Pour consulter le site sans publicités inscrivez-vous

Greffe fécale :
une thérapeutique d'avenir

  • Greffe fécale : une thérapeutique d'avenir
Article paru dans le journal nº 68

La transplantation de microbiote fécal (TMF) – acte de transférer la flore intestinale d’un individu à un autre – est une technique désormais éprouvée sur les animaux de laboratoire, chez qui elle produit des changements de métabolisme et de comportement reproductibles à volonté. Actuellement, à l’essai sur l’homme, les usages possibles sont vraiment très larges : toutes les maladies chroniques en lien avec l’écosystème intestinal sont potentiellement concernées.

Le Dr Guillaume Fond, neuropsychiatre et chercheur, estime que « 90 % des maladies chroniques sont en lien avec une perturbation du microbiote.» À ce jour, en France, la TMF n’est utilisée que pour les infections à la bactérie Clostridium difficile. Pour le reste, à moins d’avoir la chance d’être recruté dans un essai clinique, il est inutile de se précipiter chez son gastro-entérologue pour demander une. En attendant, quels sont les premiers résultats des essais ?

La greffe fécale, le retour d’une méthode ancienne

Jusqu’ici, pour corriger le microbiote, on cherchait à diminuer les mauvaises bactéries, via des antibiotiques ou des huiles essentielles, puis à stimuler les bonnes bactéries par la prise de probiotiques. Le résultat est généralement fragile parce qu’un écosystème initialement déséquilibré tend à conserver son mauvais pli. Alors qu’avec la TMF, c’est l’écosystème entier qui se trouve déplacé d’un organisme à l’autre, à l’image d’une transplantation d’organe. L’idée n’est pourtant pas neuve puisqu’au IVe siècle, Ge Hong, médecin et pharmacien chinois, administrait déjà des « suspensions fécales » pour traiter les intoxications alimentaires et les diarrhées sévères.

Tombée aux oubliettes, cette méthode revient sur le devant de la scène en 2013, avec la publication d’une étude dans le New England Journal of Medecine, révélant l’efficacité très prometteuse de la TMF face aux infections à Clostridium difficile.

Actuellement, plus de 200 essais cliniques sont en cours à travers le monde, sur des thèmes aussi variés que l’obésité, les maladies métaboliques, la maladie de Crohn, les troubles psychiatriques (dépression résistante, bipolarité), l’autisme et le cancer. Les chercheurs n’entendent pas en rester aux diarrhées infectieuses et veulent s’attaquer aux bactéries multirésistantes.

À la rescousse face aux maladies de civilisation

Dans la maladie de Crohn, un tiers des malades ne répondent pas aux traitements conventionnels, tandis que d’autres en subissent les effets indésirables, parfois importants. Il y a de plus en plus de preuves qu’un déséquilibre de la composition du microbiote, appelé dysbiose, est une caractéristique commune aux maladies inflammatoires chroniques de l'intestin (les MICI). En fait, une dysbiose est capable de dérégler le système immunitaire de l’intestin (le GALT), entraînant une inflammation chronique et au final des lésions de la muqueuse. La TMF, en résolvant la dysbiose, semble là encore une thérapeutique d’avenir. Plusieurs études ont déjà démontré une certaine efficacité de cette transplantation sur la rectocolite hémorragique.

L’équipe du Pr Harry Sokol, de l’Hôpital Saint-Antoine à Paris, a comparé en simple aveugle l’effet d’une TMF réelle et d’une autre fictive chez des patients atteints de la maladie de Crohn. La transplantation allonge la période de rémission sans corticoïdes, et la composition du microbiote après TMF permet de prévoir le moment opportun de l’arrêt de ces médicaments.

Lire aussi Alzheimer, Parkinson : le microbiote intestinal et les facteurs environnementaux en première ligne

Dans les infections résistantes, comme celles à la bactérie Clostridium difficile, la TMF est un traitement relativement nouveau, qui affiche déjà un taux de réussite de 90 %. Au niveau mondial, nous ne connaissons pas le nombre de personnes décédées, gravement malades ou ayant subi une ablation du côlon alors qu’une TMF aurait peut-être pu les sauver. Cette technique devient un traitement potentiel pour des millions de gens face à une pathologie incurable. Sauf exception, elle est considérée comme inoffensive et son coût est extrêmement faible au regard des traitements palliatifs conventionnels.

