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Physiologie du placebo

  • Physiologie du placebo
Article paru dans le journal nº 68

Le fait qu’il existe des sujets répondeurs et d’autres non répondeurs au placebo suggère qu’un certain nombre de conditions doivent être regroupées pour qu’il y ait production d’effets thérapeutiques – et d’effets indésirables. Présentation du produit et rituel de la prescription ont ici toute leur importance.

Plus nombreux sont les facteurs favorisants au même instant, plus grande est la probabilité que le placebo exerce ses effets chez davantage de personnes et de façon plus intense. Comment, dans ce cadre, le praticien va-t-il trouver la bonne façon d’être et d’agir vis-à-vis du patient ?

Sa prestance (son élégance sans excès, son attitude droite, ferme et souple à la fois, son calme en toute circonstance) et la distance respectueuse qu’il mettra (moi, je suis le médecin, vous, vous êtes mon patient, nos rôles sont clairs) lui donneront les moyens d’y parvenir, tout comme sa capacité à développer un toucher délicat. Un contact apaisant permet au patient de se laisser aller aux mains médicales.

Tout est dans la présentation

L’industrie pharmaceutique est bien consciente de l’impact de l’effet placebo. Elle dépense donc chaque année des sommes considérables pour que ses produits soient le plus acceptés possible par les malades auxquels ils seront prescrits, en jouant sur d’autres ressorts que sur l’efficacité médicale.

Ses recherches concernent la dénomination commerciale, l’étiquette, l’emballage, la forme, la taille, la posologie, la couleur, le goût – en lien avec le type de clientèle auquel le médicament s’adresse et la pathologie dont il souffre. Voici quelques exemples de produits ainsi « pensés » au niveau marketing :

 

  • Le Di-Antalvic – aujourd’hui retiré du marché – véhiculait l’idée d’une double action (di-) prometteuse de victoire (-vic) sur la douleur (-al, du mot algie, synonyme de douleur). De même avec le Levitra : cette dénomination évoque non seulement le problème de la dysfonction érectile, mais encore sa résolution.
  • Le Prozac, présenté comme la pilule du bonheur, a connu un rapide succès commercial, d’autant qu’il initiait une nouvelle classe d’antidépresseurs, donc porteuse de l’espoir d’une amélioration sensible des résultats comparativement aux produits jusque là prescrits.
  • La forme en cœur des comprimés de Cardensiel, prescrit en cas d’insuffisance cardiaque, évoque l’infini pouvoir guérisseur de l’amour.
  • La couleur bleue du Viagra renvoie à la détente : tout va bien se passer, on n’a plus de raison de stresser à propos de sa capacité à assurer !

La taille compte

D’autres leviers peuvent encore être actionnés. Ainsi, plus petite est la taille de la pilule, de la gélule ou du comprimé, plus grande est sa puissance supposée. Le caractère sécable de certains comprimés joue sur cette corde sensible : s’il est possible de n’en prendre qu’un quart au lieu d’un entier, c’est que même à cette dose infime, le médicament est déjà suffisamment actif pour induire des effets bénéfiques.

En outre, une moindre dose engendre moins d’effets indésirables : c’est un argument supplémentaire pour la vente. Enfin, à un patient qui a des difficultés à avaler quoi que ce soit, plus la taille du produit sera petite et plus l’aspect sera dragéifié, plus la tolérance sera forte ; à l’inverse, face à un patient qui avale tout, les comprimés de grande taille, rêches au passage, seront plus adaptés.

Le mode d’administration compte aussi

De son côté, la perfusion génère l’idée d’une action plus directe. Dans ce cas, le principe actif ne passe pas par le foie et arrive donc directement là où il doit agir – phénomène réel dont la conceptualisation par le patient augmente certainement l’efficacité du produit.

