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La curiosité, c’est bon pour la santé

  • Jean Piaget souligne le rôle moteur de la curiosité dans le développement intellectuel et psychologique des enfants.Jean Piaget souligne le rôle moteur de la curiosité dans le développement intellectuel et psychologique des enfants.
Article paru dans le journal nº 110

Longtemps redoutée, tenue pour un " vice honteux " et pour un " vilain défaut ", elle se révèle aujourd’hui posséder de précieuses vertus. Les chercheurs pointent les bénéfices de la curiosité sur tous les plans : neuronal, psychologique, physiologique, social et intellectuel. Il s’agit en effet d’une source de réjouissances, de connaissances… et de santé !

 

Curieux destin que celui de la curiosité ! En Grèce ancienne, on la louait comme source de questions, de dialogues et de compréhension. " Philosopher " consistait d’abord à " être mû par la curiosité de savoir ". Hérodote, le " père de l’histoire ", vante la curiosité qui nous pousse à voyager et à observer pour découvrir la diversité du monde et des peuples…

La Rome antique lui attribuait aussi de grandes qualités. La curiosité (du latin cura et curiositas) exprimait à la fois le " besoin de connaître " et le souci de " prendre soin ", comme le mot " curatif " en garde la trace étymologique. " La curiosité, en médecine, fait le salut du malade ", rappelle Plutarque, même s’il nous met en garde contre l’indiscrétion malveillante.

Curiositas, vanitas…

Mais les choses ont vraiment mal tourné… Les Pères de l’Église ont vu la curiosité comme une menace contre la foi. Ils l’ont réduite aux " vanités de l’esprit " et à la " concupiscence des yeux ". Le devoir d’humilité devant Dieu leur fit répéter que la curiosité n’était qu’un " vice ", un " péché d’arrogance " et, comble de disgrâce, une " source d’obscurantisme " !

Au Ve siècle, saint Augustin la qualifiait de " désir vide et cupide, affublé du nom de science et de connaissance ". Il suivait saint Jérôme qui condamnait la curiosité des philosophes et des scientifiques. Ces sentences dogmatiques ont fait autorité durant tout le Moyen Âge. Au XIIIe siècle, saint Thomas d’Aquin continua de châtier la curiosité en usant d’une formule massue : " Le souverain bien de l’homme ne consiste pas dans la connaissance de n’importe quel vrai, mais dans la connaissance parfaite de la vérité suprême où se trouve la souveraine félicité. "

La curiosité fut donc culpabilisée, confessée et punie. Personne ne devait plus y céder, sauf pour mieux dénoncer les péchés d’autrui…

Quelques intrépides ont défié l’interdit. L’Église les soigna à sa façon : elle condamna les " divagations " de Copernic et de Galilée qui prétendaient démontrer que la Terre tournait autour du Soleil et n’était pas le centre du monde. L’Inquisition prit soin aussi de faire largement savoir que Giordano Bruno, ayant fait l’éloge de la curiosité qui l’avait incité à lire les livres interdits et à soutenir des hérésies, fut livré aux flammes du bûcher. Descartes la revendiqua à son tour : " Le désir de connaître, qui est commun à tous les hommes, est un mal qui ne peut pas se guérir car la curiosité s’accroît avec la science. " Mais ces lignes ne furent publiées qu’après sa mort.

La morale dissuasive d’un conte populaire

Contes et fables ont relayé une vision dissuasive de la curiosité, répétant qu’elle porte malheur. Tel La Barbe-Bleue, le fameux conte de Perrault publié en 1697. Une jeune épouse cède à la curiosité en ouvrant la porte d’un cabinet, malgré l’interdiction de son mari… Elle y découvre les femmes qu’il a étripées. Barbe-Bleue s’en aperçoit et veut l’égorger à son tour. Charles Perrault, fidèle au parti dévot, conclut en moralisateur : « La curiosité, malgré tous ses attraits, coûte souvent bien des regrets ; on en voit, tous les jours, mille exemples paraître… »

La curiosité délivrée

Il a fallu attendre le siècle des Lumières pour que les langues se délient. Rousseau soutient que " la curiosité anime les diverses facultés de l’homme " et qu’il faut la cultiver car elle peut s’éteindre. Voltaire s’enhardit lui aussi : " La curiosité est naturelle à l’homme, aux singes, et aux petits chiens. Menez avec vous un petit chien dans votre carrosse, il mettra continuellement ses pattes à la portière pour voir ce qui se passe. Un singe fouille partout, il a l’air de tout considérer. "

Il faudra pourtant attendre encore le XXe siècle pour que la curiosité fasse l’objet d’études approfondies. Les psychanalystes la réhabilitent contre la chape de plomb posée sur la sexualité et l’inconscient, ouvrant des voies thérapeutiques pour réduire la souffrance des culpabilisations pathologiques. Cette libération permettra de lever de lourds tabous, de reconnaître la légitime curiosité des jeunes, de même que d’enrichir la pédiatrie et les sciences de l’éducation.

La curiosité fait l’objet de réflexions toujours plus fouillées, bien qu’elles restent d’abord confinées aux cercles savants les plus attentifs. En 1932, le philosophe Husserl élève même la curiosité au rang des trois instincts fondamentaux, à côté de l’instinct de survie et de l’instinct grégaire ! Il note qu’il s’agit d’une " dynamique pulsionnelle " propre au vivant, qui anime notre sensibilité et nous ouvre au monde, en produisant un plaisir endogène précédant toute représentation. C’est un trait de génie. Pourtant, nul ne s’y arrête. Même Sartre et Heidegger, disciples du penseur, négligeront son intuition.

