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Chronobiologie : l’horlogerie du corps
Notre organisme est une minutieuse machinerie qui n’apprécie guère qu’on la contrarie. Aller à l’encontre de sa nature joue des tours ! Ni robots ni superhéros, nous sommes, au même titre que les plantes et les animaux, des êtres vivants soumis aux variations cycliques. Respecter les rythmes de notre organisme est essentiel pour la santé.
Travailler de nuit, puis le matin, se coucher à point d’heure, voire faire des nuits blanches… contrarie considérablement nos rythmes naturels, qui, eux, ne rêvent que de régularité. Notre organisme est en effet soumis à de nombreux rythmes. Les principaux sont : les rythmes circadiens qui couvrent vingt-quatre heures et qui commandent notre rythme veille-sommeil ; les rythmes ultradiens qui concernent toutes les fonctions et les organes dont la cadence est de moins de vingt-quatre heures, par exemple, le sommeil paradoxal de quatre-vingt-dix minutes ; les rythmes infradiens qui regroupent les rythmes qui dépassent vingt-quatre heures comme que le cycle féminin d’environ vingt-huit jours.
Le boom des recherches dans le domaine de la chronobiologie qui étudie les rythmes biologiques de l’organisme est proportionnel à l’importance que revêtent les mécanismes de régulation des horloges internes sur la santé. Des avancées majeures ont valu un prix Nobel à trois généticiens américains, en 2017, Jeffrey C. Hall, Michael Rosbash et Michael W. Young.
La majorité des fonctions de l’organisme étant soumise au rythme circadien (du latin circa, proche de, et dies le jour), il est scruté à la loupe pour étudier les conséquences de son dérèglement sur l’organisme. Des troubles du rythme circadien sont associés à une augmentation du risque de somnolence, des troubles du sommeil, métaboliques et cardio-vasculaires, des dérèglements hormonaux, des cancers, une altération des fonctions cognitives, de la dépression, de l’anxiété, des troubles de l’humeur chez les personnes âgées et du sommeil associés dans la maladie de Parkinson.
Synchroniseurs internes
Le rythme circadien est généré par l’organisme. L’horloge en chef se niche dans le cerveau des humains, plus précisément dans l’hypothalamus. En son sein, deux noyaux dits suprachiasmatiques (situés au-dessus du chiasma optique, l’endroit où les deux nerfs optiques se croisent) ont une activité électrique réglée sur vingt-quatre heures, ils régulent des fonctions de l’organisme et déclenchent également la production cyclique d’hormones agissant à distance sur d’autres fonctions. Par exemple, la glande pinéale sécrète la mélatonine, cette hormone qui incite notre organisme à aller se coucher et l’aide à dormir. L’horloge interne a besoin de guides pour remettre ses pendules à l’heure et ne pas se décaler, on les appelle des « synchroniseurs ». La température extérieure et l’activité physique en font partie, mais le rôle prépondérant revient à la lumière ou plus exactement à l’alternance jour-nuit. L’effet de la lumière dépend à la fois de la période de la journée à laquelle on est exposé, de sa durée, de son intensité et de sa couleur. Ainsi, les études réalisées ces vingt dernières années montrent que l’exposition à de simples bougies peut bloquer la sécrétion de mélatonine et que l’effet de la lumière est d’autant plus important que son spectre est riche en longueurs d’onde bleues. Une chose est sûre, travailler la nuit est une aberration pour notre organisme de bipèdes diurnes !
