Accueil Entretiens Pour une médecine participative où les malades sont acteurs
Pour une médecine participative où les malades sont acteurs
Professionnel de la santé depuis quarante ans, sur le terrain des missions humanitaires, dans les couloirs de la Maison de la radio ou de la Haute autorité de la santé, Antoine Vial décortique dans son dernier ouvrage (Santé, le trésor menacé), les dysfonctionnements d’un système de santé à bout de souffle. Au-delà des constats, il nous éclaire sur les solutions.
À la fin de votre livre, vous laissez entendre que le ministère de la Santé ne remplit plus ses missions régaliennes…
Déjà, il faut se mettre d’accord sur ce qu’impliquent les missions régaliennes. Et pour cela il suffit de lire la Constitution. Rappelons simplement ce que le général de Gaulle a souhaité pour la France au sortir de la guerre, à savoir un accès égalitaire à la santé et aux soins. Voici un exemple des missions régaliennes liées à la santé et à son ministère. Or, je constate depuis quarante ans l’influence de plus en plus grande du ministère des Finances sur les missions régaliennes du ministère de la Santé. Un exemple parlant en est la dernière hausse du prix du tabac, qui n’a touché que les paquets de tabac à rouler. Tous les experts s’accordent à affirmer que pour avoir un réel impact sur la consommation de tabac, il faut que cette hausse soit réellement significative. En Europe, on a fixé ce bond à 10 €. Ce tarif atteint, on sait que la consommation de tabac chutera. Or, on est resté au-dessous de cet objectif et on peut se demander pourquoi la hausse, minime, n’a touché que le tabac à rouler. On sait que c’est le ministère des Finances qui l’a voulu ainsi, craignant que l’impact sur le pouvoir d’achat des Français ne soit trop important. Et en général, c’est le ministère des Finances qui a le dernier mot dans les arbitrages.
Comment s’explique cet affaiblissement du ministère ?
Depuis de nombreuses décennies, je vois défiler les ministres et même ceux qui prennent en charge le portefeuille avec un réel projet et une réelle ambition se font laminer par le poids des affaires courantes. Moyennant quoi, on a vraiment l’impression que les ministres de la Santé se contentent de mettre des rustines en attendant de passer le témoin au successeur. Il est temps de revenir aux fondamentaux d’une Politique avec un p majuscule. Entre la mise en œuvre de notre système en 1948 et maintenant, tout à changé, que ce soit le monde dans lequel nous vivons que les attentes, les besoins et le mode de vie des citoyens ou encore les professionnels de santé et la médecine en elle-même, devenue plus coûteuse. Tous ces éléments doivent être pris en compte pour repenser notre système et dégager de nouveaux axes.
Vous dites que notre système de santé est gangréné. Par quoi ?
On a concentré tous les moyens sur l’hôpital. Je ne dis pas que c’est forcément une erreur. Mais aujourd’hui, compte tenu des attentes et des besoins de la population et des professionnels de santé, le système me semble à l’envers. C’est l’organisation qui est en cause. On est devant une population disparate, répartie par conditions de vie différentes soit dans des zones rurales désertifiées soit dans des zones urbaines à très forte densité de population. Au milieu de tout cela émergent des zones périurbaines. On voit bien que les urgences sont totalement engorgées dès la première grippe venue, signe qu’il manque un échelon de soin. En Allemagne, mais aussi dans bien d’autres pays européens, on ne peut pas se rendre aux services d’urgences sans une prescription médicale. Je ne parle pas des cas nécessitant justement des soins d’urgences. Et je trouve qu’il faut redonner au médecin généraliste une place de premier choix.
Vous écrivez que l’État laisse le champ libre aux industries pharmaceutiques pour faire la promotion de leurs médicaments. Pouvez-vous préciser ce point ?
Je constate aujourd’hui que nombre de médecins ont une « formation » professionnelle continue assurée par les groupes pharmaceutiques, tout simplement parce que depuis des décennies, l’État a été démissionnaire sur cette question. Et la nature ayant horreur du vide et l’industrie pharmaceutique n’étant pas sotte, elle a compris qu’elle avait là un moyen d’influencer le prescripteur. Heureusement, il reste un grand nombre de médecins qui veulent échapper à ce genre de formations et rester indépendants dans leurs prescriptions, mais cela demande beaucoup plus d’efforts. Le comble, c’est que l’État ne reconnaît pas et ne soutient pas les médecins qui font l’effort de suivre une formation indépendante tandis que d’autres se font payer des vacances dans des palaces pour assister à des congrès médicaux. En France, médecins et pharmaciens prescrivent et vendent des médicaments sous leur dénomination commerciale. On peut s’en étonner. Qu’est-ce qui justifie que les étudiants en médecine et pharmacie ne connaissent les médicaments que sous leur dénomination commerciale et non leur molécule, si ce n’est pour permettre de satisfaire aux intérêts de la pharmacie ? N’est-ce pas la preuve que, dès la formation initiale des professionnels de santé, l’industrie exerce une influence sur la prescription ?