Cependant, les détracteurs de la méthode considèrent que les mécanismes du microbiote, à l'origine de la maladie, sont encore trop peu compréhensibles. Mais rien ne semble arrêter la TMF pressentie comme traitement d’avenir dans un grand nombre de pathologies. Après tout, ce n’est qu’en 1970 que nous avons compris comment fonctionnait l’aspirine, utilisée depuis plus d’un siècle !

Dépression et trouble du spectre autistique : l’axe intestin-cerveau dans le viseur

Dans les maladies neuropsychiatriques, la TMF apporte des améliorations cognitives et comportementales en même temps qu'une normalisation du microbiote. Le département de psychiatrie de l’université de médecine de Tokyo a étudié l’effet de la TMF sur les symptômes psychiatriques des patients souffrant du syndrome de l’intestin irritable. Les résultats montrent que la dépression et l’anxiété sont améliorées en parallèle d’un accroissement de la diversité du microbiote. L’université de Cambridge rapporte le cas d’une femme de 79 ans, atteinte d’une dépression majeure, qui a rapidement retrouvé la santé suite à une TMF. Le séquençage du microbiote après la transplantation faisait apparaître une augmentation significative des bactéries firmicutes tandis que le nombre des bacteroïdetes était réduit. Plusieurs travaux ont déjà montré l’importance des proportions de ces familles de bactéries dans le développement cérébral.

Le plus spectaculaire, à ce jour, est peut-être le travail accompli chez des enfants autistes. En 2017, l’université d’Arizona publiait une première étude montrant 80 % d’amélioration des symptômes gastro-intestinaux (transit, douleur, digestion) mais aussi des symptômes comportementaux associés à l’autisme. Les jeunes malades avaient reçu une TMF majeure en début de traitement, puis de petites doses de rappel chaque semaine pendant deux mois. Les bénéfices obtenus se maintenaient deux mois après l’arrêt de tout traitement. Un séquençage des bactéries et des phages a révélé une excellente implantation du nouveau microbiote sur les receveurs, avec une bonne diversité microbienne.

Une seconde étude, publiée cette année dans Scientific Reports, va plus loin et démontre des bénéfices sur le long terme. Deux ans après la TMF, l’amélioration des troubles intestinaux restait acquise. Les parents ont rapporté une réduction constante des symptômes autistiques (langage, interaction sociale et comportement) au cours de ces deux années. Au début de l’étude, 83 % des participants étaient évalués en autisme sévère, un chiffre tombé à 17 % à la fin de l’étude.

Lire aussi Les probiotiques à haute dose dans le traitement de l'autisme

Le Pr Rosa Krajmalnik-Brown, qui dirige les recherches, se montre enthousiaste : « Nous avons trouvé une très forte connexion entre les bactéries intestinales et les signaux qui vont au cerveau. Beaucoup d’enfants autistes ont des problèmes intestinaux et la gravité des symptômes autistiques semble proportionnelle. Lorsque vous traitez les symptômes intestinaux, leur comportement s’améliore. Comprendre quels microbes et quelles substances produites par les microbes conduisent à ces changements de comportement est à présent le cœur de notre travail. »

Une solution à l’obésité ?

Le microbiote est impliqué dans la genèse de l’obésité mais aussi dans ses complications métaboliques (stéatose hépatique non-alcoolique, diabète de type 2, risque cardio-vasculaire…).

Bien utilisée, la TMF donne des résultats sans appel. Le microbiote de personnes obèses a été transféré à des souris en bonne santé. Sans changement d’alimentation, elles sont devenues obèses à leur tour. Lorsque les souris reçoivent ensuite le microbiote de personnes minces, elles retrouvent rapidement un poids normal. L’opération est réversible à souhait.

À ce jour, les études identifiant précisément les familles bactériennes incriminées restent toutefois contradictoires et tous les facteurs ne sont pas encore maîtrisés. En 2015, un cas clinique avait d’ailleurs défrayé la chronique, celui d'une femme souffrant d’une infection récurrente à Clostridium difficile qui avait réussi à en venir à bout grâce à une TMF. Seul bémol : cette femme de 32 ans n’avait jamais connu de problème de poids auparavant, or elle prit 15 kg dans les seize mois consécutifs à l'opération ; un excès pondéral maintenu malgré un encadrement nutritionnel et un programme d’exercice physique stricts. La cause probable proviendrait de l’équilibre bactérien du microbiote de la donneuse – sa fille de 16 ans – devenue également obèse pendant cette période.

Lire aussi Perdre du poids : pourquoi ça coince ?

