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L’antifragilité: au-delà de la résilience ?
Et si l’inconfort, le stress, le désordre préservaient en réalité notre corps des maux qu’il subit. Laisser la nature arranger les choses par elle-même serait la meilleure défense de notre organisme contre les agressions de la vie. C’est en tout cas ce que veut montrer Nassim Nicholas Taleb dans son best-seller « Antifragile : les bienfaits du désordre ».
À contre-courant de ce que valorise notre société actuelle, à savoir la maximisation du confort, le concept d’antifragilité repose sur le principe que les systèmes se renforcent lorsqu’ils sont confrontés au stress et à l’inconfort, et ceci quels que soient les domaines. Appliqué à la santé, l’antifragilité peut, par exemple, passer par le fait de soumettre le corps à une certaine dose de stress, comme un jeûne temporaire, la prise de bains ou de douches hypothermiques ou l’usage de sauna hyperthermique, l’exposition volontaire aux microbes, bref à l’inconfort. Comme si une petite quantité d’une substance ou d’une source de stress nocives, administrée à la dose et l’intensité adéquates pouvait stimuler l’organisme, améliorer son état, le rendre plus fort, plus sain et mieux préparé à recevoir une dose plus forte la fois suivante. Devenir antifragile, c’est apprendre à transformer le chaos et l’adversité en opportunités.
La puissance de l’imprévisible
Nassim Nicholas Taleb explique dans son livre* que certains objets tirent profit des chocs, qu’ils prospèrent quand ils sont exposés à la volatilité, au hasard, au désordre et au stress : « Les systèmes économiques, notre corps, notre alimentation (le diabète et la maladie d’Alzheimer semblent dériver en grande partie d’un défaut de hasard dans l’alimentation et de l’absence d’une privation contraignante de temps à autre), notre psychisme. Il existe même des contrats financiers antifragiles.: ils sont explicitement conçus pour bénéfi.cier de la volatilité des marchés. »
Et lorsqu’il évoque la volatilité des marchés, il parle de son expérience personnelle puisqu’il n’est pas seulement écrivain mais également statisticien en épistémologie des probabilités, spécialisé dans l’évaluation des risques d’événements rares et imprévus. Il a été, pendant vingt ans, trader des marchés au sein de ce qu’il nomme lui-même « l’étrange profession », avant de devenir professeur à l’université de New York. Il s’est fait connaître en 2007 avec la publication du Cygne noir, qui analyse la façon dont les humains essaient de donner un sens à des événements inattendus. Surnommé « le dissident de Wall Street » sur les marchés financiers internationaux, Nassim Nicholas Taleb affirme que les modèles utilisés pour évaluer les probabilités des événements rares sont faibles. La plupart sous-estiment la probabilité d’une crise. Taleb donne comme exemple la crise des subprimes de 2008 ou encore l’affaire Kerviel. « Nous avons l’illusion que le monde fonctionne en vertu d’un schéma programmé, de la recherche universitaire et de capitaux bureaucratiques, mais il existe des preuves convaincantes qui montrent que c’est une illusion. » Et dans un monde sur lequel nous n’avons finalement que très peu de prise, le meilleur moyen de vivre heureux est, dans une certaine mesure, de s’en remettre au temps, de faire confiance à ses propres capacités de rétablissement en laissant faire la nature.
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Les cygnes noirs, l’imprévu qui fait bouger
L’auteur définit les « cygnes noirs » comme des événements imprévisibles et irréguliers à grande échelle et aux énormes conséquences. Il affirme que « l’essentiel de l’histoire est dà des événements “cygnes noirs”, alors que nous nous préoccupons d’affiner notre compréhension de l’ordinaire en développant des modèles qui ne peuvent suivre la trace de ces chocs ou mesurer leur éventualité ». Heureusement, la nature – grâce à son antifragilité – est le meilleur expert en événements rares, et le plus apte à maîtriser les cygnes noirs.: « Elle est parvenue jusqu’à nous, après des milliards d’années, sans avoir besoin d’être beaucoup instruite, en matière de commandement et de contre, par un directeur d’études nommé par le comité de recherche d’une université prestigieuse. »
Le Cygne noir, la puissance de l’imprévisible, traduction française aux éd. Les Belles Lettres, 2012, 24,90 €. (Éd. poche, 2020, 15,90 €.)
L’antifragilité ou le choix du risque et de l’aventure
L’antifragilité, caractère foncièrement propre à tous les systèmes naturels qui ont survécu jusqu’à aujourd’hui, est la manifestation d’une forme de sagesse écologique.
