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La balance ne vaincra pas l’obésité

Article paru dans le journal nº 84 Acheter ce numéro
  • Près de deux Français sur dix souffrent d’obésité.Près de deux Français sur dix souffrent d’obésité.

De nouvelles recommandations canadiennes proposent de guider les professionnels de santé dans le suivi des patients obèses en privilégiant une approche fondée sur la santé plutôt que sur le poids, mais aussi en reconnaissant l’obésité comme une maladie chronique qui nécessite un traitement pluridisciplinaire adapté.

Près de deux Français sur dix souffrent d’obésité. Pourtant, ce fléau n’est pas reconnu comme une maladie chronique dans l’Hexagone, tandis que certains médecins continuent d’ériger l’alimentation saine et l’activité physique au rang de solutions miracles pour atteindre le Graal : la perte de poids. Or, d’après une nouvelle ligne directrice, publiée le 4 août, dans le Journal de l’Association médicale canadienne, la balance n’est pas l’indicateur adéquat. Devant la complexité de cette pathologie, les auteurs de ce rapport préconisent de se concentrer sur les paramètres de santé du patient et non sur sa masse corporelle. Pour ce faire, ils proposent un protocole en cinq étapes, censé permettre de dépasser le slogan simpliste « manger moins, bouger plus ».

Aussi évident que cela puisse paraître, le premier stade consiste à « demander aux patients l’autorisation de les conseiller et de les aider à traiter cette maladie ». ­Ximena Ramos-Salas, docteure en ­santé publique, travaillant sur les discriminations en lien avec l’obésité, rappelle dans ce document que « les professionnels de santé sont formés pour s’entretenir sans jugement et de manière impartiale avec leurs patients lorsqu’il s’agit d’autres ­maladies ­stigmatisées, tels les troubles mentaux, le VIH ou le sida, ou encore le handicap. Les personnes ­atteintes d’obésité devraient donc être traitées de la même manière. » Le consentement reste toutefois abordé de façon trop superficielle dans ce rapport, d’après Édith Bernier, auteure du livre Grosse, et puis ? Connaître et combattre la grossophobie (1). Dans la version canadienne de l’HuffPost, elle déplore que l’avis du patient ne soit pas approfondi : « On effleure à peine la possibilité qu’une personne grosse ne désire pas maigrir ou parler de son poids. Lorsqu’on aborde finalement la question, on s’empresse de nous mettre sur le dos, à nous, les patients gros, l’absence de désir de vouloir “s’attaquer à ce problème” ».

Une maladie chronique

Pour les auteurs de ce document, ­« s’attaquer au problème » nécessite de classer l’obésité comme une maladie chronique. Ce qui est le cas de l’Organisation mondiale de la santé depuis 1997 et de certains pays comme l’Italie et l’Allemagne, mais pas la France ni le Canada. Cela ferait pourtant « toute la différence en termes de perception, selon Anne-Sophie Joly, présidente du Collectif national des associations d’obèses (Cnao). On ­arrêterait d’assimiler l’obésité à un problème de volonté, voire à un ­dysfonctionnement intellectuel. »

La deuxième étape avancée par les chercheurs canadiens concerne l’évaluation du degré d’obésité du patient. Sans abandonner l’indice de masse corporel (IMC), ces derniers préconisent de ne pas limiter le diagnostic médical à cet indice. « L’obésité n’est pas directement liée à l’apparence ou à la taille du corps. C’est une maladie. Toutes les personnes avec un IMC élevé ne sont pas obèses et toutes les personnes avec un IMC considéré comme normal ne sont pas en bonne santé », résume Ximena Ramos-Salas. Concrètement, le rapport recommande « une anamnèse [récit des antécédents médicaux] complète pour identifier les causes profondes du gain pondéral et les obstacles physiques, mentaux et psychosociaux à la perte de poids. »

Depuis l’hôpital de La Tour en Suisse, l’endocrinologue et diabétologue François Pralong a recours à l’absorptiométrie biphotonique à rayons X. « Cette technique permet de mesurer la quantité de muscle et de graisse, mais aussi de localiser cette dernière, qui est dangereuse au niveau intra-­abdominal, détaille-t-il. Nous sommes alors capables d’identifier le type d’obésité et l’impact sur la santé du patient. » Difficile, selon François Pralong, de renoncer complètement à l’IMC, indispensable pour la prescription de certains médicaments, mais il invite à « relativiser » ce chiffre.

Le troisième axe aborde la phase de discussion des options thérapeutiques. « Les adultes vivant avec l’obésité devraient bénéficier de plans de soins individualisés et adaptés aux causes profondes de leur obésité, d’un soutien pour les changements comportementaux (nutrition, activité physique) et de traitements d’appoint pouvant inclure des approches psychothérapeutiques, pharmacologiques et chirurgicales », avancent les scientifiques.

Là encore, le service dédié à la prise en charge de l’obésité au sein de l’hôpital de La Tour se veut précurseur. « L’interdisciplinarité est au cœur de notre ADN. Notre équipe comprend psychologues, diététiciens, phytothérapeutes, coachs sportifs, chirurgiens bariatriques, ­gastro-entérologues, pneumologues et anesthésistes, tous spécialisés, énumère François ­Pralong. Nous sommes en train d’intégrer des indicateurs propres à chacun tels le diabète, l’hypertension, le cholestérol et l’apnée du sommeil. » Selon ce médecin, rassembler divers spécialistes au sein d’un même centre de soins permet de « proposer le traitement adéquat au bon moment ».

Vient l’heure de définir des « objectifs de traitement ». Il est mentionné à l’étape n° 4 : « Les professionnels de la santé devraient avoir une discussion avec leurs patients pour clarifier leurs attentes, choisir des traitements et établir des objectifs réalistes sur le plan des habitudes de vie et des paramètres de santé ». De son côté, l’endocrinologue suisse juge « primordial de rappeler aux personnes souffrant d’obésité qu’elles sont face à une maladie et ne sont ni paresseuses, ni atteintes d’un vice et ne manquent pas de volonté. »

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Sortir des régimes

Dans cette perspective, se concentrer sur les données relatives à la santé du patient prend tout son sens. « Il ne faut pas rechercher à tout prix un poids idéal, martèle Anne-Sophie Joly. Mais, au contraire, tendre vers l’équilibre entre le bon état de santé du patient et son état mental. Les équipes médicales ne doivent pas négliger le rapport bénéfices-risques car, si les patients craquent face à des régimes trop stricts, cela va ajouter de la mésestime à des personnes déjà très abîmées. Il semble donc plus raisonnable de se diriger vers des objectifs atteignables dans le temps, en restant dans le plaisir et non dans la contrainte. »

Elle milite pour « réapprendre à manger et à cuisiner des fruits et des légumes de saison tout en expliquant les conséquences positives de chaque aliment sur le corps à petit, moyen et long terme. Car les patients obèses ont pris l’habitude de ‘’gober’’ leur nourriture et doivent se remettre à l’apprécier. » Une vision à l’opposé des régimes qui « ont bousillé des corps et des esprits. C’est la pire chose qu’on peut s’infliger », déclare Gabrielle Deydier. Auteure du livre On ne naît pas grosse(2) et du documentaire On achève bien les gros (3), elle souffre d’obésité depuis un traitement hormonal prescrit à l’adolescence à la suite d’un diagnostic médical erroné.

Elle souligne aussi que les régimes s’accompagnent « de 95 % d’échec au bout de cinq ans et contribuent à développer les troubles du comportement alimentaire. » Cette quadragénaire se dirige désormais vers une alimentation intuitive et consulte une équipe médicale pluridisciplinaire. Tout en se montrant sceptique à l’encontre d’une des solutions prônées par les chercheurs canadiens, à savoir la chirurgie bariatrique : « Je ne suis pas opposée à la chirurgie, explique Gabrielle Deydier. Mais je ne fais pas partie des profils qu’on peut opérer puisque je souffre de TCA, comme 6 personnes obèses sur 10. Cela est aussi déconseillé à celles atteintes de dépression ou d’addictions. Ces interventions méritent d’être mieux encadrées, car c’est devenu le recours automatique quand ça devrait rester exceptionnel. D’autant que 40 % des patients reprennent du poids au bout de cinq ans après une sleeve [ablation d’une partie de l’estomac] et 20 à 25 % avec un bypass [contournement de l’estomac via une poche gastrique]. Ce qui est difficile à encaisser pour ces personnes, parfois tentées par une deuxième opération avec, pour conséquence, d’affaiblir leur organisme qui devient incapable d’assimiler les vitamines ».

Lutter contre l’obésité des enfants

Multifactorielle, l’obésité peut en partie provenir du patrimoine génétique« Si dans un couple, un des parents souffre d’obésité, il y a 4 chances sur 10 pour que le bébé naisse obèse ou développe cette pathologie à terme. Si les deux parents en sont atteints, cette proportion s’élève à 80 % », résume Anne-Sophie Joly, présidente du collectif national des associations d’obèses. Mais l’éducation joue aussi un rôle prépondérant. Le Chili est ainsi parvenu à réduire la consommation de sodas de 25 %. Et ce, notamment en apprenant aux écoliers à identifier un logo figurant obligatoirement sur les produits trop gras, salés ou sucrés depuis 2016, contrairement au Nutri-Score européen encore facultatif.

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Dire stop aux clichés

Une réalité prise en compte par les auteurs du rapport. « Les traitements contre l’obésité ne fonctionnent pas pour tous les patients, car c’est une maladie hétérogène. Cela signifie que ces personnes ont pris du poids pour différentes raisons et que la solution ne peut pas être unique, assure Ximena Ramos-Salas. De la même manière qu’il existe divers traitements pour le cancer, le diabète ou l’hypertension, nous devons poursuivre la recherche pour ­élaborer de meilleurs traitements adaptés à chaque patient obèse. »

À la différence que, devant une pathologie aussi complexe, un seul médicament ne peut suffire. Des chercheurs québécois et danois tentent toutefois de mettre au point un comprimé permettant « d’activer la graisse brune ». « Ce médicament vise à ouvrir les récepteurs adrénergiques [déjà ciblés par les traitements contre l’hypertension artérielle, l’insuffisance cardiaque ou la migraine] et ainsi à brûler une partie de ce tissu adipeux qui contient beaucoup de gras et sert à combattre le froid. Et ce, sans avoir besoin de baisser la température corporelle », synthétise le professeur chercheur André Carpentier qui participe à ces études.

Dans son dernier point, la ligne directrice insiste sur la nécessité de rendre les méthodes efficaces de lutte contre l’obésité accessibles à tous, mais aussi de mieux former le personnel médical à cette pathologie. Gabrielle Deydier prône une double sensibilisation des médecins et du grand public. « C’est comme pour toutes les luttes contre les discriminations, il faut faire tomber les clichés en donnant la parole aux personnes concernées, car une société plus inclusive éviterait que certains se sentent rejetés et sombrent dans un cercle vicieux. » Cesser de réduire l’obésité à un poids et l’envisager comme une maladie chronique se révèle donc indissociable du succès de son traitement dans le respect de la personne concernée.

 

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Alternative Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé

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