L’horloge interne a donc besoin de synchroniseurs, mais aussi du coup de pouce d’horloges périphériques qui travaillent localement et sans lesquelles ce serait une cacophonie ! Ces horloges sont installées dans les organes et les tissus essentiels à la vie : reins, foie, poumon, cœur, rétine, cervelet, lobe frontal… Chacune est conçue pour rectifier le tir si l’équilibre est menacé (activité physique excessive, alimentation trop riche, travail de nuit) et, à l’inverse, elles sont contrôlées par l’horloge centrale. À la moindre lésion des noyaux suprachiasmatiques, les horloges périphériques se désynchronisent et c’est le couac. On observe, par exemple, cette désynchronisation au cours du vieillissement et dans certaines pathologies. L’alimentation est encore une fois fondamentale, car elle peut, à elle seule, perturber la synchronisation des horloges périphériques de plusieurs organes. De même si l’expression cyclique des gènes horloges présents dans des neurones d’horloges périphériques est altérée, rien ne va plus !Êtes-vous du soir ou du matin ? Certains d’entre nous sont en pleine forme le matin et bon à rien le soir, tandis que d’autres ont le matin toutes les peines du monde à s’extirper de leur lit, mais le soir ils sont prêts à refaire le monde. Une partie de nos comportements étant génétiquement programmés, il faut accepter que chacun est différent et surtout de suivre le rythme qui nous convient. Certains troubles circadiens du sommeil ont une base génétique et les personnes touchées ont beau essayer de cadrer leur sommeil dans des horaires acceptables ils ne récoltent que des désagréments : quantité et qualité du sommeil altérées, fatigue chronique, apathie ou irritabilité, troubles cardio-vasculaires… Certaines maladies, telles que la dépression, le cancer, les troubles de l’anxiété, une mauvaise hygiène de sommeil ou de lumière, une sensibilité particulière à la lumière pourraient aussi favoriser une désynchronisation de l’horloge interne.
Opérer l’après-midi
Le chercheur Yool Lee de l’université de Pennsylvanie s’est penché sur les liens entre perturbation du rythme circadien et croissance tumorale. Ses travaux, publiés en 2019, indiquent que respecter l’horloge biologique est une manière de réduire les risques de prolifération cellulaire. S’accorder aux cycles de l’organisme pourrait être une méthode efficace pour augmenter le potentiel thérapeutique de certains traitements. Administrer un médicament au moment où l’organe visé y est le plus sensible, renforcerait son efficacité et diminuerait ses effets indésirables. À titre d’exemple, des chercheurs de l’université de Lille ont conclu que les cellules cardiaques étaient plus résistantes l’après-midi que le matin à la privation d’oxygène provoquée parfois par les chirurgiens afin de mener à bien une opération du cœur. L’intervention chirurgicale l’après-midi peut diminuer le risque de complications post-chirurgicales. L’étude et la prise en considération de l’horloge biologique ont de beaux jours devant elles.
L’étude des conséquences des troubles circadiens a principalement été menée chez les personnes qui travaillent en rotation trois fois huit heures sur vingt-quatre heures. Les résultats sont alarmants. Ce genre de rythme biscornu induit une désynchronisation de l’horloge biologique en raison des changements d’exposition à la lumière et d’une dette de sommeil. Les liens entre ce rythme et les risques pour la santé sont clairement mis en évidence. Une étude de l’Inserm montre que les femmes non ménopausées qui travaillent au moins trois heures entre minuit et 5 heures du matin ont un risque de cancer du sein augmenté de 26 % et ce risque croît avec la fréquence des nuits travaillées et la durée de l’emploi. Le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), appuyé par l’OMS, a inscrit le travail posté à la liste des agents « probablement cancérogènes » en 2007. Une expertise de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), confirme, en 2016, l’augmentation du risque du cancer du sein chez les femmes exposées et conclut que le travail de nuit est un facteur de risque probable de cancer en général.
En cas de troubles du rythme circadien
Les désordres des rythmes infradiens qui sont supérieurs à vingt-quatre heures ont aussi leur part de responsabilité dans bien des maux. Citons, par exemple, les femmes sujettes au syndrome prémenstruel ou encore à la dépression saisonnière. Une exposition matinale à une lumière de 10 000 lux minimum sans ultraviolets entre octobre et mars allège considérablement les symptômes de cette dépression. Les dernières générations de lunettes de luminothérapie telle que la Luminette de nos amis belges sont des solutions à ne pas négliger.
