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Sommeil et microbiote, une influence réciproque qui commence très tôt
Dormir, nous y consacrons environ un tiers de notre vie. Le sommeil joue un rôle incontestable dans la santé physique et mentale. Il influence la vie hormonale, l’humeur et même le poids. On peut en dire autant du microbiote intestinal. Sans surprise, les deux interagissent fortement, via l’axe intestin-cerveau. Nos bactéries intestinales font de nous un plus ou moins bon dormeur. Réciproquement, la durée et la qualité du sommeil influencent le développement du microbiote. Et ça commence dès le début de la vie. Explications et conseils pratiques pour les parents dont le bébé dort mal.
Les troubles du sommeil vont de pair avec des altérations de la composition du microbiote intestinal, chez l’enfant comme chez l’adulte. Le processus du sommeil fait intervenir un certain nombre de molécules produites par le microbiote intestinal. Ce dernier contribue à la production d’une grande partie des neurotransmetteurs, dont la sérotonine qui régule l’humeur mais qui sert aussi à produire la mélatonine, principale hormone du sommeil.
Une étude récente des universités suisses de Fribourg et de Zurich, parue dans la revue Progress in Neurobiology (1), a établi des relations réciproques entre le sommeil, le cerveau et le microbiote intestinal au cours de la première année de vie. Conduite sur 162 nourrissons en bonne santé, elle révèle que les habitudes de sommeil des nourrissons et leur physiologie cérébrale sont clairement associées à la composition de leur microbiote. Ces relations, jusqu’ici inconnues, impactent directement le développement du nourrisson, notamment la maturation du cerveau. Les associations les plus significatives ont été trouvées à l’âge de 3 mois, ce qui indique peut-être une période-clé dans le développement d’un enfant aussi bien pour la mise en place du rythme de sommeil que de l’équilibre du microbiote.
Les bébés avec un microbiote plus pauvre (moindre diversité des familles bactériennes) ont un sommeil de moins bonne qualité la nuit, plus agité et fragmenté, ce qui les conduit à dormir davantage en journée. La diversité du microbiote est par ailleurs associée à une plus grande activité cérébrale durant le sommeil. À l’âge de 6 mois, le niveau de cette activité permet de prédire la diversité du microbiote à 1 an. On observe en somme une étroite coévolution du microbiote et du cerveau.
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De courtes durées de sommeil provoquent un stress physiologique et psychologique préjudiciable à l’écosystème intestinal. Des découvertes récentes (2) ont montré une plus grande tendance à la dysbiose (déséquilibre du microbiote) chez des souris dont le rythme circadien est perturbé. Une disruption du sommeil durant cinq jours a par exemple un effet sur le microbiote qui persiste au moins quatre jours après la fin de cette phase de fragmentation du sommeil, avec une réduction à la fois des bactéries bénéfiques et des molécules qu’elles produisent qui sont impliquées dans le métabolisme (la façon dont l’organisme utilise la nourriture pour produire de l’énergie).
Chez l’être humain, les altérations du sommeil – qu'il s'agisse d'insomnie, de privation de sommeil, de décalage horaire ou de travail décalé de type « trois-huit » – peuvent aussi affecter le microbiote. En désorganisant le rythme circadien, on obtient un microbiote intestinal appauvri par rapport aux personnes qui dorment bien. Cette perte de diversité fait le lit de l'inflammation systémique et de troubles métaboliques, augmentant le risque d'obésité et de diabète. Les premières analyses de l’impact d’un sommeil raccourci sur le microbiote humain (3), par séquençage génétique, révèlent qu’après deux jours de privation partielle de sommeil, les individus présentent un rapport Firmicutes/Bacteroidetes déséquilibré, une abondance plus élevée des familles Coriobacteriaceae et Erysipelotrichaceae et une plus faible abondance de Tenericutes. Un profil bactérien associé jusqu’ici à des perturbations du métabolisme dans les modèles animaux et chez l’homme.
