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Les nouveaux prédateurs de la vieillesse

  • Environ 5 millions de Français ont souscrit des contrats obsèques.Environ 5 millions de Français ont souscrit des contrats obsèques.
Article paru dans le journal nº 85

Vieillir devient plus dangereux que jamais. L’âge nous expose à l’appétit d’innombrables voleurs qui se cachent derrière le masque des Ehpad, des tuteurs, des pompes funèbres… Ce pillage, lié au manque de contrôle et à l’affairisme ambiant de plus en plus cynique et mafieux, a pris une ampleur inédite. Il nous menace tous.

Voler les personnes âgées est ­devenu une pratique ordinaire et tout à fait légale. Ce crime s’est même développé en une industrie. Pour le commettre, il suffit de respecter les formes, c’est-à-dire de ­donner à ces forfaits les apparences d’une activité respectable. Comme de gérer des Ehpad, ces établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes qui méritent trop souvent le nom de ­mouroirs. Ou de prendre discrètement des actions dans les multinationales qui font ­commerce de ce marché engloutissant les retraites des pensionnaires.

S’ajoutent au festin de la vieillesse les tuteurs, avec des abus en surnombre consistant à détourner les ressources des « majeurs protégés ». Tout comme les pratiques des pompes funèbres, dont les arnaques prolifèrent jusque sur les familles en deuil… Pour ne parler que de ces ­prédateurs-là.

Ehpad publics et privés : une gestion en perte d’éthique

Le secteur des Ephad privés est en pleine expansion. Les investisseurs s’y sont ­engouffrés pour profiter de l’aubaine économique offerte par le vieillissement de la population. La spéculation pousse les gérants à réduire toujours plus les coûts, les résidents étant une variable d’ajustement compressible. Une pratique commune consiste, par exemple, à rogner toujours plus sur le prix de revient de leur repas. Beaucoup d’Ehpad l’ont descendu à moins de deux euros le repas. Leur ­qualité ­gustative et nutritionnelle tombe si bas que les retraités en perdent l’appétit. Leur dénutrition qui en découle est devenue endémique : 15 à 38 % des pensionnaires sont dénutris, selon une étude de la Haute Autorité de santé (1).

Les Ehpad publics sont-ils plus recommandables ? « Leur rapport qualité prix baisse, comme dans le privé, explique un médecin coordonnateur d’un Ehpad public du nord de la FranceLeur prix est plus attractif, car ils ne cherchent pas le profit. Mais les pressions de l’administration pour réduire les coûts sont telles que la qualité des services se réduit. Du coup, le personnel se démotive. » Le prix des Ehpad publics reste souvent inférieur d’un tiers aux Ehpad du secteur privé.

Une maltraitance rentable

Par ailleurs, la volonté des grands groupes cotés au CAC 40 de rentabiliser leur parc d’établissements les pousse à embaucher moins, le personnel étant ­plutôt sous-qualifié, donc moins rémunéré et moins regardant. Ce qui se traduit par une accélération des gestes d’accompagnement, des aides et des soins… jusqu’à la brutalité : « Ceux qui ont besoin d’être aidés pour manger doivent engouffrer toutes les cuillerées en quelques minutes. Pareil pour leur toilette, on est dans la performance de tous les instants. Ne parlons même pas des conversations… C’est de la maltraitance, il faut dire le mot », nous confie une aide-soignante dans un Ehpad de la banlieue parisienne.

La nouvelle tendance des ­leaders du secteur, tel Orpea, Korian ou ­DomusVi, eux-mêmes sous la ­pression des grands fonds mondiaux (Canada Pension Plan Investment Board, ­Intermediate Capital Group, les fonds souverains des Émirats arabes unis), consiste à revendre des chambres de résidents aux ­particuliers qui veulent spéculer sur l’immobilier. Avec, pour appât, le fait que les pensionnaires sont de bons payeurs puisque leur loyer est directement prélevé sur leur pension de retraite, comme le soulignent les banques. Leur rentabilité est juteuse, garantie à 5% l’an, voire plus.

La gestion catastrophique de la pandémie du Covid-19 au sein des Ehpad a été un révélateur explosif des non-dits et des ­maltraitances qui s’amplifient sous des formes sournoises à l’égard de la vieillesse. Il ne s’agit pas seulement des effets de la rentabilisation à outrance, mais du ­refoulement général de la vieillesse dans notre société. Nous ne sommes plus très loin du moment où l’on voudra l’éliminer comme un simple rebut.