Le danger des LED
Il faut ajouter à la liste de super désynchroniseur, la lumière bleue émise par les LED qui active 70 fois plus les récepteurs photosensibles non visuels de la rétine qu’une basique lumière blanche de même intensité. Cette lumière est émise par les écrans LED des ordinateurs, téléviseurs et téléphones mobiles. Une exposition excessive à ces écrans le soir augmente la vigilance, retardant de ce fait l’endormissement. Trop d’écrans le soir participent au mauvais sommeil, au risque accru de troubles de l’humeur et d’échec scolaire chez les enfants et les adolescents, voire à une augmentation du risque de troubles métaboliques, tels que le surpoids, l’obésité et le diabète. Les éclairages urbains de plus en plus équipés de LED pourraient aussi poser problème en cas d’exposition prolongée, ou pas… Si les récents travaux qui mettent en évidence que quelques lux ou des courtes durées d’exposition comme des flashs lumineux suffisent à affecter l’horloge biologique sont confirmés, il va falloir sérieusement réfléchir à l’impact de toutes sortes de pollutions lumineuses sur la qualité du sommeil et de la santé…Plusieurs solutions permettent de se préserver des perturbateurs. Respecter son sommeil en se couchant lorsque la température du corps commence à baisser entre 22 heures et minuit. Éviter sport, excitants (thé, café, cigarette), chambre surchauffée (18-19 °C maximum) après 20 heures qui font monter la température corporelle et l’exposition exagérée aux lumières bleues des écrans (pourquoi pas installer des filtres à lumière bleue). Au boulot, les horaires de choix pour régler les dossiers qui demandent de la concentration se situent vers 10 ou 11 heures, puis 15 heures ou 16 h 30. Ces créneaux correspondent au taux de sucre dans le sang et à la température du corps optimaux pour le travail des cellules cérébrales. Au-delà de quatre-vingt-dix minutes de travail cérébral, il est difficile de se concentrer sur sa tâche, la vigilance baisse, la pause s’impose. Ce constat interroge évidemment sur les rythmes scolaires délirants qui ne sont guère adaptés à l’apprentissage…
Parlons un peu vacances, il semblerait que notre organisme apprécie des temps de repos dispatchés tout au long de l’année, l’idéal serait une pause tous les deux mois, pas toujours facile à mettre en œuvre. Notre organisme nous dicte aussi sa loi en matière de pratique sportive. La hausse de pression artérielle et le pic de cortisol au lever sont de bonnes raisons pour ne pas exciter son cœur au saut du lit. L’organisme est au summum de ses possibilités entre 15 heures et 19 heures.
Côté alimentation, les horloges ont aussi leur mot à dire ! Alain Delabos, précurseur en chrononutrition, avance, dès 1986, la nécessité de manger en accord avec les rythmes biologiques naturels. L’organisme secrète tout au long de la journée de manière organisée et calculée enzymes et hormones qui permettent d’assimiler les aliments ingérés.
Manger au bon moment
La chrononutrition préconise de manger de tout, mais au bon moment, et en quantités définies. Prenons l’exemple du petit déjeuner : deux œufs, 60 g de fromage, 70 g d’un bon pain de campagne, beurre demi-sel persil haché, sel et poivre du moulin. En apportant les bons gras le matin tels que fromage, œufs, beurre et sucres lents, l’organisme ne stocke pas la graisse et dispose d’énergie pour la journée. D’autres recettes sont à découvrir sur le site www.la-chrononutrition.com
En savoir plus
- Prévenir et traiter le cholestérol grâce à la chrononutrition et Prévenir et traiter le diabète grâce à la chrononutrition, docteur Alain Delabos, éd. Albin Michel.
- Luminothérapie : www.myluminette.com
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