En fait, le microbiote intestinal, fortement influencé par ce que l’on mange et à quelle heure on le mange, vit selon un rythme synchronisé avec le cycle alimentation-jeûne, lui-même dépendant du cycle veille-sommeil. Un décalage horaire persistant peut venir rompre cette harmonie, jusqu’à influencer la composition du microbiote. Réciproquement, des métabolites (molécules produites par les bactéries intestinales) influencent l’expression des gènes de notre horloge biologique (4) et la durée du sommeil.
Dès les premiers mois de vie, un sommeil perturbé peut impacter le métabolisme via le microbiote et favoriser un risque ultérieur d’obésité. Des chercheurs ont étudié les associations entre le rythme veille-sommeil du nourrisson, le développement du microbiote et le gain de poids mesuré à 6 et 12 mois. Il ressort qu’une mise en place plus rapide des stades du sommeil chez les nouveau-nés est prédictive de courbes de croissance et de poids normales (5).
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Dès le début de la vie donc, la façon dont nous dormons influence la mise en place du microbiote intestinal et ses capacités (6). Ce qui pose la question, délicate pour certains parents, de comment aider son bébé à bien dormir. Parmi les obstacles majeurs au sommeil des tout-petits, des psychologues du développement s’accordent à pointer le sentiment persistant d’insécurité, tant physique qu’affective. Le bébé vit dans un monde qu’il ne comprend pas et susceptible de lui faire peur. Dans les premiers mois de la vie, les aires du cerveau dédiées à la survie sont très actives, et l’enfant se trouve très facilement en état d’hypervigilance. L’inadéquation entre les besoins du bébé et la réponse des parents accentue son état de stress, ce qui promet souvent des nuits presque blanches pour toute la maison !
Physiologiquement, comme pour tout stress, cela se traduit par une hausse des marqueurs biologiques de l’inflammation, notamment du cortisol, hormone du stress par excellence. Or, la surproduction de cortisol est associée à l’abondance de certaines familles bactériennes dans l’intestin. Si rien n’est fait rapidement, le microbiote sera modelé au profit de bactéries pro-inflammatoires et prostress, instaurant un cercle vicieux. Les variations du microbiote en début de vie semblent également influencer la croissance du nourrisson et son développement cérébral (7). Comme l’a découvert récemment une équipe de l’Inserm de Nantes (8), le cortisol agit directement sur la neuroplasticité (la capacité du cerveau à se modifier), et ça commence au niveau du système nerveux intestinal. Un stress psychologique répété perturbe en effet le microbiote intestinal, qui à son tour contrarie les connexions neuronales d’apprentissage et d’adaptation (9), via le désormais connu axe intestin-cerveau.
Pas de panique, l’équilibre peut être retrouvé en agissant aussi bien sur le microbiote, avec l’alimentation ou des probiotiques, que sur le maternage, par des stratégies éducatives. D’où l’incitation des psychopédagogues à la mise en place de routines émotionnellement sécurisantes (10) pour le nourrisson, en particulier dans l’heure précédant le coucher. Rassurer et sécuriser son bébé participe à la maturation de son cerveau, lui permet d’établir des connexions neuronales qui l’aideront à sortir plus rapidement de l’état d’hypervigilance. Ces gestes de sécurisation participent également à la qualité du microbiote, avec des bactéries identifiées comme capables d’abaisser les niveaux de cortisol mais aussi de favoriser la libération d’ocytocine, une hormone de l’attachement et de l’apaisement.
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Que savons-nous des bactéries qui peuvent aider enfants comme adultes à mieux dormir ? Un sommeil plus long et plus efficace est associé à des bactéries spécifiques du microbiote, susceptibles de réguler le sommeil, notamment par leur action sur les neurotransmetteurs. Un meilleur sommeil nocturne est associé à la diversité des espèces de Bacteroidetes, de Firmicutes et d’Actinobacteria (11). Plus précisément, ces bactéries, mais aussi leurs métabolites, dont certains interagissent avec le système nerveux, régulent le rythme circadien via la synthèse de la mélatonine et du glutamate (12), un acide aminé utilisé notamment dans les mécanismes du sommeil.