De plus, la voie injectable exige une surveillance par le personnel infirmier, donc une certaine forme de maternage toujours bienvenue. Elle postule une efficacité plus rapide, et donc plus puissante. Ainsi, une injection intramusculaire d’eau saline (sérum physiologique) ou, mieux d’eau distillée (eau pure, injection très douloureuse) a souvent un effet antalgique sur la douleur pour laquelle la prescription a été faite : en effet, la douleur locale qu’elle induit est si forte que l’attention du mental est immédiatement détachée du lieu de plainte originel !

Plus fort encore : le patient garde de cette expérience un bon souvenir ! « Docteur, votre médicament, qu’est-ce qu’il fait mal ! Mais il m’a bien soulagé de mon problème. » Est-ce une invitation à recommencer si la douleur initiale réapparaît ? Pas forcément, car le souvenir de la douleur liée à l’injection rend également plus supportable la douleur initiale.

Les gouttes, elles, nécessitent d’être comptées, ce qui demande la participation du patient. Quant à la voie sublinguale, régulièrement présentée comme accélérant le transit du principe actif vers son site d’intervention, elle induit une sédation plus rapide, notamment des phénomènes anxieux.

Il existe encore un levier fort paradoxal : depuis les temps les plus reculés, les remèdes ont eu et continuent d’avoir la réputation d’induire un certain nombre d’effets secondaires indésirables. Aussi, un principe réellement actif mais quasi dénué de désagréments n’a guère de chance d’être perçu comme plus efficace que de la poudre de perlimpinpin

Le rituel de la prescription

Outre sa présentation, les conditions dans lesquelles un médicament – ou un placebo – sera prescrit influenceront le ressenti du patient :


  • La personnalisation : une prescription magistrale sous-tend l’idée d’adéquation du traitement à soi et uniquement à soi.
  • Le papier utilisé pour l’ordonnance : tirée d’un bloc ou carnet professionnel, elle sera mieux « vue » qu’imprimée par ordinateur.
  • La mise en page et la police de l’ordonnance : plus elles procurent un sentiment d’équilibre, et donc de structure et de beauté, plus l’impression envers le prescripteur sera favorable.
  • La mention des diplômes, attestations et autres qualifications du prescripteur, chacune suivie du centre certificateur : être diplômé d’une grande faculté est toujours plus flatteur. De même, le degré de qualification compte : un spécialiste est infiniment plus séduisant qu’un simple praticien généraliste.
  • L’explication de l’ordonnance, même si celle-ci ressemble à un concentré de hiéroglyphes. Ex. : « Je vous prescris deux remèdes, le premier est pour vos intestins, il agit ainsi, le second est pour votre stress, il agit ainsi. »
  • La conviction avec laquelle le thérapeute recommande son traitement : cela passe par des phrases concises, claires et précises, par une intonation de la voix chaleureuse, par une attitude corporelle droite et souple, symbole de force sûre, tranquille. Si le médecin a eu un discours convaincant, le cerveau d’un patient souffrant de douleurs pourra même sécréter des endorphines avant que le médicament antalgique ne soit ingéré !
  • L’inévitable poignée de main qui conclut la consultation : elle doit être franche, les yeux dans les yeux. Le praticien, légèrement souriant, se fait alors transmetteur de toute la confiance qu’il a dans son ordonnance, ponctuée par la phrase : « Vous verrez, cela va aller mieux rapidement ! »

On trouve ici la dryade à l’origine de tout succès : l’acceptation du patient (qu’en médecine on appelle « adhésion au traitement », qu’il s’agisse d’un placebo ou non) ; un produit dont l’efficacité est établie (ou du moins présentée comme telle) et un praticien étant (ou paraissant) convaincu de l’efficacité de son ordonnance.

Knock, personnage de la pièce éponyme de Jules Romain, donne la recette infaillible d’une bonne mise en scène pour un placebo : il suffit de persuader la personne qui vient consulter qu’elle est bien malade, qu’on a bien identifié sa maladie, qu’on a une excellente maîtrise du traitement nécessaire et que, par conséquent, la situation va s’améliorer sans aucun doute.

 

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Alternative Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé