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Alcool chez les seniors, problèmes et tabous

  • Les aînés sont plus sensibles et vulnérables aux effets de l'alcool.Les aînés sont plus sensibles et vulnérables aux effets de l'alcool.
Article paru dans le journal nº 117

Aborder le sujet de la consommation d’alcool chez les personnes âgées n’est pas courant. Si ses conséquences sociales sont moins nombreuses que dans les autres catégories de la population, la consommation régulière de boissons alcoolisées au sein de celle-ci est pourtant fréquente. La passer à la trappe serait négliger ses répercussions néfastes sur la santé.

L’alcoolisme, qui, selon le Dr Jean-Pierre Aubert1, " débute par la perte de sa liberté, dans une consommation d’alcool que l’on ne peut plus modérer et encore moins stopper ", n’a pas d’âge. Ce que la bible des psychiatres, le DSM, appelle le trouble de l’usage d’alcool (TUA) peut s’emparer des personnes âgées, avec comme éléments déclencheurs les bouleversements de la vie comme la retraite, l’isolement, le deuil, le veuvage, l’entrée en Ehpad, une maladie invalidante et/ou douloureuse, etc.

La consommation excessive d’alcool chez les sujets âgés est un sujet épineux constituant le quotidien des Ehpad, qui tentent de concilier convivialité et liberté des résidents d’un côté et de l’autre la nécessité des personnels soignants d’assurer leur sécurité et leur santé.

Si le Vidal estime qu’en France " environ 1,5 million de personnes sont alcoolodépendantes et que 2,5 millions de personnes ont une consommation à risque ", qu’en est-il des chiffres de la population âgée taquinant la bouteille ? Le Pr François Paille évoque dans le Traité d’addictologie (éd. Lavoisier) que " le risque ponctuel, lié aux alcoolisations aiguës, est plus faible chez les personnes âgées que chez les plus jeunes. En revanche, le risque chronique ou de dépendance […], très majoritairement masculin, concerne également les plus âgés : 19 % parmi les 65-74 ans et 15 % parmi les 75-85 ans ".

Une question de fréquence

Une consommation est considérée à risque, selon le Vidal, " lorsque la quantité d’alcool ingérée et la fréquence des prises est telle que, si ce comportement persiste sur une durée prolongée, des complications physiques, psychiques et sociales surviendront inévitablement ". Sur la base des avis et recommandations d’institutions, il a été déterminé qu’après 65 ans, les consommateurs quotidiens ne devraient pas dépasser un verre par jour en essayant de s’abstenir certains jours de la semaine.

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L’éthanol moins bien assimilé

L’alcool demeure la première substance psychoactive consommée chez les personnes âgées. Plusieurs raisons rendent les aînés plus sensibles et vulnérables à ses effets. Des changements physiologiques interviennent. À un âge avancé, on supporte moins l’éthanol car la quantité de liquide tend à diminuer dans l’organisme, alors que la quantité de graisse augmente. L’alcool étant plus soluble dans l’eau que dans la graisse, sa concentration dans le sang est donc ici plus importante. De plus, le foie et les reins travaillent de manière moins efficace et la résistance physique diminue. Lorsqu’une personne âgée boit de l’alcool, son organisme assimile moins l’éthanol. Par conséquent, pour une même quantité d’alcool, les personnes âgées présentent des taux d’alcool dans le sang plus élevés, une tolérance moindre et une ivresse plus rapide (avec potentiellement plus de dommages physiques). Les polypathologies (présence simultanée de plusieurs maladies chroniques), dont les pathologies neuropsychologiques ou cognitives, augmentent les effets de l’alcool, et les polymédications, dont les médicaments psychoactifs directs (psychotropes) ou indirects (antalgiques…), accroissent les effets de l’alcool. Leur association avec l’alcool est donc fortement déconseillée.

Il est à noter que l’on consomme rarement une seule substance psychoactive, même chez les plus âgés ; alcool et tabac restent fréquemment consommés ensemble et leurs dépendances se renforcent mutuellement.

Médicaments et alcool, un cocktail délétère

Les interactions alcool/médicaments sont dangereuses. C’est d’autant plus vrai chez les sujets âgés, dont les prescriptions médicamenteuses sont nombreuses. La prise d’alcool peut potentialiser les effets secondaires et altérer l’action des molécules. Pour les psychotropes, l’alcool accentue la somnolence, les vertiges,la pression artérielle (surtout pour les Imao) et les problèmes digestifs. Ce cocktail, on le sait, peut être fatal. Avec les antidouleurs, l’alcool potentialise le risque de développer une hépatite médicamenteuse. En outre, l’alcool associé aux myorelaxants, aux antalgiquescomme la codéine, le Tramadol et la morphine, peut occasionner chutes ou difficultés respiratoires importantes. Avec les anti-inflammatoires, le risque d’ulcère et d’hémorragie digestive est augmenté.Quel que soit le médicament, il est vivement conseillé aux sujets âgés de parler honnêtement de leur consommation d’alcool à leur médecin prescripteur, pour qu’il puisse évaluer les risques d’interaction.