Parmi les stratégies prometteuses pour améliorer la qualité du sommeil, tant chez l’enfant que chez l’adulte, figurent certains probiotiques et prébiotiques. Ça commence par de bonnes habitudes avant la naissance : la consommation d’aliments fermentés pendant la grossesse est associée à un risque réduit de sommeil insuffisant du nourrisson (13). Des travaux indiquent des moments de veilles plus longs et réguliers dans la journée chez des nourrissons complémentés en prébiotiques (14), avec des épisodes de pleurs plus courts.
Chez des souris, une formulation probiotique multisouches hautement dosée a permis de réduire le stress oxydatif et l’inflammation induite par la perte de sommeil, limitant ainsi les dommages infligés au cerveau par la perte de sommeil (15). Chez l’humain adulte, plusieurs études ont montré des résultats positifs des probiotiques pour améliorer la qualité du sommeil, en se basant sur l’index de qualité du sommeil de Pittsburgh (PSQI), avec différentes souches de lactobacilles et de bifidobactéries, lesquelles participent à rétablir une composition équilibrée du microbiote intestinal (16). Certaines souches, comme Bifidobacterium breve CCFM1025 et Lactobacillus reuteri NK33, considérées comme psychobiotiques (agissant sur l’activité cérébrale), atténuent l’insomnie causée par le stress.
Les études manquent encore sur les probiotiques efficaces sur le sommeil des nourrissons. En l’état actuel des connaissances, tout probiotique de qualité, contenant des souches reconnues pour aider à la synthèse des neurotransmetteurs et des hormones, peut être donné au nourrisson en quantité adaptée. En particulier ceux dont les souches influencent les taux de sérotonine et de mélatonine, nécessaires à nos cycles veille-sommeil.
Pour conclure, sommeil et microbiote peuvent entretenir un cercle vertueux ou vicieux selon l’attention qu’on y porte. Caroline Ferriol, psychopédagogue, dresse ce constat que l’on partage : « De plus en plus de mères sont accompagnées par des associations d’aide à l’allaitement ou à la parentalité, mais c’est le néant en ce qui concerne le sommeil. » Pourtant de nombreux troubles chez le nourrisson s’améliorent, voire disparaissent, avec une normalisation du sommeil.
Coliques du nourrisson et probiotiques
Difficile de bien digérer lorsque vous avalez hâtivement un repas sous le coup d’une importante contrariété, n’est-ce pas ? Il en est de même pour les nourrissons, à ceci près que leur système digestif commence seulement à se mettre en place. Pour certains auteurs, le non-respect du rythme biologique du bébé est le déclencheur des coliques, ce grand empêcheur de dormir en rond. Le nourrir trop tard après les premiers signes de faim stresse le bébé, le pousse à se ruer sur le sein ou le biberon et à téter d’une manière anarchique. Une souche de Lactobacillus reuteri s’est révélée capable de réduire significativement les pleurs et le temps d’agitation (17) en cas de coliques régulières. Des effets toutefois nettement plus observables chez les nourrissons allaités que chez ceux nourris au lait maternisé. Une souche brevetée de bifidobactérie, BB-12, est même parvenue à réduire la durée des pleurs de plus de 50 % (18). Sans surprise, les bébés nourris au sein sont nettement moins sujets aux coliques que ceux nourris au lait maternisé, probablement plus difficile à digérer pour leur intestin immature.
Références bibliographiques
- « From Alpha Diversity to Zzz: Interactions among sleep, the brain, and gut microbiota in the first year of life », Progress in Neurobiology, 2022,
-
« Sleep, circadian rhythm, and gut microbiota », Sleep Medicine Reviews, 2020,
-
« The interplay between sleep and gut microbiota », Brain Research Bulletin, 2021,
-
« Microbiota and stress: a loop that impacts memory », Psychoneuroendocrinology, 2022,
-
« Relationship between sleep disorders and gut dysbiosis », Sleep Medicine, 2021,
-
« Sleep and the gut microbiota in preschool-aged children », Sleep, 2022,
-
« Exploring the potential role of probiotics in alleviating insomnia », Gut, 2022,
-
« Lactobacillus reuteri to Treat Infant Colic », Pediatrics, 2018,
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Les bébés avec un microbiote plus pauvre (moindre diversité des familles bactériennes) ont un sommeil de moins bonne qualité.
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