Accueil Conseils santé Cannabis : Le CBD, du commerce aux promesses
Cannabis : Le CBD, du commerce aux promesses
Crèmes, baumes, gélules, infusions, bonbons à sucer, e-liquides pour vapoteuses... le CBD a le vent en poupe et est en passe de devenir la molécule de la décennie. Entre marketing bien-être et réelles promesses thérapeutiques, on fait le bilan !
La plante Cannabis sativa (une des variétés les plus connues et utilisées du cannabis) contient à elle seule plus de cent composés chimiques connus sous le nom de « cannabinoïdes ». L'utilisation de cette plante en phytothérapie remonterait à 500 ans avant Jésus-Christ. Le THC (tétrahydrocannabinol), principale molécule psychotrope du chanvre, et le CBD (cannabidiol) sont ses principes actifs les plus réputés, mais il en existe beaucoup d’autres : le CBC (cannabichromene), le CBL (cannabicyclol), le CBN (cannabinol) ou encore le CBV (cannabivarol). Cependant, les recherches sur ces derniers sont pour le moment quasi inexistantes, car ces cannabinoïdes sont présents en quantité infime dans la plante d’une part, ou n’ont pu être, à ce jour, artificiellement synthétisés, ce qui hypothèque leur statut de potentiel médicament.
En effet, il a fallu attendre les années 1940 pour que la science moderne s'intéresse de plus près au chanvre et à sa structure chimique. Grâce au professeur Roger Adams et son équipe, le cannabidiol (CBD), actif non psychotrope, fut la première molécule isolée et extraite de la plante de cannabis. Puis, plus rien1. Aucune autre investigation, ou presque, n'a été menée pendant près de vingt-cinq ans. On a, alors, longtemps pensé que le CBD était un précurseur du THC avant que des recherches dans les années 1970 montrent que le CBD et le THC étaient non seulement des cannabinoïdes différents, mais qu'ils interagissaient. Ainsi, l’une des premières propriétés attribuées au CBD par des études a été son potentiel d’interférence avec les effets du THC, et donc sa possible action contre l’accoutumance au THC2.
Lire aussi Cannabis sativa L. : aussi fascinante qu’inquiétante
Encore aujourd’hui, la complémentarité CBD/THC reste un enjeu au vu de leurs potentiels thérapeutiques respectifs. Pour preuve, l’expérimentation lancée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) sur le cannabis médical en 2020. « Les traitements proposés dans le cadre de l’expérimentation sont basés sur des huiles et des inhalations avec trois différentes modulations CBD/THC. Une à CBD dominant, une où les taux sont plus ou moins égaux et une dernière à THC dominant. Le CBD est toujours présent afin de réduire les effets psychotropes du THC, mais aussi l'accoutumance », rappelle le docteur Pascal Douek, ex-membre du Comité scientifique spécialisé temporaire (CSST) chargé de rendre un avis sur la pertinence du cannabis médical. Pour lui, le CBD a « aussi bien un potentiel thérapeutique seul qu’en combinaison avec le THC, la preuve réside en l'existence de traitements agréés par les agences du médicament américaine, européenne et française. On parle ici de l’Epidiolex, à base de CBD, et du Sativex, combinant CBD et THC. Les deux sont utilisés dans les troubles de type épileptique, mais également dans les cas de spasticité de la sclérose en plaque ».
Lire aussi Cannabis thérapeutique. L’ANSM autorise son expérimentation
CBD, un neuroleptique prometteur
Une grande partie de la production scientifique dans le domaine s'est particulièrement intéressée aux propriétés neurologiques et neuroleptiques du CBD3. Les médicaments Epidiolex et Sativex sont d’ailleurs prescrits dans ce champ d’action. Ainsi, de nombreuses études animales et humaines de phase III ont démontré les bénéfices du CBD dans des cas d’épilepsie infantile spécifiques ainsi que dans certains cas de schizophrénie. D’autres études ont mis en relief les potentielles vertus thérapeutiques du CBD en tant que neuroleptique, que cela soit par voie orale, intraveineuse ou en injection. Elles révèlent un effet bénéfique sur des troubles anxieux, tels que la panique, le stress post-traumatique et le trouble obsessionnel compulsif.
Dans une simulation de prise de parole en public, la prise de CBD sous forme orale à haute dose (300 mg) – dans une procédure en double aveugle, contrôlée par placebo – a mis en évidence un effet anxiolytique notable chez des volontaires sains, comparable aux effets de deux anxiolytiques de référence : l’ipsapirone (5 mg) et le diazépam (10 mg). Une expérience semblable, à plus petite échelle (36 patients), testant cette fois des personnes souffrant de dépression saisonnière a montré des résultats similaires.
D’autres recherches sur le potentiel antipsychotique du cannabidiol ont montré un effet équivalent à la clozapine (antipsychotique classique), notamment dans les cas de schizophrénie4, ceci sans certains des effets indésirables de ce genre de médicaments. Toutefois, les posologies efficaces dans ce cadre de recherche étaient très nettement supérieures aux doses suffisantes pour un effet « anxiolytique » dans les études précitées. Il en va de même pour les recherches autour de la maladie de Parkinson : dans ces protocoles, jusqu'à 800 mg de CBD pouvaient être administrés aux patients chaque jour !
Lire aussi CBD : enfin une piste pour traiter réellement Alzheimer ?
Du CBD à toutes les sauces
Aujourd'hui, d’autres propriétés potentielles du CBD, par exemple neuroprotectrices dans le cas de la maladie d’Alzheimer5, sont à l’étude, notamment grâce aux modes d’action des cannabinoïdes sur notre corps découverts dans les années 1980. Tenant un rôle primordial dans nos échanges cellulaires, le système endocannabinoïde est d’une grande complexité. Une de ses fonction principale est de réagir à des stress afin de permettre à notre corps de conserver son équilibre (homéostasie). L’altération de ce système et des niveaux de ses médiateurs lipidiques (endocannabinoïdes) dans certains tissus peut contribuer à l’installation ainsi qu’à la progression de différentes pathologies. Il n’est donc pas surprenant que l’apport de CBD sous forme de supplémentation ou de « traitement » ait un potentiel d’action sur ce système, différent selon les dosages et les pathologies visées.
En ce sens, une synthèse scientifique de 20206 met en exergue le potentiel anticancer du cannabidiol du fait de son influence sur le système endocannabinoïde. Les auteurs ont ainsi constaté que le CBD pouvait agir sur des récepteurs endocannabinoïdes actifs dans de nombreux types de cancers (CB1 et CB2)7. De plus, la molécule aurait démontré des effets antiprolifératifs, proapoptose et antitumoraux. Cependant, très peu des études incluses dans l’analyse étaient menées sur des sujets humains. Les scientifiques insistent dans leur conclusion sur la nécessité de poursuivre les recherches sur l’humain et sur d’autres pathologies.
Lire aussi Le cannabidiol au secours du déclin cognitif
« Heureusement la révolution semble en marche », constate le professeur Amine Benyamina, médecin addictologue et cofondateur du premier diplôme universitaire français sur le cannabis médical à l'université Paris-Saclay. En effet, pour le scientifique, l’engagement de la France, notamment au travers du lancement de l’expérimentation du cannabis médical, est « un premier pas vers des financements et des études pointues permettant à des patients en plein désert thérapeutique d’enfin trouver une solution ».
De son côté, le docteur Douek se satisfait de « l'engouement pour cette ancienne molécule remise à l'ordre du jour par le marché du bien-être, lui offrant une réelle mise en lumière, aussi bien pour les chercheurs que pour les patients ». La surexposition du CBD a ainsi conduit de nombreux scientifiques à se pencher sur cette molécule souvent dépeinte comme miraculeuse. Depuis, d’autres vertus potentielles lui ont été attribuées dans les études : antioxydant, anti-inflammatoire, antalgique, tonifiant pour la peau et efficacité contre les troubles du sommeil(8)(9)(10). Cependant, et comme le confirment les deux experts, ces études restent de petite envergure, avec une qualité de preuve insuffisante. « Il existe également une absence de norme scientifique autour des posologies et des voies d'administration qui ne sont pas, pour le moment, uniformisées dans les études », ajoute le Pr Benyamina. Or, entre CBD « thérapeutique » et CBD « bien-être », c’est bien là que réside le nerf de la guerre.
Lire aussi Le CBD, poil à gratter des débats sur le cannabis thérapeutique
Un usage thérapeutique loin des dosages du commerce « bien-être »
Les posologies utilisées dans les études médicales scientifiques sont souvent bien loin des dosages proposés dans le commerce dit du « bien-être ». Les effets sont par conséquent moins spectaculaires, alors que le CBD bien-être est aujourd’hui très onéreux. En effet, le flacon de 1 000 mg atteint facilement les 70 euros aujourd’hui, ce qui représente un budget conséquent.
D’autre part, la biodisponibilité du cannabidiol (la proportion réellement absorbée et utilisée par le corps) est assez faible, posant d’autres problèmes et nécessités d’évaluation concernant les posologies et les voies d’administration du produit. Selon une revue critique de littérature scientifique11, « la seule étude rigoureuse rapportant une biodisponibilité du CBD portait au départ sur le tabagisme. Cinq participants à l’étude fumaient également du CBD, et les résultats ont conclu à une biodisponibilité moyenne de 31 % pour le cannabidiol par cette voie. Lorsque l'on considère les différences observées dans la concentration plasmatique via une prise orale, on s'attend à ce que la biodisponibilité orale soit significativement plus faible », détaille l’article. De plus, fumer du CBD n’est pas conseillé, car « le produit de la combustion de la fleur de cannabis, même privée de THC, représente un danger certain pour la santé », rappelle le docteur Douek, également auteur du livre Le cannabis médical, une nouvelle chance*.
Un autre inconvénient est que « le cadre juridique du CBD est toujours flou : n’importe qui peut vendre du CBD, et la majorité des professionnels de santé refusent de renvoyer leurs patients vers ce genre de boutique », constate le professeur Benyamina.
Lire aussi CBD : les fleurs de la discorde
Entre le flou sur le cadre juridique, les posologies et les concentrations, les formes à privilégier, la qualité des produits vendus et le sérieux des (aujourd’hui) nombreux distributeurs, nombre de personnes voulant essayer le CBD pour des raisons thérapeutiques se sentent perdues. Adeline G., une quadragénaire souffrant d'algodystrophie et d’arthrose nous a confirmé dans un témoignage dans quelle « solitude » elle s’était retrouvée lorsqu’elle a voulu essayer le CBD pour diminuer ses douleurs12.
« À vrai dire, les médicaments, ce n'est au départ pas mon truc. Étant donné que je souffre de douleurs chroniques – et après avoir été de déception en déception avec les différentes prescriptions qu’on m’a faites ces dernières années –, m’orienter vers une option naturelle m’était plus confortable. C’est à ce moment que j’ai entendu parler du CBD, ce produit qui promet monts et merveilles. Je me suis alors rapprochée d’abord d’un algologue pour en savoir plus, mais quelque chose le gênait. Il a vite balayé la question et n’a pas voulu me conseiller des marques ou des modes d’administration (huiles, baumes, tisanes). Un peu penaude, je me suis alors tournée vers un médecin qui s’intéressait au sujet et qui m’a proposé d’essayer une crème au CBD par voie locale.
Je me suis alors retrouvée seule face à l’incroyable opulence du marché. J’ai essayé pas moins de sept produits différents, et aucun, au début, ne m’a vraiment soulagée, qu’il soit pris par voie orale ou locale. Certains n'avaient tout bonnement pas d’effet sur moi. L’un d’entre eux m’a même fait l’effet d’une crise d'hypotension ! Ce n’est qu’en essayant le septième produit, alors que j’allais laisser tomber, que j’ai enfin ressenti un soulagement, mais léger. En tout, j’aurai dépensé 400 euros en produits inefficaces, voire néfastes, avant de trouver un produit qui répondait un tant soit peu à mes besoins et qui est venu s’ajouter à mon arsenal de petites astuces au quotidien pour lutter contre la douleur ! »
Lire aussi Du CBD pour rendre les douleurs plus supportables
Une molécule encore trop méconnue
Ainsi, la recherche scientifique en est encore à ses prémices, que ce soit pour le CBD bien être ou thérapeutique. Au-delà des questions de posologie ou de mode d’administration, d’extrait de CBD naturel ou de cannabidiol synthétique, l’effet sur chaque patient peut être différent. Il en va de même pour les effets indésirables. De ce fait, même si la plupart des études sur le CBD n’ont fait état d’aucune toxicité, vantant même les bienfaits de la molécule par rapport à d'autres médicaments, certaines rapportent quelques risques liés à son usage. Selon la synthèse du Journal of Medicinal Chemistry11 préalablement citée, le CBD semble être généralement sans danger lorsqu'il est administré à faibles doses (moins de 100 mg). Mais des études sur l'utilisation du CBD en combinaison avec d'autres médicaments faites sur des animaux soulèvent des inquiétudes quant aux possibles interactions médicamenteuses, tandis que la prise de cannabidiol à forte dose (25 ou 50 mg/kg) a parfois entraîné une hypotension significative, des problèmes de fertilité, d’altération de l’ADN et des lésions hépatiques13.
Il s’agit donc d’être attentif quant à la prise du CBD que l’on trouve dans le commerce et à l’automédication. Tout du moins en attendant « les prochaines évolutions médicales qui ne sauraient tarder autour du cannabis », conclut le Pr Benyamina.
Lire aussi Vers un cannabis thérapeutique made in France
Pour aller plus loin :
Sources :
- « Translational Investigation of the Therapeutic Potential of Cannabidiol (CBD): Toward a New Age », Frontiers in Immunology, 2018.
- « Potential Adverse Drug Events and Drug-Drug Interactions with Medical and Consumer Cannabidiol (CBD) Use », Journal of Clinical Medicine, 2019.
- « Cannabidiol (CBD) use in psychiatric disorders: A systematic review », NeuroToxicology, 2019.
- « The effects of cannabidiol (CBD) on cognition and symptoms in outpatients with chronic schizophrenia a randomized placebo controlled trial », Psychopharmacology, 2018.
- « Overview of cannabidiol (CBD) and its analogues: Structures, biological activities, and neuroprotective mechanisms in epilepsy and Alzheimer’s disease », European Journal of Medicinal Chemistry, 2020.
- « Cannabidiol (CBD) as a Promising Anti-Cancer Drug », Cancers, 2020.
- « Chapter Five - CB1 and CB2 Receptor Pharmacology », 2017.
- « Antioxidative and Anti-Inflammatory Properties of Cannabidiol », 2019.
- « Therapeutic Potential of Cannabidiol (CBD) for Skin Health and Disorders », Clinical, Cosmetic and Investigational Dermatology, 2020.
- « The Role of Cannabidiol (CBD) in Chronic Pain Management: An Assessment of Current Evidence », Current Pain and Headache Reports, 2020.
- « The Essential Medicinal Chemistry of Cannabidiol (CBD) », Journal of Medicinal Chemistry, 2020.
- « A cautious hope for cannabidiol (CBD) in rheumatology care », Arthritis Care & Research, 2020.
- « Cannabidiol Adverse Effects and Toxicity », Current Neuropharmacology, 2019.
En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Alternative Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé
Pour consulter le site sans publicités inscrivez-vous
Commercialisation du cannabidiol (CBD) : vers un assouplissement ?
CBD : Pour l’UE il est interdit d'interdire
Chanvre en médecine, du Dr Franjo Grotenhermen
Le cannabidiol (CBD), un antalgique naturel hors pair
CBD : le Conseil d’État suspend l’arrêté interdisant la commercialisation des fleurs