En 1965, le psychologue Paul Fraisse rend compte des premières recherches scientifiques mettant en évidence que les singes ont une réelle curiosité et qu’ils apprécient les situations inédites. Il note aussi que les rats prospectent volontiers des labyrinthes nouveaux et les préfèrent à ceux qu’ils connaissent déjà. Et cela même quand ils doivent passer par une grille électrifiée, y compris quand ils sont repus et donc non poussés par la faim. De son côté, Jean Piaget souligne le rôle moteur de la curiosité dans le développement intellectuel et psychologique des enfants. Il pointe même qu’elle a des vertus contre les altérations physiques et psychologiques liées au vieillissement, sans susciter d’écho sur ce point.

Mais aujourd’hui, tout s’accélère. Les neurosciences et la psychologie cognitive se pressent autour de la curiosité et multiplient les approches pour la traquer jusque dans ses formes les plus rudimentaires. On la découvre même chez l’humble ver Caenorhabditis elegans, un nématode d’un millimètre dont le système nerveux ne contient que 302 neurones !

Les recherches menées récemment, malgré leur discrétion et leur dispersion, démontrent la relation entre la baisse de la curiosité et le vieillissement. En 2018, une grande étude de synthèse menée par une équipe de chercheurs britanniques confirme en détail les effets importants que cette faculté exerce " dans le maintien de la santé mentale et physique chez les personnes âgées ". Les travaux soulignent notamment le déclin, du début à la fin de l’âge adulte, qui affecte la curiosité envers autrui. Et ils rappellent que le vieillissement est associé à des changements dans la structure et la fonction neuronales. La neuro-imagerie et la psychologie sociale établissent que la curiosité s’appauvrit avec l’âge, et avec elle se réduisent la recherche de la nouveauté, la régulation des états émotionnels négatifs, la mémoire… Par contre, elles indiquent que soutenir la curiosité favorise les connexions neuronales, même simplement en l’excitant par moments, et qu’elle peut jouer un rôle essentiel dans le maintien du fonctionnement cognitif et du bien-être, y compris de la santé physique.

La santé pâtit du manque de curiosité

Des expériences sur des volontaires montrent qu’en les plaçant dans un environnement ennuyeux et pauvre en échanges, la curiosité s’affaisse. Des troubles physiologiques en résultent : perte du goût de l’effort physique, chute du tonus et des réflexes, troubles alimentaires, stress, déclin des facultés d’adaptation… Les chercheurs soulignent donc la nécessité d’agir sur les ressorts de la curiosité jusqu’à un âge avancé. L’ONU elle-même promeut actuellement la curiosité dès l’enfance, n’hésitant pas à affirmer qu’elle est « la clé de la qualité de vie et de la santé ».

Être curieux, c’est tout bénèf’

De nombreux travaux ont mis en évidence que la curiosité contribue à la production cérébrale de dopamine. Rappelons que cette molécule du plaisir qui active le système de récompense/renforcement est un neurotransmetteur qui joue un rôle déterminant dans la cognition, l’attention, l’apprentissage la mémoire, la motivation, le sommeil… On sait à présent que la curiosité est capable d’y apporter un soutien décisif.

Au-delà de ces effets biochimiques positifs, la curiosité apporte des bénéfices désormais bien répertoriés sur le plan psychologique, à commencer par l’amélioration de l’humeur et l’ouverture d’esprit. Elle contribue à l’acceptation des différences et développe la sociabilité. Elle cultive le sens critique, réduit les jugements hâtifs et les préjugés. Elle optimise l’apprentissage à tout âge, renforce le sens de l’observation et augmente la capacité à résoudre les problèmes ou à se débrouiller. Ce n’est pas tout : elle diminue l’anxiété ou la peur de l’inconnu et favorise l’acceptation de l’incertitude. Autre avantage : la curiosité nous ouvre aux autres et à la séduction.

D’où l’intérêt de la développer. Certaines activités la favorisent. Ainsi, les conférences-débats et les cafés philo offrent des occasions exquises d’enrichir nos interrogations et de faire des rencontres stimulantes, indispensables sources d’émulation. Les associations et les Maisons de la culture permettent aussi d‘élargir nos sujets d’intérêt, et même d’y retrouver des cercles de curieux abordant des thèmes intéressants ou inattendus. Les voyages, les musées et les expositions sont également sources de découvertes qui suscitent la curiosité. Et, bien sûr, la lecture. Chaque question nouvelle est une plantation. Partageons-la. Sans oublier de cultiver la curiosité des proches.

Mais attention ! Depuis peu, la curiosité fait aussi l’objet d’études mal bordées sur le plan éthique. C’est le cas des chercheurs qui entrent au service des grands producteurs agroalimentaires et pharmaceutiques. L’objectif est de piquer la curiosité du consommateur pour instrumentaliser son comportement.

Autre perspective problématique, la recherche en IA (intelligence artificielle) et en technologie de pointe s’efforce de doter ses robots de cette faculté. Une piste consiste à identifier le développement de la curiosité des nourrissons et " la façon dont se produit une épigenèse auto-organisée avec une émergence comportementale et cognitive ordonnée " afin de la transposer en robotique. Ainsi, une étude rapporte : " Les robots apprenants ont sélectionné de manière probabiliste des expériences en fonction de leur possibilité de réduire l’incertitude. Dans ces expériences, l’apprentissage motivé par la curiosité conduit le robot à découvrir successivement la pléthore d’objets qu’il envisage et l’interaction vocale avec ses pairs. " Ce n’est plus un film de science-fiction mais la réalité.

 

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Alternative Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé


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