Face à l’obésité morbide, la chirurgie bariatrique propose des solutions (bypass, sleeve et anneau gastrique) ; des méthodes invasives qui peuvent parfois échouer, voire déboucher sur des complications. Avec la TMF, plusieurs études déclarent une diminution significative de l'indice de masse corporelle, d’autant plus importante si les patients ont un IMC initial supérieur à trente. La plupart du temps, la transplantation corrige la dysbiose, mais elle tend à réapparaître au bout de six mois en moyenne.

Les chercheurs travaillent à davantage de précision et d’individualisation en vue de faire perdurer des résultats extrêmement prometteurs. Par ailleurs, la nouvelle génération de probiotiques pourrait dans certains cas prendre le relais de la TMF.

Se doper au caca !

La TMF aurait une application inattendue et pourtant logique, celle de l’optimisation des performances sportives. La microbiologiste américaine Lauren Petersen, responsable de l’Athlete Microbiome Project, a découvert que recevoir le microbiote d’un athlète en pleine santé boostait les capacités de l’organisme à produire de l’énergie. La bactérie Prevotella est une fois encore à l’honneur : plus une personne s’entraîne, plus la bactérie est présente. Demain, un sportif amateur passera-t-il professionnel plus facilement en se dopant au caca ?

Redevenons sérieux car certaines histoires dépassent le fantastique. Prenons l'exemple de Lesley Paterson, championne de triathlon, dont la carrière fut mise en péril par la maladie de Lyme. À la suite de sa TMF, quelle ne fut pas sa surprise de retrouver une bonne partie de son énergie ainsi que sa bonne humeur. Lorsqu’on sait que Lyme résulte d'un syndrome multimicrobien et que la TMF renouvelle l’ensemble du microbiote, il n’est pas surprenant de constater de tels effets positifs. Ainsi, la bactérie Borrelia, privée de ses soutiens, n’est plus en position de nuire. Alors que cette maladie très mal soignée provoque des ravages, espérons que les nouvelles technologies microbiotiques sauront s’imposer sans trop tarder.

Comme une sauvegarde informatique

Et si on administrait aux patients des échantillons de leurs propres selles, recueillies avant leurs problèmes de santé ? Le Memorial Sloan Kettering Cancer Center s’est penché sur l’intérêt d’une « auto-TMF » chez les patients ayant subi une greffe de moelle osseuse. Les antibiotiques, donnés pour prévenir le risque infectieux, diminuent la diversité du microbiote avec une perte de bactéries immunomodulatrices, ce qui favorise le risque d’infection. Le contraire de l'effet recherché !

Un an plus tard, les bénéfices de la TMF, en termes de stabilité d’un bon microbiote et d’absence de complication infectieuse, étaient encore présents. Cette méthode rappelle une notion connue en informatique : la restauration à partir d’un point de sauvegarde. Elle permet de retrouver la configuration de son ordinateur avant le moment où il s’est mis à dysfonctionner. C’est plus improbable pour les personnes qui n’ont jamais eu un bon microbiote et qui, de mémoire, n’ont jamais été en bonne santé.

Donneurs de selles : un profil recherché.

Les selles doivent provenir de donneurs sains. Et ils ne sont pas si nombreux. Soumis à des questionnaires rigoureux et des examens médicaux poussés, 97 % des candidats sont éliminés. Étant donné que le microbiote intervient aussi dans la régulation de l’humeur et des émotions (des bactéries peuvent transmettre l’anxiété), un examen psychologique sera donc bientôt ajouté. Les heureux sélectionnés sont très demandés, certains vont peut-être faire fortune avec leurs excréments, un placement pour le moins inattendu des économistes ! Une nouvelle vérification est faite le jour du prélèvement. Les selles sont ensuite diluées et cryogénisées. Le plus souvent, elles seront réintroduites par voie rectale dans le côlon du receveur, le temps d'une intervention semblable à une coloscopie. Une autre solution consiste à ingérer une trentaine de capsules résistantes à l’acidité gastrique qui libéreront leurs matières uniquement dans l’intestin.

Une start-up lyonnaise s’est spécialisée dans le développement de capsules dédiées à cet usage. Mieux vaut toutefois avoir un tractus qui fonctionne bien pour éviter les fausses routes, parce que des régurgitations de caca, vous en conviendrez, ce n’est pas top ! La voie rectale présente l’avantage d’éviter ce risque.

