à la plupart des enfants de la troisième génération alors que les descendants issus de l’aînée sont indemnes12. Ceci confirme aussi l’effet multi et transgénérationnel de ce perturbateur endocrinien.
Lire aussi Enfance et santé : les nouveaux dangers
En conclusion : respecter le principe de précaution.
" Il s’agit de l’exemple tragique d’une thérapie qui semblait prometteuse et qui reposait sur les meilleures preuves scientifiques (mais erronées) disponibles à l’époque, ce qui a conduit à l’utilisation généralisée d’un traitement qui, selon le médecin, était susceptible d’aider la patiente à réussir sa grossesse. Cependant, en raison de la sensibilité du fœtus en développement à une hormone artificielle administrée de l’extérieur, des conséquences imprévues et gravement néfastes se sont développées… ".
Cette citation de 2015 du Dr Herbst, le médecin qui avait fait interdire le DES aux USA dès 1971, se révèle plus que prémonitoire hélas, car Herbst ne se doutait pas que le produit impacterait les générations futures. Dès 2004 pourtant, la grande scientifique américaine Theo Colborn (1927-2014), théoricienne des perturbateurs endocriniens, avait préconisé : " Le fœtus ne peut être protégé des perturbateurs endocriniens, quels qu’ils soient, qu’à la dose zéro ".
Références :
- M.-O. Soyer-Gobillard, dans Une résilience ou les trois Marie-Odile, éd. Nombre 7, coll. Hypocrate.
- Ibid.
- M. P. Vessey et al. dans International Journal of Obstetrics & Gynaecology, 1007-1017, 1983.
- E. J. O’Reilly et al. (2010). in Epidemiology, 171, 876-882.
- M.-O. Soyer-Gobillard et al. dans Gynecological Endocrinology, 32 (1), 25-29, 2016.
- H. Verdoux et al. dans Archivs of Womens Mental Health, 20(3), 389–395, 2017
- P. Rivollier et al. (2017). PLoS One, 12(4), 1-18.
- N. Kalfa et al. dans Fertility and Sterility, 2011
- M. Tournaire et al. dans Thérapie, 2016
- L. Gaspari et al. (2021). Environmental Health, 22, 20 (1).
- M. A. Kioumourtzoglou et al. (2018). Jama Pediatrics 172, 670–677.
- M.-O. Soyer-Gobillard et al. (2021). International Journal of Environmental Research and Public Health, 18, 9965.
En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Alternative Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé
Les perturbateurs endocriniens perturbent plusieurs générations
Perturbateurs endocriniens : et les générations futures ?
Perturbateurs endocriniens : comment ils nous empoisonnent