C’est une des raisons qui vous poussent à parler de « mésusage du médicament » ?
Là encore, la défaillance de l’État s’illustre. Vous pensez vraiment qu’un industriel va vous dire que son produit est pas mal, mais qu’il a tout de même tel ou tel défaut ? C’est pour cela que nous avons besoin d’une autorité de régulation et de contrôle qui se donne tous les moyens pour être infaillible. Or, malheureusement, nous en sommes très loin. Pire, à chaque maillon de la chaîne du soin et du médicament, on constate une absence de contrôle de l’État ; derrière les institutions de santé se cachent soit un membre de l’industrie, soit des affidés. C’est ainsi qu’éclatent les scandales de la Dépakine, du Mediator ou des pilules de 3e et 4e générations. Et j’ai bien peur qu’il y en ait encore d’autres tant que le système restera le même.
Que proposez-vous pour remédier à ces problèmes ?
Je plaide pour une médecine participative, où les malades sont des acteurs. Certes, il existe déjà une loi, la loi Leduc de 2002 sur le partage de la décision médicale. Mais tout le monde conviendra que, dans les faits, c’est une parodie de partage de décision. On vous explique deux trois trucs, on vous tend un stylo pour signer au bas de la page, puis on prend la décision de vous opérer de ceci ou cela. Il y a des contre-exemples, notamment avec des chirurgiens orthopédiques qui ont véritablement tenté cette aventure du partage de la décision. L’information est patiemment et précisément donnée et surtout, le plus important, c’est que la décision ne soit pas que médicale. La dimension humaine et la qualité de vie entrent en jeu.
Vous déplorez l’influence des juristes sur la décision politique.
On parle souvent du poids des lobbies, mais jamais de celui des juristes. Or, aujourd’hui, on a vraiment l’impression qu’en dernier recours, les décisions d’un ministre ne sont pas celles qu’il avait prises initialement en fonction de ses convictions, mais celles qui lui sont conseillées par des juristes pour se protéger à l’avenir. Le scandale du sang contaminé est passé par là, et la marge de manœuvre des ministres est très étroite. Entre la voix des experts, notamment sur un médicament et son autorisation de mise sur le marché, et celle des juristes, un ministre aura tendance à privilégier celle des juristes. Pourquoi ? Parce qu’un jour, le cas échéant, il pourra lui être reproché de ne pas avoir pris la décision d’offrir aux citoyens l’accès à des soins, avec un risque de sanction pénale. C’est pourquoi je plaide pour une médecine participative, afin de soulager de ce poids les décisionnaires en invitant à la prise de décision, non seulement les juristes, les élus, les institutions sanitaires, mais aussi les citoyens.
Comment fonctionnerait ce nouveau système ?
L’idée de la santé participative est d’associer dès le début les usagers à la conception des systèmes de soin, pour les adapter aux attentes. J’ai co-développé les principes des living labs pour la santé, précisément pour permettre de réunir tous les acteurs : ingénieurs, financeurs, experts, élus et usagers. Cette approche ne s’applique pas à toutes les problématiques, mais à un certain nombre dès lors qu’on y met de la méthode. Il ne s’agit pas de réunir tout le monde autour d’une table et de dire « maintenant, on décide ». Il faut suivre un procédé d’élaboration, progressif, avec une animation ad hoc. Par exemple, j’ai organisé une réunion dans l’Aveyron avec les professionnels de santé du territoire sur le thème de la désertification médicale qui commence à nous toucher. La méthode consiste déjà à se concerter avec les personnes âgées, leurs aidants, les médecins, les élus, les financeurs pour identifier les moyens et les solutions les plus adaptées – en prenant en compte le facteur géographique. C’est un long travail qui demande beaucoup de méthode, mais c’est à mon sens la médecine de demain.
Aller plus loin :
Antoine Vial, Santé, le trésor menacé, ed. L'Atalante, 2017
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