Cela a commencé aujourd’hui en ­préférant maintenir le nombre limité des lits ­hospitaliers que de rouvrir des services, quitte à sacrifier à nouveau les personnes âgées des Ehpad en cas de rebond en leur refusant l’accès aux urgences pour laisser la place aux plus jeunes. Dépenser plus pour les jeunes en état de produire, oui, mais pas pour les vieux ? On est déjà en train d’entendre qu’ils sont un poids trop encombrant pour la Sécu, pour ses branches retraites et assurance maladie, alors que ce sont eux qui l’ont portée par leur travail. Si nous laissons faire, notre société va faire un pas de géant… vers la déshumanisation.

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des personnes âgées

Des tuteurs sans contrôle

Autre déguisement pour ruiner nos vétérans, le statut de tuteur. Sous couvert de pallier leur perte d’autonomie, de nombreux tuteurs malhonnêtes se proposent pour gérer leurs ressources et leurs biens. Bien sûr, tous ces mandataires ne sont pas des prédateurs, mais la rareté des contrôles attire les plus voraces. Leur gestion est si peu contrôlée qu’elle suscite les pratiques indélicates chez les tuteurs qui traversent des difficultés financières.

Des dizaines de milliers de Français sont ainsi placés sous tutelle chaque année, s’ajoutant aux 700 000 majeurs protégés dans l’Hexagone. Il suffit pour cela qu’une simple voisine écrive au procureur de la République en prétendant que vous êtes devenu sénile ou vulnérable pour que la procédure se mette en marche. « C’est une véritable machine à broyer », explique Michel Bony, dont la mère a été victime des malversations de tuteurs nommés par un juge et qui s’est battu pendant cinq ans devant les tribunaux pour la libérer de leurs griffes. Il a créé le collectif Rapt (­Réseau anti-prédation tutélaire) avec ­Liliane ­Pichenot-Portehaut pour conseiller les victimes et leur venir en aide.

Les tuteurs extérieurs à la famille en surnombre

Le Sénat, la Cour des comptes et l’Assemblée nationale dans leurs rapports successifs sur les tutelles regardent tous d’un œil réprobateur la dérive qui consiste à nommer un tuteur extérieurà la famille comme s’il s’agissait d’une mesure allant de soi. Ces nominations interviennent en effet souvent de façon systématique. La moitié des « majeurs protégés »  sont ainsi sous l’autorité d’un tuteur professionnel, malgré les rapports officiels qui désapprouvent cette tendance qui refoule les parents.

Mise sous tutelle pour endettement !

Les exemples d’abus foisonnent. La première des dérives consiste à mettre de plus en plus de gens sous tutelle pour des motifs d’une diversité grandissante. Le Sénat l’a déjà pointé en 2007, en tirant l’alarme sur la « croissance exponentielle du nombre des mesures de protection » en signalant que « le vieillissement n’explique pas l’essentiel de cette croissance »(2). Des motifs exubérants sont évoqués, dont le simple surendettement. Les sénateurs notaient qu’un placement sur cinq était prononcé pour surendettement ! Et même pour « la modestie de leurs ressources ». Et cela alors que les tutelles « doivent être réservées aux personnes qui sont dans une situation ne leur permettant pas de faire connaître leur volonté ». Rappelons que la loi du 5 mars 2007 stipule que « seule l’altération des facultés mentales ou corporelles médicalement constatées de nature à empêcher l’expression de la volonté peut justifier l’ouverture d’une mise sous protection judiciaire. » Le résultat d’une mise sous tutelle est souvent catastrophique pour ceux qui en sont l’objet, tant les tuteurs les privent souvent de leurs ressources. Elle peut transformer la vieillesse, qui n’est déjà pas drôle à vivre, en cauchemar. Leur vie s’en trouve bouleversée. « Du fait de leur tutelle, des personnes sont pillées au point de perdre leur logement et de se retrouver SDF », nous signale Michel Bony.

Si l’on comprend la résignation de la plupart des « protégés », liée à leur affaiblissement et à la crainte de représailles de leur tuteur, on ne peut que regretter l’indifférence générale de la population et le fatalisme face à ces abus.

