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"On ne peut pas tout demander à l’hôpital public", Minou Azoulai

  • Minou Azoulai. Minou Azoulai.
Article paru dans le journal nº 78

Immergée durant plusieurs mois dans un établissement hospitalier parisien, Minou Azoulai, auteure de Ne tirez plus sur l’hôpital, nous livre un journal de bord, ni alarmiste, ni enjôleur. Elle raconte le quotidien, du blues des soignants aux exigences parfois excessives des patients. L’auteure défend la responsabilisation de chacun pour ne plus faire souffrir un service public à bout de souffle.

Alternative Santé. Au cours de votre immersion à l’hôpital Saint-Joseph que vous racontez dans votre livre Ne tirez plus sur l’hôpital, vous avez rencontré des médecins et des infirmiers en grève. A l’origine des hospices, ceux qui soignaient n’étaient-ils pas animés par l’astreinte et le dévouement ? C’est paradoxal, un soignant qui exprime son mécontentement, non ?

Minou Azoulai. Le soignant est une personne qui reste fidèle à sa vocation, même dans un système qui l’oppresse. A l’hôpital, les médecins, les infirmiers et les aides-­soignantes collent l’étiquette « en grève », mais ils continuent de travailler. Donc ce n’est pas un paradoxe car ils ne s’arrêtent pas, ils ne peuvent pas s’arrêter. Ils font simplement savoir qu’ils sont à bout. Ce n’est pas un rejet de leur métier, c’est le rejet d’un système qui ne les rend pas heureux d’exercer ce métier, mais qu’ils poursuivent parce que c’est nécessaire.

Une amie, infirmière libérale, me parlait l’autre jour de son épuisement au travail. J’avais beau la comprendre, je ne parvenais pas à imaginer comment ce métier pouvait à ce point être une épreuve.

Quand on est malade, on est en état de demande, d’abattement. Si en face, celui qui doit nous aider suit le même trajet, cela fait très peur. Les médecins, les infirmiers et les aides-soignantes sont formés à résister à la faiblesse ou à la panique de l’autre, mais pas nous. Donc la peur face à l’épuisement des soignants est normale, bien sûr. Cela dit, les infirmières libérales ne sont pas épuisées par les tâches, mais par les multiples demandes et les trajets en voiture qu’elles font toute la journée.

Cela interroge aussi notre rapport à la maladie. Malgré les progrès de nos sociétés modernes, tomber malade reste l’angoisse et tout le monde est concerné, les riches comme les pauvres.

Oui, parce que de nos jours on a peur de tout, tout le temps. La santé est un droit mais, de plus en plus, à cause de nos exigences et de nos paniques de patients, la santé devient un dû, cela fait du mal aux soignants. On leur demande l’impossible ! L’isolement des gens crée une demande immense auquel l’hôpital ne peut pas répondre.

Les médecins vous ont confié que le plus difficile, c’est la frustration des patients qui se sentent délaissés. En effet, quel patient ou proche de patient n’a pas attendu des heures avant de pouvoir ­croiser le médecin. Est-ce un ­dialogue de sourds ?

Non, c’est juste que les patients n’ont aucune idée de ce qui se passe en dehors de leur chambre. Si les médecins ne sont pas à leur chevet, ils sont en réunion pour parler d’eux et de leur guérison ou bien ils sont sur une autre intervention. Le patient, dans son état de faiblesse, est naturellement très égocentrique. Il attend la visite de ses proches, les réponses du médecin ou qu’on lui dise qu’il peut sortir et c’est normal. Le patient doit patienter, c’est comme ça. La maladie rend très auto­centré, mais on continue à s’occuper de lui, à faire des recherches sur sa maladie, à travailler main dans la main avec les infirmières de jour et de nuit. Quand on est malade à l’hôpital, il faut arrêter de croire que personne ne s’occupe de nous !

N’y a-t-il pas une figure intermédiaire à inviter dans l’hôpital pour apporter une présence aux malades ?

Il existe des associations de bénévoles qui compensent beaucoup, vous savez. Elles sont partout, elles apaisent, elles calment. J’ai vu un bénévole désamorcer une tension dans une salle d’attente où tout le monde était sur les nerfs. Mais on ne peut pas multiplier les intermédiaires. Il faut aussi que le patient communique. Qu’il sorte de sa chambre quand c’est possible, qu’il demande à parler à quelqu’un s’il en a besoin. Cependant, on ne peut pas exiger d’être assisté en permanence. Ça fait peur, mais il faut se responsabiliser par rapport à ce que l’on traverse. C’est vrai que la maladie a quelque chose de l’ordre de la régression infantile, mais même un enfant sait demander.

C’est quoi le projet de « médecine narrative » ?

