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Trigger warnings : inutiles, voire néfastes, pour la santé mentale ?

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Les trigger warnings, ces avertissements censés prévenir le lecteur ou le téléspectateur qu’un film, un livre ou un article va évoquer un sujet qui peut le choquer, ont été démocratisés dans les années 2010 sur les campus américains. Fréquemment utilisés sur Internet, voire dans certains médias, ils participent d’une bonne intention : ne pas heurter la sensibilité de certains ou ne pas raviver leur traumatisme. Mais sont-ils réellement efficaces ? Pas vraiment selon des recherches récentes.

« Avertissement : ce film évoque le sujet du harcèlement scolaire », « TW : alcoolisme/viol/agression » : vous avez sûrement déjà vu, lu ou entendu ces avertissements qui se trouvent généralement au début d’un film, d’un article de presse, d’un livre ou d’un podcast. Il s’agit de trigger warnings (alias « TW »), ce qui signifie littéralement « avertir d’un danger », de l’anglais warn (prévenir) et trigger (déclencheur). Ils annoncent qu’un sujet sensible va être abordé, afin que ceux que cela dérange ne soient pas surpris et/ou puissent décider de s’en préserver.

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Nés sur Internet, popularisés sur les campus américains, mais encore très minoritaires

Née en 1990 sur des forums féministes de discussion en ligne, la pratique avait initialement pour but de prévenir les personnes sensibles en cas d’évocation très crue de détails de viols ou de violences sexuelles. En effet, chez certaines personnes, il arrive que ce type de lecture génère des symptômes désagréables de stress, voire de panique, souvent liés à un stress post-traumatique.

Celle-ci s’est ensuite élargie pour s’appliquer à d’autres sujets comme les troubles du comportement alimentaire, les tendances suicidaires ou l’automutilation. Mais c’est surtout au début des années 2010 que son usage s’est répandu. Notamment dans certains campus américains qui entendaient étendre sa portée en visant plus globalement les victimes d’injustices ou d’oppression (comme les minorités raciales, sexuelles ou de classe). Il était alors parfois demandé aux enseignants de prévenir les étudiants avant chaque cours ou chaque lecture d’œuvre qu’un contenu ou un thème abordé serait susceptible de provoquer une réaction émotionnelle négative forte.

Par exemple, des élèves de l’université Columbia, à New York, souhaitaient être avertis que le classique d’Ovide, Les Métamorphoses, décrivait de nombreux viols. Malgré les demandes répétées de certains étudiants, seule une infime minorité d’universités américaines auraient réellement appliqué ces avertissements : moins de 1 % selon une enquête datant de 2015. En effet, de nombreux enseignants pensent que cela aurait des effets négatifs sur leur liberté d’enseigner ainsi que sur la dynamique en classe.

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Une pratique moins répandue en France, mais qui gagne du terrain

En France, la pratique est encore moins répandue, bien qu’elle se démocratise, notamment en page de garde de certains livres. Elle a été adoptée par exemple par les éditions jeunesse Scrineo, Akata ou De Saxus. Certains médias hexagonaux l’appliquent également, comme les médias en ligne Madmoizelle ou Slate avec son podcast Transfert.

En l’absence de preuves sur l’efficacité de ces trigger warnings, d’autres productions, comme la série SKAM France diffusée sur le web et le petit écran par France Télévisions, ont décidé de se cantonner à la signalétique par âge du CSA.

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Les doutes de certains psychologues rapidement confirmés par des études scientifiques

Très rapidement après l’apparition de ce phénomène, des psychologues ont émis de forts doutes quant à l’efficacité de ce procédé, expliquant qu’il pouvait encourager les victimes à éviter toute situation leur rappelant leur traumatisme, ce qui aurait tendance, contrairement à ce que l’on croit, à renforcer le stress post-traumatique. En effet, de nombreux travaux ont montré que ce qui semble le mieux soigner les traumatismes sont de petites expositions maîtrisées aux déclencheurs de stress (comme durant la thérapie EMDR) qui, petit à petit, permettent au patient de retrouver un sentiment de puissance et de maîtrise, notamment de ses émotions.

Des études parues ces dernières années abondent dans ce sens. La plus récente, publiée dans la revue Clinical Psychological Science, conclut que ces avertissements semblent, au contraire, « accroître l'anxiété d'anticipation qu'une personne peut ressentir avant de visionner du matériel sensible », tout en ne diminuant pas son envie de le consommer pour autant. En effet, selon cette compilation de douze études réalisées sur le sujet, les niveaux de détresse des participants après avoir visionné du matériel potentiellement déclencheur étaient les mêmes, qu'ils aient ou non été avertis. Pire, ces mises en garde augmenteraient l’anxiété d’anticipation, c’est-à-dire ajouteraient de l’anxiété à celle déjà présente chez ces lecteurs plus sensibles (lire l’encadré ci-dessous).

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Inefficacité des trigger warnings : les quatre conclusions d’une étude récente

Trigger warning : inutiles voire néfastes pour la santé mentale ?

Des chercheurs ont compilé douze études sur le sujet des trigger warnings et ont publié leurs résultats en octobre dans la revue américaine de l’Association pour la science psychologique (une organisation à but non lucratif dédiée à l'avancement de la psychologie scientifique). Voici les quatre conclusions auxquelles ils ont abouti :

  • Les avertissements augmentent l’anxiété d’anticipation : « Dans cinq études, les participants qui lisaient les avertissements de contenu étaient plus anxieux avant de visionner du contenu potentiellement déclencheur que ceux qui ne le faisaient pas.»
  • Les avertissements n’ont pas influencé les réactions émotionnelles au contenu« Dans neuf études, les avertissements de contenu n'ont pas affecté les sentiments de détresse, de peur ou d'anxiété des participants après avoir visionné du contenu sensible. »
  • Les avertissements n’augmentent pas l’évitement: « Dans cinq études, les participants ont visionné du contenu troublant à peu près au même rythme, qu'ils aient ou non reçu un avertissement déclencheur. »
  • Les avertissements n’influencent pas la compréhension: « Dans trois études, les avertissements relatifs au contenu n'ont pas affecté la compréhension des participants du matériel écrit. »

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Comme le résume l’une des auteures principales de l’étude, la chercheuse en psychologie à l’université Flinders (Australie) Victoria Bridgland : « Lorsque les gens voient des avertissements déclencheurs, cela les rend anxieux, mais cette anxiété ne semble pas être une sorte de préparation émotionnelle utile. »

Les chercheurs pensent également que ces messages peuvent possiblement générer un effet « fruit défendu » qui pourrait rendre encore plus tentants les contenus potentiellement répulsifs. Ainsi, selon eux, nous devons collectivement trouver d’autres stratégies à adopter, comme une meilleure formation à la régulation émotionnelle des victimes.

Bien que le consensus scientifique actuel semble largement aller dans le sens d’une inefficacité des trigger warnings, ce débat a le mérite de mettre en lumière la nécessité, pour nos sociétés, de traiter plus efficacement la souffrance ressentie par de nombreuses victimes de violences.

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Références bibliographiques

 

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Alternative Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé


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