Pour consulter le site sans publicités inscrivez-vous

Épigénétique : comment déjouer le destin des gènes

Article paru dans le journal nº 35

Si on s’en réfère à la stricte définition, l’épigénétique est la science qui concerne les modifications transmissibles et réversibles de l’expression des gènes sans modification de l’ADN. Quelle réalité pratique peut donc bien recouvrir cette mystérieuse définition, et quelle peut bien être son impact sur notre santé ?

Que le mode de vie influence la santé est devenu un lieu commun, souvent entendu et repris par les médias. N’importe qui est capable de se douter que fumer, se nourrir de fast-food et passer son temps devant la télé ou l’ordinateur ne sont pas des comportements très sains. Ces évidences, longtemps restées purement empiriques, mais largement admises par tous, sont en train d’être confirmées par des recherches auxquelles des scientifiques du monde entier se sont attelés.

Des questions en suspens

Beaucoup pensent que leurs gènes décident pour eux et que les maladies qui les attendent y sont inscrites inéluctablement. Qui ne connaît pas de familles où les hommes décèdent prématurément d’un infarctus du myocarde, de familles de centenaires ou de ces femmes obèses de mère en fille… Injuste loterie, véritable prison génétique dont il serait impossible de sortir ? Pas si sûr ! Car il semble bien que tout ne soit pas écrit dans nos gènes.

Il est intéressant de revenir sur le moment clé de la découverte, en 2003, de la séquence quasi complète des trois milliards de lettres codant l’ADN humain. Malgré ce travail colossal de près de treize ans, le Human Genome Project a laissé beaucoup de questions sans réponse : 99 % de gènes communs, mais tant de différences entre le singe et l’homme ; de vrais jumeaux avec le même patrimoine génétique, mais qui développent des maladies différentes à l’âge adulte… De même, les études de migrants ont apporté des arguments très importants, car la fréquence des cancers dans les populations migrant d’un pays à faible fréquence vers un pays à forte fréquence augmente progressivement pour atteindre peu à peu celle du pays d’accueil (exemple : le cancer du sein et la deuxième génération d’immigrées chinoises aux États-Unis).

L’identification des quelque 20 000 à 30 000 gènes humains a permis de réaliser que seuls 2 % de notre ADN codent pour les protéines dont nos cellules ont besoin pour fonctionner, chacune ayant une fonction particulière (enzyme, anti-corps, hémoglobine…). Les scientifiques ne savaient pas alors à quoi servaient les 98 % restants, certains ayant même insinué qu’ils étaient inutiles en les surnommant « ADN poubelle ».

Processus préconceptionnel

L’initiation du projet ENCODE en 2003 fait suite à ce travail d’identification des gènes, afin de continuer l’étude précise du génome humain en analysant le rôle de cet ADN non codant. Il a ainsi été démontré que des parties de l’ADN, très distantes d’un même gène, se retrouvent tout près lorsque celui-ci est roulé en pelote, et servent d’interrupteur pour le mettre en route ou l’arrêter. Contrairement à l’idée initiale d’« ADN poubelle », le projet ENCODE a montré que 80,4 % du génome a une fonction active dans la régulation de la production des protéines et a permis de dresser une carte détaillée des fonctions du génome en identifiant plus de quatre millions d’« interrupteurs » génétiques qui permettent aux gènes de s’exprimer ou non. Les processus épigénétiques ne modifient donc en rien le code génétique, mais ils vont modifier l’expression des gènes, notamment par un mécanisme particulier : la méthylation de l’ADN, c’est-à-dire l’adjonction de petites molécules, les méthyles, directement sur l’ADN. Ces groupements méthyles fonctionnent comme des interrupteurs qui ont le pouvoir de mettre nos gènes en mode off. L’expression ou la non-expression des gènes étant susceptible de se transmettre d’une génération à l’autre.

Pour illustrer ce phénomène, on rapporte que pendant la Seconde Guerre mondiale, un petit village des Pays-Bas a été assiégé par les Allemands, et ses habitants soumis à une famine telle qu’ils ne consommaient pas plus de 500 calories par jour. Les femmes enceintes étaient bien sûr soumises aux mêmes restrictions. Quand le siège a été levé, personne n’a été surpris que ces femmes donnent le jour à des enfants de petits poids. Ils ont par la suite rattrapé leur retard pondéral, grandi dans l’abondance de l’après-guerre, mais des années plus tard, quand ils sont devenus parents, leurs enfants avaient aussi un petit poids à terme ! En clair, le « climat » nutritionnel de la période périconceptionnelle a activé un gène à l’origine de ce sous-poids, qui s’est transmis à la descendance…

Ce que l’on a appris depuis, c’est que la programmation de l’installation des processus épigénétiques commence bien avant la naissance, avant même la conception. Le capital santé du futur adulte se constitue très précocement par l’induction des processus épigénétiques. Ceux-ci jouent un rôle sur le risque de présenter des pathologies à l’âge adulte et vont pouvoir perdurer toute la vie, puis se transmettre à la descendance. D’où l’importance de la consultation de périconception, qui doit s’assurer entre autres que l’assiette apporte bien tous les micronutriments qui interviennent dans les processus biochimiques concernés. Notons ici que l’intervention des mécanismes biochimiques qui président à cette fonction d’« interrupteurs » n’est pas prédéterminée, mais qu’elle peut être influencée par l’environnement et les expériences de chacun.

Agir sur son mode de vie

L’épigénétique bouleverse donc les connaissances de la vie. C’est un lien entre le constitutionnel, la génétique et l’environnement qui permet une meilleure compréhension de l’impact des stimuli de l’environnement et de leur influence durable sur les individus. C’est un formidable moyen pour tout être vivant de s’adapter aux variations des stimuli endogènes (température, acidité, déséquilibres du microbiote intestinal, récurrences virales...) ou exogènes (alimentation, activité physique…).