C’est un module intégré au cursus universitaire de certains CHU. C’est raconter l’histoire du patient, prendre le temps de poser les bonnes questions, ce que la ­plupart des médecins et des chirurgiens ne peuvent pas faire. L’histoire médicale ne se limite pas à tel examen complémentaire suivi de tel autre. Le patient n’est pas que sa maladie. La médecine narrative forme les étudiants en médecine à remonter l’histoire familiale, à interroger le pourquoi cette maladie-là, à ce moment-là. Cette écoute, c’est ce qui manque le plus dans les consultations hospitalières.

Vous racontez comment des amitiés se sont nouées entre des infirmières et des patientes. À ­l’opposé, il y a cette chirurgienne qui opère à l’aide d’un robot à 2 millions d’euros. Elle raconte qu’elle n’est pas attachée au nursing avec les patients et que la technicité de son métier lui allège l’esprit. Est-elle cynique, sincère ou en quête d’efficacité ?

Franchement, je pense qu’on se défend comme on peut quand on fait ce métier. Peut-être qu’elle a été extrêmement sensible autrefois, qu’elle a déjà eu mal et qu’elle a choisi de se dédier à la machine. Le chirurgien se cache derrière sa technique comme le radiologue derrière son imagerie. Cela vaut aussi pour le cameraman ou le photographe avec leur appareil. Ce sont des paravents sans lesquels nous ne serions pas informés. Je crois que ce n’est pas cynique, c’est une mise à distance et c’est tant mieux. Sans compter qu’elle permet de rester efficace effectivement.

Vous dites : « Nous ne savons plus vivre avec nos tracas intimes. Il nous faut toujours plus de béquilles. Les médecins deviennent des gourous, les consultations ­hospitalières des lieux où s’engouffrent toutes nos craintes sans discernement […] comme un flot ininterrompu de litanies. » Vous ne pensez pas que ces litanies sont justement symptomatiques d’une pathologie de l’époque ?

Oui. La pathologie c’est que la santé est un dû, que l’hôpital est ouvert à tous et que c’est gratuit. Une petite angoisse ? Aller, on va à l’hôpital ! Comme cette femme dont la voyante lui a parlé d’un cancer de l’estomac… Elle a besoin d’être rassurée et vient demander aux urgences un bilan de santé, financé par la collectivité. Mon ressenti, au risque de choquer, c’est que ces patients font du mal à l’hôpital public. Et pendant ce temps, des personnes malades auraient vraiment besoin d’une visite longue et complète, difficile à cause de la surpopulation hospitalière. Je n’ai pas envie d’incriminer l’hôpital, car c’est à chacun de se responsabiliser. On est trop assistés dans cette société. On veut un soin pour tout, une pilule pour tout. Or, on ne peut pas tout demander à l’hôpital.

Les gens sont de plus en plus nombreux à rejoindre les grandes agglomérations délaissant des régions transformées à présent en déserts médicaux. Mais en ville comme à la campagne, les services hospitaliers manquent de personnel…

Oui, mais vous savez que plus de 30 % des consultations en France relèvent de troubles d’ordre psychique ? Ce sont des problématiques de solitude qui n’ont rien à voir avec un électrocardiogramme ou une prise de sang. Mais nous sommes dans l’ère de la consommation et le soin n’y échappe pas. La carte Vitale n’a pas aidé en nous coupant du prix réel de la santé. De là vient une impression de gratuité. Tous les médecins auxquels j’ai parlé m’ont dit : si chaque patient savait ce qu’il coûte, il serait moins gourmand. Il serait bon parfois d’afficher dans les salles d’attente le coût des actes que les gens s’apprêtent à demander à la Sécurité sociale via leur médecin.

Il ne nous aide pas ce service public ?

Au contraire, il est formidable ce service public. Mais pour ne pas le laisser aller à vau-l’eau, il est bon de rappeler la réalité.

Une solution d’avenir pour amener le soin là où l’on manque de bras viendra sans doute de la télémédecine. Pourquoi la ­téléconsultation reste-t-elle encore si décriée ?

Parce que les médecins aiment encore voir et toucher la peau du malade. Il y a des palpations, des odeurs qui révèlent un dysfonctionnement. La téléconsultation, c’est formidable pour renouveler un traitement, vérifier qu’il est bien accepté, recueillir les premiers symptômes, mais jamais ça ne pourra remplacer la rencontre du médecin et de son patient. Sinon, vivons sous l’œil de Big Brother et ne sortons plus de chez nous ! La télémédecine sera utile, mais ne pourra jamais être le quotidien du médecin et, encore moins, la nature même du soin.

 

A propos

Auteure de nombreux ouvrages sur l'enfance, le féminin et la santé, Minou Azoulai dresse depuis vingt-cinq ans le portrait sans faux-semblant d'une société maalde de ses contradictions mais riche de son humanité.

Elle est aussi la réalisatrice et la productrice de reportages pour la télévision. Elle a notamment signé un film documentaire intime sur le don de rein de l'acteur Richard Berry à sa soeur, un autre sur les prouesses de la médecine in utero La vie avant la vie, réalisé pour Envoyé Spécial.

 

 

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Alternative Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé


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