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Les malentendus (in)évitables

Article paru dans le journal nº 89 Acheter ce numéro
  • Le manque d’écoute des médecins est une source supplémentaire de malentendus.Le manque d’écoute des médecins est une source supplémentaire de malentendus.

Par nature involontaires, les malentendus apparaissent sans qu’on les voie venir. Quand ils restent anodins, ils sont tantôt drôles – et les pièces de théâtre utilisent volontiers les quiproquos pour faire rire – tantôt embarrassants. Mais, en santé publique, ils deviennent redoutables. Ils peuvent tuer et même récidiver en restant insoupçonnés. Il faut apprendre à les débusquer.

On s’amuse volontiers des malentendus quand ils restent anodins. C’est une source de quiproquos souvent comiques quand ils surviennent dans la vie ordinaire. Par exemple quand la surdité fait prendre un mot pour un autre : « Tu me demandes où j’ai mis ma bouche ? » « Non Maman, ta louche ! »

Mais ils deviennent très fâcheux quand ils s’immiscent dans les actes médicaux… Ils tournent vite au drame quand ils surgissent à l’occasion des prescriptions ou lors des échanges entre les soignants qui se succèdent auprès d’un patient. C’est un angle mort de la médecine, et de la santé publique en général.

Les malentendus représentent même un vaste problème sanitaire. C’est l’un des principaux facteurs d’accidents médicamenteux graves, surtout dans les hôpitaux de plus en plus soumis à une obligation de performance. Mais on en trouve aussi dans les prescriptions des médecins de ville.

Les malentendus surgissent tout particulièrement quand le médecin est pressé ou qu’il se laisse distraire par un événement extérieur. Un simple coup de téléphone imprévu peut suffire à intercaler dans son esprit une association perturbante

Attention aux prescriptions orales

Les malentendus se produisent souvent lors des prescriptions que les médecins adressent oralement aux infirmiers. Un mot mal prononcé ou confondu avec un autre suffit pour les provoquer. Surtout quand le médecin est occupé à autre chose, fatigué ou lui-même sous l’emprise de médicaments psychotropes (somnifères ou antidépresseurs) propices aux confusions mentales. Le lapsus peut aussi provenir de l’infirmier qui a cru entendre un autre mot.

Les noms de médicaments ont souvent des racines communes ou des consonances qui favorisent ces erreurs. Et voilà le patient qui, avant d’entrer en salle d’opération, avale un comprimé d’Agyrax contre les crises de vertige, alors qu’on devait lui donner de l’Atarax, un tranquillisant préparant l’anesthésie. Ces substitutions inconscientes sont fréquentes et peuvent être graves. On ne sait pourquoi, même des noms aussi différents que Permixon (contre l’hypertrophie de la prostate) et Previscan (anticoagulant) sont parfois confondus, provoquant des hémorragies chez des patients. Si l’on en croit l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), dans plus d’un cas sur deux, les malentendus sur les noms de médicaments auraient des conséquences graves.

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Les autorités estiment que le phénomène est assez courant et délétère à l’échelle nationale pour vouloir l’endiguer en imposant aux médecins d’écrire leur prescription et de nommer les médicaments selon leur dénomination commune internationale (DCI), laquelle est moins sujette à confusion que le nom commercial. Mais ces obligations n’entrent pas si facilement dans les habitudes de tous les praticiens. Ainsi, le Code de la santé publique oblige les infirmiers à ne réaliser les actes de soin relevant des compétences du médecin que lorsque celui-ci a rédigé « une prescription écrite, qualitative et quantitative, datée et signée »(1). L’infirmier ne peut suivre une prescription orale qu’en cas d’urgence, et le praticien (médecin ou chirurgien) ne doit pas oublier de la rédiger dès qu’il le peut. Cela permet aussi d’éviter les litiges entre eux en cas d’accident. Reste à faire appliquer la loi. L’obligation de l’ordonnance écrite est décrétée depuis 2004 ! Et la DCI depuis 2015…

« Il suffit que le médecin soit pressé pour qu’il prescrive oralement. Alors bon, il faut bien suivre… Et c’est souvent avec le nom commercial ! », explique Cécile F., infirmière hospitalière. Son témoignage n’est pas isolé : « On doit régulièrement se battre pour obtenir une prescription écrite, surtout quand les médecins changent le médicament. C’est une mauvaise habitude qui persiste alors que la loi nous interdit d’obéir sans écrit », enchérit Audrey G., une collègue. « Ou même quand ils modifient les posologies et qu’ils nous laissent calculer les proportions alors que ce n’est pas toujours évident selon les médicaments… », témoigne une autre infirmière qui exerce dans une clinique.

Pour autant, malgré les lenteurs dans l’application des réformes, les comportements évoluent tout de même positivement dans l’ensemble. Autrement dit, devrait bientôt être complètement révolu le temps où les mandarins, visitant les malades, suivis d’une infirmière notant « à la volée » leurs paroles, ne daignaient pas s’abaisser à prendre un stylo en main. Et c’est tant mieux car les enquêtes ont montré que ces situations magistrales étaient presque aussi généreuses en méprises qu’en excès à tendance narcissique.