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Une aggravation des troubles

L’usage ou le mésusage de l’alcool peuvent rapidement devenir symptomatiques, source d’interférences ou d’aggravation en cas de maladies cardiaques, cérébro-vasculaires, digestives, cancéreuses, maladie d’Alzheimer ou maladies apparentées, troubles dépressifs et troubles du sommeil2. La grande fréquence des douleurs chroniques chez les personnes âgées est associée de manière complexe à des usages et mésusages de l’alcool. Certaines ont tendance à augmenter leur consommation d’alcool dans l’espoir de mieux gérer leurs douleurs physiques mais également leurs souffrances psychiques. L’apaisement escompté se transforme vite en une source supplémentaire de souffrance. Si 50 % des plus de 75 ans choisissent de ne plus consommer d’alcool, les aînés qui consomment plus et de manière quotidienne augmentent aussi après 60 ans, jusqu’à 75 ou 85 ans. Selon un article de Santé publique France publié en 2020, 26 % des 65-75 ans déclarent une consommation quotidienne d’alcool.

Les troubles de l’usage d’alcool (TUA) se définissent par l’existence de symptômes conséquents des alcoolisations sur des plans physiques, psychiques ou sociaux. Les TUA des sujets âgés se manifestent rarement par des symptômes spécifiques, ils sont révélés majoritairement par des complications d’épisodes d’alcoolisation ou de sevrage (malaises, chutes, confusion…). Des questionnaires dédiés (Mast-G ou Cage-Deta)3 facilitent la reconnaissance et le repérage des signes souvent négligés.

La fréquence des TUA se situe autour de 10 % en France et ne décline quasiment pas avec l’âge. Le mésusage d’alcool représente la première cause d’atteinte cognitive avant 60 ans. Après cet âge, la part des démences dégénératives et vasculaires augmente, mais l’alcool demeurerait la troisième cause de syndrome démentiel en France4. Une conduite d’alcoolisation chronique peut entraîner des complications cardio-vasculaires, digestives, neurologiques, nutritionnelles, ORL, orthopédiques et psychologiques.

De la difficulté du diagnostic

Dans l’article déjà cité paru en 2003 dans la revue Gérontologie et société, le Dr Christian Vigne évoquait le déni auquel peuvent être sujets la personne âgée consommatrice, l’entourage et parfois même le médecin traitant.

Le médecin se heurte à des attitudes négatives vis-à-vis des sujets en difficulté avec l’alcool, au scepticisme face à l’efficacité d’un traitement et aux critères d’évaluation des dépendances qui ne sont pas toujours adaptés au sujet âgé. Les représentations sociales sur la consommation d’alcool peuvent être un frein supplémentaire au repérage systématique des risques. La banalisation d’une consommation croissante d’alcool, la croyance qu’à un certain âge, il est trop tard pour agir, ou encore que l’alcool a des effets bénéfiques sur l’état cognitif et/ou la santé cardio-vasculaire ne sont que quelques exemples.

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Les signes d’une consommation excessive

Certains signes peuvent attirer l’attention du médecin et de l’entourage. Le Dr Vigne en énumère certains : " Aptitudes fonctionnelles qui déclinent, négligence corporelle, baisse des activités sociales, isolement social et familial, chutes, accident de voiture, dépression avec déficit cognitif, infections récidivantes, résistance aux antibiotiques, malnutrition, confusion, anxiété, insomnies, crises d’épilepsie tardives, présentation atypique d’une maladie aiguë. "* Il précise qu’une consommation solitaire d’alcool s’observe chez 70 % des sujets âgés alcoolodépendants, et que 90 % de ces sujets ont une consommation matinale d’alcool.

*Gérontologie et Société, n° 105, 2003.

Les voies thérapeutiques

Les soins des adultes d’âge moyen peuvent tout à fait s’appliquer aux aînés avec le respect des spécificités pharmacologiques liées au vieillissement et en s’adaptant aux situations de vie et particularités de chacun. Les chances de succès d’une intervention thérapeutique chez les personnes âgées sont relativement élevées, surtout chez ceux ayant une dépendance tardive. Il semblerait même qu’ils répondent mieux aux traitements que les jeunes personnes dépendantes5. La Dre Francine Rio précise que les meilleurs résultats sont obtenus avec une prise en charge multifactorielle (considérant famille, histoire de vie, environnement social, cadre de vie, activités, thérapies, médicaments, etc.).

En thérapies alternatives, le début de la prise en charge se fait en général par un entretien motivationnel chez un psychiatre afin de favoriser le développement de la motivation chez le patient. Peuvent ensuite être mis en place une thérapie cognitive et comportementale (TCC) ou une thérapie interpersonnelle (TIP) qui permettent de chercher et d’identifier les déterminants entraînant la consommation d’alcool, et l’EMDR en cas de traumatismes avérés.

Des activités physiques, intellectuelles et créatives soutiennent ce processus et peuvent contribuer à un traitement réussi, ainsi que des psychothérapies à médiation corporelle telle que la relaxation, les activités de groupe et les programmes thérapeutiques valorisant les relations sociales et les aspects positifs de la vie du sujet. L’action sur l’environnement familial et relationnel permet d’éviter la rupture des liens affectifs et sociaux essentiels pour l’amélioration du patient.

 

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Alternative Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé