Accueil Traitement Anorexie : et si l’intestin était en cause ?
Anorexie : et si l’intestin était en cause ?
L’anorexie mentale est souvent associée aux troubles de l’humeur (dépression, anxiété...) et aux troubles gastro-intestinaux. Le microbiote, cet univers bactérien qui peuple notre intestin, est de plus en plus reconnu pour être impliqué dans la genèse de ces différents troubles. Certaines espèces bactériennes qui le composent et les molécules qu’elles produisent ont d’ailleurs été identifiées pour leur action sur des fonctions cérébrales précises, avec à la clé des pistes thérapeutiques prometteuses pour prendre en charge l’anorexie.
La théorie selon laquelle des molécules en provenance de l’intestin peuvent affecter les fonctions cérébrales, et par là induire des maladies mentales, a longtemps été considérée comme farfelue. Les temps ont changé, et la recherche scientifique s’active aujourd’hui à déterminer le rôle des micro-organismes intestinaux dans la genèse des troubles du comportement alimentaire. Au point que rétablir l’équilibre du microbiote intestinal, notamment via des probiotiques , devient un levier d’action thérapeutique.
Une importante revue de la littérature scientifique parue début 2021 dans Frontiers in Psychiatry montre l’accumulation de données probantes sur l’implication du microbiote intestinal dans la physiopathologie de l’anorexie mentale. Comment intervient-il ? D’une part, les bactéries intestinales ont des effets sur le métabolisme énergétique de la personne, sur son système immunitaire, sur son appétit, sur son humeur et son comportement ; d’autre part, une perméabilité intestinale excessive permet le passage dans le sang de protéines et de peptides d’origine bactérienne susceptibles d’influencer, rarement à bon escient, les fonctions nerveuses.
Enfin, la théorie inflammatoire de la dépression reste là aussi d’actualité, puisque cette hyperperméabilité peut entretenir un état chronique d’inflammation de bas grade connu pour contribuer à différentes pathologies psychologiques dont l’anorexie. La recherche se poursuit dans l’identification des espèces microbiennes associées aux variations de poids et aux comportements anxiodépressifs chez les patients atteints d’anorexie mentale.
Une perte de diversité du microbiote chez les anorexiques
Il est admis que la diversité microbienne, c’est-à-dire la quantité et la répartition idéales des différentes espèces qui composent le microbiote, est associée à une meilleure santé. À l’inverse, une perte de diversité du microbiote est couramment observée dans de nombreuses maladies au long cours. Plusieurs études ont ainsi confirmé une réduction significative de la diversité microbienne chez les patients anorexiques , corrélée aux symptômes dépressifs ou anxieux.
Les analyses de selles de personnes anorexiques montrent par ailleurs des niveaux réduits d’acides gras à chaîne courte (AGCC), carburant des cellules intestinales produit par les bactéries, en particulier de butyrate, comparativement aux personnes en bonne santé. Or il est admis que les bactéries productrices de butyrate ont, dans l’ensemble, une activité anti-inflammatoire. À l’inverse, on trouve en moyenne dans ces analyses plus d’espèces bactériennes qui dégradent le mucus protecteur de l’intestin. C’est le cas de Roseburia spp, dont l’abondance est corrélée à des taux bas de butyrate et à des scores élevés d’anxiété et de dépression . Autant de cibles thérapeutiques potentiellement intéressantes.
Plus précisément, il a été observé que certaines espèces bactériennes sont surreprésentées chez les patients anorexiques (Alistipes, Clostridiales, Christensenellaceae et Ruminococcaceae), tandis que d’autres sont, elles, sous-représentées (Faecalibacterium, Agathobacter, Bacteroides, Blautia et Lachnospira). Ces informations, qui peuvent paraîtres absconses à première vue, sont précieuses depuis que la métagénomique des selles est accessible au public. Celle-ci permet, sur simple analyse de selles, d’établir un profil du microbiote de la personne. Bien qu’il soit raisonnable de dire que l’essentiel reste à découvrir, plusieurs associations entre familles bactériennes et pathologies sont déjà établies et permettent des recommandations alimentaires précises.
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Des bactéries qui modifient les signaux nerveux
L’équilibre du microbiote paraît essentielle à une communication efficace entre l’intestin et le cerveau. Une dysbiose, c’est-à-dire une rupture de l’équilibre entre les familles bactériennes, peut favoriser l’inflammation et altérer la perméabilité intestinale. Plus spécifiquement concernant l’anorexie, l’équilibre microbien intestinal peut influencer à la fois le système de régulation faim-satiété et la production des neurotransmetteurs essentiels à l’équilibre de l’humeur.