Suite à cette découverte, la recherche médicale s’est tournée vers l’étude du mode de vie pour démontrer que c’est bien sous l’effet de l’alimentation, de l’activité physique, du sommeil, des émotions et des pollutions que s’accumulent des marques épigénétiques sur le génome, avec leurs conséquences, bonnes ou mauvaises.

La vitamine D est connue pour ses nombreux bienfaits sur la santé, au point que l’on se demande comment il est possible qu’une simple vitamine (qui est en fait une prohormone) puisse diminuer le risque d’une quinzaine de cancers de manière très significative, d’infections, de maladies auto-immunes, en particulier de la sclérose en plaques, de fracture osseuse, de dépression et de suicide. Des chercheurs viennent de mettre en évidence de nouveaux éléments qui montrent que la vitamine D régule de manière directe certains gènes de signalement du système immunitaire inné et des molécules impliquées dans les phénomènes inflammatoires (par exemple en cas de fièvre, d’arthrose ou de maladie chronique). La vitamine D semble également activer les voies de signalement d’éléments directement impliqués dans la genèse des maladies auto-immunes.

Les cellules adipeuses, elles, contiennent des gènes qui, lorsqu’ils s’expriment, favorisent de nombreuses maladies telles que le diabète et l’obésité. Des chercheurs suédois ont cherché à savoir si l’on pouvait modifier favorablement, grâce à la pratique régulière d’un sport, l’expression des gènes des cellules adipeuses. Les résultats confirment l’amélioration attendue : l’exercice physique, à raison de deux séances par semaine, peut modifier l’expression de 7 000 gènes contenus dans les cellules adipeuses d’hommes d’âge moyen, ce qui s’accompagne d’une réduction du rapport taille-hanches, d’une amélioration de la condition physique et d’une diminution de la pression artérielle et de la fréquence cardiaque.

L’alimentation joue également un rôle fondamental, car l’optimisation du contenu de l’assiette est capable, en apportant certains aliments (protéines riches en méthionine, aliments riches en bétaïne, vitamines B9, B6, B12, B2, zinc) d’agir sur les interrupteurs de nos gènes et de les actionner en faveur de la santé.

D’autres composés d’origine alimentaire ont été identifiés pour leur effet plus ou moins prononcé sur les mécanismes épigénétiques. Il s’agit notamment des molécules de la famille des polyphénols comme le resvératrol, une substance que l’on peut facilement trouver dans le raisin, les arachides, les mûres blanches, la rhubarbe et dans d’autres plantes très résistantes comme la renouée du Japon. Il est capable d’induire des modifications épigénétiques et d’agir directement sur les interrupteurs. Il apparaît comme un protecteur dans de nombreuses voies de signalisations et processus métaboliques. Le cacao est aussi intéressant : des études sur les souris montrent qu’il permet de réduire l’inflammation liée à l’obésité en limitant l’expression des gènes pro-inflammatoires dans les tissus adipeux.

Reprendre le contrôle

De plus en plus, l’épigénétique prend le pas sur la génétique pour intervenir sur notre santé. Ces travaux ne sont qu’un début, mais d’autres tendent à confirmer que chacun des choix que nous faisons au quotidien est capable d’influencer la délicate organisation que représentent ces millions d’interrupteurs sur l’ADN. Le fait que le gène soit contrôlé directement par tant de facteurs externes prouve que chacun est capable, par de simples actions non médicamenteuses, de reprendre le contrôle de sa santé.

Alimentation périconceptionnelle

S’il est difficile d’agir sur le code génétique, l’expression des gènes, elle, est modulable, en particulier par l’alimentation. Il est donc très important de veiller dès le désir d’enfant à ce que l’assiette apporte bien chez les deux futurs parents les nutriments indispensables.

Vitamine B9 : épinards, légumineuses, foie.

Vitamine B6 : thon, foie, pois chiches.

Vitamine B12 : abats, crevettes, poissons (sardines), fromages, jaunes d’œufs crus (à la coque).

La choline : oeufs, poisson, légumes (soja), graines (blé), noix (arachide), abats, viande maigre.

La bétaïne : pain de blé entier et de grains entiers de céréales, flocons d’avoine, orge, quinoa, riz brun, épinards, betteraves.

Le zinc : huîtres, cacao en poudre, germe de blé, oeufs, noix de cajou, lentilles, céréales complètes.

Les Indiens Pimas, un cas d’étude

Les Pimas, tribu indienne de l’Arizona, ont une particularité remarquable : ils détiennent un triste record mondial, celui de la prévalence du diabète non insulino-dépendant (DNID) ou diabète de type 2, soit 50 % des plus de 35 ans, et 4 % des jeunes de 15 à 19 ans… On commence même à voir des malades de 7 ou 8 ans. Certes, depuis trente ans, le DNID augmente régulièrement dans le monde entier, mais nulle part l’épidémie n’est aussi dévastatrice. Si les populations ancestrales des Pimas possèdent bien des facteurs génétiques de prédisposition au diabète de type 2, les facteurs environnementaux (activité physique forte et consommation modérée de nourriture) auraient dû les épargner. Seul problème : cette prédisposition génétique, utile pour résister en période de famine, est devenue bien encombrante dans un contexte d’inactivité physique et d’abondance de nourriture inadaptée. Car en moins de cinquante ans, ce peuple indigène a vu son mode de vie passer brutalement du néolithique à la société de consommation. Un cas d’étude pour mieux comprendre les interactions de la génétique et de l’environnement dans le diabète.



 

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Alternative Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé


Pour consulter le site sans publicités inscrivez-vous