Dans son rapport de juin 2019, l’Assemblée nationale s’inquiète de la faiblesse du contrôle des tuteurs par les greffiers qui en sont officiellement chargés, mais manquent de moyens pour le faire. Au point d’y consacrer une proposition élémentaire : « Renforcer significativement les moyens consacrés aux greffes pour le contrôle des comptes de gestion ». Ce n’est pas la première fois que des parlementaires y songent. Qu’attendent les autorités pour le faire ? Car loin de se limiter à des escroqueries isolées, elles sont devenues légion. Il est même arrivé que des unions départementales des affaires sociales (Udaf), soient mises sur la sellette et dissoutes pour des détournements des ressources de nos ­anciens. Telle l’Udaf 64 des Pyrénées-­Atlantiques, mise en liquidation judiciaire en septembre 2015 après avoir spolié quelque 3 000 « protégés » en leur soustrayant… 10 millions d’euros.

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« Où est votre contrat obsèques ? »

Le marché de la vieillesse – le « silver market » – compte aussi d’autres requins. Les sociétés de pompes funèbres et les assureurs sont aussi devenus insatiables. Ils sont passés maîtres dans l’art d’enterrer à grands frais, recueillant l’argent avant même qu’on voie arriver notre mort. Environ 5 millions de Français ont souscrit des contrats obsèques, de 1 350 euros à plus de 10 000 euros, avec une moyenne de 4 000 euros, pour constituer un capital finançant leurs funérailles. Le nombre de souscripteurs a doublé en dix ans.

Mais tous n’ont pas pris la peine de vérifier que le gérant de pompes funèbres, prompt à leur garantir qu’ils partiront ainsi dans la dignité, a bien fait virer leurs mensualités à l’assurance. L’arnaque est si fréquente qu’on ne compte plus les procès lancés par les enfants des défunts contre les agents funéraires ou les assureurs eux-mêmes qui ont confondu leur compte personnel et celui de la société, engrangeant ainsi jusqu’au million d’euros, comme le révèle la jurisprudence.

Des frais funéraires très inégaux

La disparité des prix des prestations funéraires d’une agence à une autre est frappante. Entre 1 347 euros et 6 449 euros pour une inhumation et entre 2 017 euros et 6 572 euros pour une crémation. S’y ajoutent les menues dépenses qu’on nous laisse découvrir au dernier moment, tel le millier d’euros pour la redevance de crémation et l’ouverture et la fermeture du caveau. Sans compter la redevance de concession pour la sépulture, le transport du défunt selon la distance.

Des obligations légales non respectées

Glissons aussi sur l’opacité des contrats propices aux « malentendus », et sur la différence qu’on ne récupère pas entre la somme totale finalement versée et le ­montant réel des frais. Ou sur la ­privatisation devenue quasi systématique du secteur funéraire, pourtant d’intérêt général puisque nous y sommes tous ­fatalement conduits. Le résultat est à l’aune de leur innocence : concentration du marché et monopole de fait, hausse des prix, comptes truqués et contrats d’escrocs. Le tout servi sur un manque de contrôle chronique garni d’un flou législatif sur fond de favoritisme.

Dans le rapport du 6 février 2019 de la Cour des comptes sur la gestion des opérations funéraires, on peut lire que les prestataires omettent de proposer au ­public des devis conformes aux modèles ­légaux et de les déposer dans les ­communes de plus de 5 000 habitants dans les départements où ils interviennent. Ils ôtent ainsi aux familles la possibilité de ­réfléchir en amont aux formules les moins coûteuses.

La Cour des comptes relève que le chiffre d’affaires du secteur funéraire a presque doublé entre 2000 et 2015, passant de 1,28 milliard à 2,25 milliards d’euros. Le phénomène ne tient pas au nombre de morts, car il est resté de l’ordre de 500 000 décès par an. Il est dû aux tarifs qui ont tout bonnement flambé. La Cour constate aussi que « ce sont les opérateurs publics qui proposent les tarifs les plus raisonnables ». Elle nous offre l’occasion de rappeler que certaines communes ont en effet conservé leurs services funéraires en régie publique. Comme à Mouans-Sartoux, dans les Alpes-Maritimes, où l’enterrement ne coûte qu’un euro symbolique.

Pillage, vous avez dit pillage…

Notre société éprouve beaucoup de mal à s’avouer qu’elle favorise aujourd’hui le pullulement des requins financiers autour des gens âgés. Des squales autrement plus redoutables que les gros poissons des océans qui sont en voie de disparition. En refoulant la vieillesse par tous les bouts, délégant à des sociétés privées le simple fait de protéger ses vieux, elle se ment et plonge tout entière dans le marigot.

Ce marigot de la marchandisation sans limites qui, non content d’avoir englouti silencieusement le quatrième âge, ­commence à absorber le troisième âge avec la même hypocrisie. Le même qui fait de nos enfants un marché dès le plus jeune âge au prétexte d’en prendre soin.

 

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