Les acides gras à chaîne courte sont le produit de la symbiose entre les bactéries résidant dans notre microbiote et les cellules de l’intestin. De plus en plus de données indiquent que ces AGCC ne sont pas seulement des régulateurs locaux de l’homéostasie intestinale, mais qu’ils influencent également le métabolisme énergétique, notamment en récupèrant de l’énergie à partir des fibres non digérées par l’intestin. Ils affectent également l’appétit de la personne en modulant la production des hormones de la faim et de la satiété. En outre, depuis plusieurs années, nous savons qu’une protéine (la ClpB), produite par la bactérie Escherichia coli présente dans l’intestin, possède des séquences génétiques en commun avec une hormone de la satiété (l’α-MSH) présente en quantité élevée chez les personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire. Ce phénomène pourrait jouer un rôle causal dans l’anorexie en interférant avec les signaux cellulaires de la satiété. D’autant que la famille des entérobactéries (dont E. coli) est surreprésentée dans les échantillons de selles des patients atteints d’anorexie.
Le microbiote intestinal produit en outre une grande partie des neurotransmetteurs, molécules indispensables à l’équilibre de notre humeur et de certains de nos comportements. Or on constate que chez les patients anorexiques, la production bactérienne de sérotonine, de dopamine et de GABA est diminuée . Une méta-analyse incluant seize études sur l’anorexie et la dépression montre une diversité bactérienne et des taux d’AGCC plus faibles. Les symptômes psychiatriques semblent liés aux changements du microbiote intestinal. Des protéines dérivées du microbiote peuvent modifier le contrôle neuroendocrinien de l’humeur et de la satiété.
Enfin, le rôle des infections intestinales et des réponses immunitaires qui en découlent dans l’apparition de l’anorexie mentale est également étudié. La régulation des apports alimentaires et de l’humeur peut être plus ou moins sérieusement perturbée par des troubles intestinaux et une dysbiose du microbiote, même après l’élimination des bactéries pathogènes.
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Les limites de la rééducation nutritionnelle
La rééducation nutritionnelle, traitement standard de l’anorexie mentale, s’accompagne souvent de troubles gastro-intestinaux majeurs, et se traduit souvent par une rechute pondérale consécutive. Plusieurs études ayant suivi l’évolution de la composition du microbiote intestinal des patients au cours de la renutrition montrent que la reprise de poids ne rétablit pas la diversité bactérienne à des niveaux comparables à ceux attendus. Ce qui suggère que la dysbiose persiste au-delà de la récupération pondérale et pourrait contribuer à une rechute. En revanche, la diversité microbienne a bien été rétablie dans des proportions acceptables lorsque la renutrition était accompagnée d’une transplantation de microbiote fécal.
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Comment rétablir, chez la personne souffrant d’anorexie, un microbiote diversifié et améliorer les résultats de la rééducation nutritionnelle ? La transplantation de microbiote fécal (TMF), qui permet de quasiment réinitialiser le microbiote intestinal à partir des selles d’un donneur sain, est bien entendu à l’étude comme stratégie potentielle. Les premiers résultats semblent prometteurs, plusieurs études ayant d’ores et déjà montré des améliorations de la fonction barrière intestinale, de la composition du microbiote ainsi qu’un gain de poids. D’autres études de cohortes, plus importantes, sont en cours.
Une autre approche, plus à la portée de tous, est le recours aux probiotiques. Ce sont ces bactéries que vous avalez en gélules et qui sont censées contribuer à l’équilibre de votre microbiote intestinal. Il est question, depuis plusieurs années, de psychobiotiques, des souches bactériennes sélectionnées pour leur action plus ou moins démontrée sur l’axe intestin-cerveau . Les bactéries intestinales synthétisent des neurotransmetteurs et peuvent réguler leur expression au niveau des récepteurs cellulaires. Dans l’anorexie, elles pourraient également aider à lutter contre les pathologies digestives associées qui compliquent souvent le rétablissement.
L’impact de l’anorexie sur la communauté microbienne intestinale peut, au moins en partie, être corrigé par une supplémentation en probiotiques et en prébiotiques (substances nourrissant nos bonnes bactéries). Cette supplémentation semble pouvoir améliorer l’équilibre entre les différentes familles de bactéries et moduler l’activité métabolique qui, peu à peu, commence à ressembler à celle d’une personne ayant une alimentation saine. L’utilisation d’aliments fermentés , notamment, est suggérée dans certains travaux pour la rééducation nutritionnelle dans l’anorexie mentale. Certains de leurs composants sont en effet susceptibles d’influencer la composition du microbiote intestinal, d’atténuer les symptômes gastro-intestinaux et les phénomènes inflammatoires.
Parmi les essais cliniques en cours figure l’évaluation de l’administration de probiotiques multisouches, en plus du traitement habituel, chez soixante jeunes de 13 à 19 ans atteints d’anorexie mentale . Il s’agit de vérifier l’hypothèse des effets positifs des probiotiques sur l’amélioration du poids, sur les troubles gastro-intestinaux, sur les processus inflammatoires et sur les symptômes anxiodépressifs. Ces résultats sont très attendus. Le potentiel neuroactif du microbiote intestinal est loin d’avoir fini de nous surprendre.
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