Beaucoup d’espoir et certaines limites

Bien qu’encore discrète, la TMF est l’objet d’une demande croissante de la part des patients comme de celles des cliniciens. Avec l’idée que des pathologies du vieillissement seraient aussi liées à l’âge du microbiote, la possibilité de recevoir le microbiote de personnes saines et jeunes ouvre un boulevard. Pour avoir la place qu’elle mérite au rang des thérapeutiques d’avenir, cette méthode nécessite des études supplémentaires et aussi une réglementation adaptée. Les États-Unis se sont dotés d’un registre national pour recenser de manière exhaustive et rigoureuse les utilisations de la TMF. Selon le British Medical Journal, plus de 6 500 transplantations ont été supervisées. En France et dans beaucoup d’autres pays, il n’y a pas encore de banque de selles.

La TMF aurait donc un effet bénéfique rapide sur un certain nombre de pathologies. Mais cette efficacité est-elle assurée sur le long terme ? La technique est trop récente pour répondre. Nous savons pour le moment qu’une plus grande diversité d’espèces bactériennes dans les selles des donneurs est un des facteurs majeurs de son succès. En particulier, ces derniers ont tendance à avoir beaucoup de bactéries qu’on peut qualifier d’espèces-clés, qui produisent les molécules qui manquent aux receveurs et dont ils ont besoin pour sortir de sa maladie.

Les autres microbes – notamment les virus – et l’alimentation représentent d’importants facteurs de réussite de la TMF pour le maintien des bactéries-clés. Plusieurs travaux ont montré que la présence, dans le prélèvement, de virus infectant certaines bactéries commensales constituait un facteur de succès. Dans une expérience allemande publiée dans Gastroenterology en 2017, un filtrat fécal ne contenant plus de bactéries s’est montré suffisant pour guérir des patients infectés par Clostridium difficile. Les principes actifs sembleraient être des métabolites ou pourquoi pas des bactériophages.

N’y a-t-il pas un risque à vouloir mettre la TMF à toutes les sauces ? En l’état actuel des connaissances, il n’existe pas de contre-indication à la TMF. Mais tant que le rapport bénéfice/risque ne sera pas établi d’une manière plus évidente, il est probable que la TMF reste réservée aux situations compliquées, pour lesquelles les traitements habituels n’ont pas fonctionné. Pourtant, certains chercheurs et cliniciens considèrent que la TMF pourrait aussi présenter un intérêt en dehors des situations pathologiques, c’est-à-dire en prévention. En effet, le développement des techniques de métagénomique identifie, avec de plus en plus, de précision les souches bactériennes pathogènes ou bienfaitrices. On peut alors imaginer des TMF préventives chez les personnes non malades mais qui seraient porteuses de bactéries susceptibles de conduire à la maladie.

Enfin, la TMF ne doit pas être pensée comme une solution de facilité. Nous ne pouvons pas faire l’impasse sur une hygiène de vie et une alimentation saine. Pour conserver un bon microbiote, rappelons ici l’importance de la mastication, d’une alimentation de qualité et diversifiée, de la gestion du stress et des émotions. Si le microbiote influence notre état d’esprit, l’inverse est tout aussi vrai. Il est démontré que la pratique de la méditation, en stimulant le nerf vague qui est relié à l’intestin, favorise un climat anti-inflammatoire et le maintien des bactéries symbiotiques.

La stabilité de nos relations avec le monde bactérien dépend aussi de nos gènes (polymorphismes individuels et épigénétiques). La question du nombre de donneurs sains se pose également. Au regard de l’état de santé des populations qui se dégrade de plus en plus, on peut se demander pendant combien de temps nous resterons en mesure de trouver des individus dotés d’un microbiote encore préservé. Demain, les excréments des gens en bonne santé vaudront peut-être plus que l’or !

 

Sources :

- "Weight Gain After Fecal Microbiota Transplantation" (2015)

- "Long-term benefit of Microbiota Transfer Therapy on autism symptoms and gut microbiota" (2019)

- "Microbiota Transfer Therapy alters gut ecosystem and improves gastrointestinal and autism symptoms: an open-label study" (2017)

- "The effect of fecal microbiota transplantation on psychiatric symptoms among patients with irritable bowel syndrome, functional diarrhea and functional constipation: An open-label observational study" (2018)

- "Le microbiote intestinal gouverne-t-il notre cerveau ?" (2018)

- "The Super-Donor Phenomenon in Fecal Microbiota Transplantation" (2019)

- "Athletes’ Microbiomes Differ from Nonathletes" (2017)

- "Reconstitution of the gut microbiota of antibiotic-treated patients by autologous fecal microbiota transplant" (2018)

 

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Alternative Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé


Tags sur la même thématique microbiote

Pour consulter le site sans publicités inscrivez-vous