Toutefois, même les prescriptions écrites n’excluent pas tous les risques de malentendus. Des enquêtes officielles soulignent la fréquence des erreurs liées à la mauvaise lisibilité des ordonnances trop hâtivement griffonnées, surchargées de ratures, aux abréviations ambiguës, aux posologies surréalistes(2)… Autant d’erreurs que l’informatisation des prescriptions contribue aujourd’hui à réduire.

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Prescription orale : un risque pour le patient et pour l’infirmier

Les médecins sont légalement obligés de rédiger leur prescription, mais certains transgressent encore cette règle en la formulant juste oralement aux infirmiers. Lesquels préfèrent souvent obtempérer et se taire prenant alors des risques pour les patients du fait des nombreux malentendus qui se glissent à l’oral. En cas d’accident, ce sont les infirmiers qui seront condamnables, car ils auront administré des actes médicaux sans ordonnance écrite.

Pendant la consultation, et après…

Le manque d’écoute des médecins est une source supplémentaire de malentendus. C’est un reproche fréquent des malades et il est souvent justifié face à la volonté de rendement de certains praticiens. Il est vrai qu’on ne peut pas sérieusement entendre un patient sans prendre le temps nécessaire à un échange digne de ce nom. C’est pourquoi des médecins estiment qu’ils ne devraient pas réduire le temps de la consultation à moins d’une demi-heure, afin que la parole du patient puisse vraiment se délier. Ceux qui font défiler dans leur cabinet soixante clients par jour sont très loin du compte…

En effet, le manque de temps ne permet pas de libérer la parole et de dépasser l’expression confuse des besoins. Il néglige l’écoute et l’effet placebo de la confiance qui doit s’établir. Il ne permet même pas de vérifier que le patient a bien compris la prescription et son bon usage.

La relation expéditive induit des vérifications cavalières et une standardisation du diagnostic. Le cerveau du médecin devient une caisse enregistreuse face à un malade frustré. Il est alors impuissant devant l’indifférence rouée et devient mutique par crainte de faire répéter, ou d’avouer qu’il a mal entendu ou qu’il voudrait apporter une précision importante. Combien d’opérations de l’appendicite auraient pu être évitées si on avait laissé le temps aux patients d’expliquer ce qu’ils avaient mangé et qui n’était pas passé… Combien d’effets secondaires médicamenteux négligés au profit d’un diagnostic incongru établi en laissant de côté l’expression du malade quand il voulait dire qu’il perdait la mémoire depuis qu’il prenait tel médicament !

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avec des prescriptions inadaptées

Au-delà de la consultation, des malentendus surviennent aussi à la pharmacie, puis lors de la prise des médicaments chez soi. Tous les pharmaciens ne prennent pas la peine de réexpliquer la prescription et de noter sur la boîte des médicaments l’indication des doses et les moments de la journée à respecter. Ils exposent alors les malades aux risques de malentendus aggravés, surtout quand leurs médicaments sont nombreux ou que leurs effets abrutissants ne facilitent ni la lecture des longues notices ni la relecture de l’ordonnance, quand elle est lisible. Sans avoir bien compris leur médecin, beaucoup de patients se lancent dans une consommation téméraire sans oser le rappeler au téléphone…

Rappelons qu’en France les médicaments sont la cause de 60 000 à 130 000 événements indésirables graves dont 15 000 à 60 000 sont évitables. Beaucoup sont liés aux malentendus induits par de mauvais étiquetages ou des conditionnements propices aux confusions.

La calligraphie ou l’imprimante ?

L’écriture parfois illisible du médecin doit être littéralement déchiffrée, ce qui provoque des contresens. Raison pour laquelle les autorités recommandent à présent avec insistance l’usage accru de l’ordinateur et le suivi numérique du dossier des patients. En cas d’erreur, le litige pointe son museau. Le pharmacien peut se trouver mis en cause, tout comme l’infirmier, au domicile du malade pour préparer son pilulier, qui amal interprété l’ordonnancemal calligraphiée.

Des pistes à creuser

La chasse aux malentendus peut se révéler d’autant plus précieuse pour prévenir les accidents qu’elle tend à dénouer la culpabilité des différents acteurs impliqués. Le malentendu ne fait pas de procès d’intention. Il fait ressortir le caractère involontaire des accidents et la possibilité de les éviter. De sorte qu’il tend à substituer l’idée d’erreur à celle de faute, et favorise ainsi la notification des accidents et leurs causes là où le refoulement voudrait juste les faire oublier.

Le concept de malentendu tarde encore à être intégré dans notre culture parce qu’il n’est pas de l’ordre du réflexe, ni des instincts primaires ou des préjugés. Ceux-ci sont certes plus rapides et plus économes que la réflexion mais aveugles aux causes involontaires. L’accélération de toutes les activités, y compris dans le monde médical, aggrave cette sale habitude. L’étude des malentendus optimiserait leur identification et leur résolution tout en soulignant la nécessité de privilégier l’écoute de l’autre.

 

Réfrences :

  1. Code de la santé publique, articles R.4311-9.
  2. Le circuit du médicament à l’hôpital, rapport 2011, Igas.

 

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Alternative Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé

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