Priver les choses de volatilité, de hasard, de stress, de chocs, de bruit, d’erreurs, de fautes, d’attaques ou encore échecs serait finalement leur nuire. L’antifragilité dépasse la simple robustesse (capacité de résistance) ou la résilience (capacité de revenir à son état initial): le résilient résiste aux chocs et reste le même; l’antifragile s’améliore. L’auteur s’appuie, dans son manuscrit foisonnant d’exemples et d’anecdotes parfois drôles, sur des théorèmes mathématiques témoignant de l’intelligence du trader mais parfois peut-être aussi d’une forme de réductionnisme. Même si la plupart de ses propos semblent sensés, est-il possible de faire converger l’ensemble des phénomènes vers une seule forme de raisonnement ? Car Nassim Nicholas Taleb applique son concept à des domaines aussi divers que l’analyse des risques, la physique, la biologie moléculaire, la planification des transports, l’ingénierie, l’aéronautique, l’informatique, etc. Chaque lecteur se fera sa propre opinion sur le sujet. Il n’en demeure pas moins que les chapitres qu’il consacre à la santé, à la médecine et au corps humain sont assez convaincants. Ils fournissent une méthode que chacun peut mettre en place selon ses besoins dans son quotidien et dont l’objectif est de provoquer des petits chocs bénéfiques pour renforcer son organisme. Contre la toute-puissance de l’industrie pharmaceutique et l’autorité du corps médical, notre unique recours reste sans doute de développer notre antifragilité.
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Surmédication et fragilité
Pour illustrer cela, Taleb cite l’exemple de la thalidomide, un médicament qui a été prescrit aux femmes enceintes pour atténuer leurs nausées et qui a produit d’énormes anomalies congénitales. Ou encore le Distilbène, qui a porté silencieusement préjudice aux fœtus, entraînant par la suite une explosion de cancers du vagin chez les filles des mères qui en avaient pris. « Ces deux erreurs sont tout à fait édifiantes, parce que, dans un cas comme dans l’autre, les bénéfices, bien que mineurs, semblaient évidents et immédiats, et les préjudices causés ne se manifestèrent – dans le cas du Distilbène – que des années plus tard, presque une génération après. » Encore aurait-il fallu pouvoir à l’époque apporter la preuve de la dangerosité de ces médicaments. « L’effet iatrogène entendu comme un rapport coûts bénéfices résulte généralement de la situation perfide où les bénéfices sont mineurs, et visibles, et les coûts très importants, différés, et cachés. » En s’appuyant sur l’exemple des statines, il souligne qu’une complexité d’ordre juridique rend particulièrement traîtres ces médicaments qui permettent de faire baisser un indicateur (ici, le taux de cholestérol).; le médecin a intérêt à les prescrire, car s’il ne le fait pas et que son patient a une crise cardiaque, il sera poursuivi pour négligence ; mais lorsque les médicaments provoquent des effets secondaires, cela n’est pas sanctionné, comme si cette conséquence n’était pas le fait de la médecine. Sur un ton plus léger, il évoque une anecdote personnelle. Alors qu’il participait à un déjeuner chez un ami, l’un des convives sortit un appareil de mesure de la pression artérielle. Tenté, Nassim Taleb décida de mesurer la sienne, qui se révéla un peu plus élevée que la moyenne. Un médecin parmi les convives lui prescrivit des médicaments pour faire baisser cette pression. Ordonnance que Taleb jeta plus tard à la poubelle. Il acheta ensuite le même appareil de mesure et découvrit que sa tension artérielle était inférieure à la moyenne, à part quelques pics épisodiques. « Ceci témoigne d’une certaine variabilité, comme tout dans la vie. Cette variabilité aléatoire est souvent confondue avec de l’information, d’où intervention. La médecine semble avoir beaucoup de mal à saisir la variabilité normale au sein d’échantillons – il est par.fois difficile de traduire la différence entre “significatif sur le plan statistique” et “significatif” dans les faits. »
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Les méfaits du confort
Dans ce même esprit, Taleb affirme que les coûts cachés de l’assurance maladie reflètent en partie un déni de l’antifragilité : « Mais il n’y a peut-être pas que la médecine. Ce que l’on appelle les “maladies de civilisation” résultent de la tentative des humains de se rendre la vie plus douce en allant à l’encontre de leur propre intérêt, car le confort fragilise. » Alors que l’antifragile va, dans la vie quotidienne, bénéficier d’hormèse et d’hyperthrophie, le fragile, lui, va souffrir de ramollissement, d’atrophie musculaire… En bref, de vieillissement. C’est donc d’abord le fragile qui devrait prendre des risques et apprendre à sortir de sa zone de confort. « Dans les situations où les bénéfices d’une médecine, d’une procédure, d’un changement d’habitudes alimentaires ou de mode de vie apparaissent mineurs – parce qu’ils visent uniquement le confort, par exemple –, on se heurte au gros problème potentiel d’être le dindon de la farce… Si nous vivons plus longtemps, c’est grâce aux bienfaits de la médecine dans des cas de maladie mortelle où l’état des patients est grave… C’est une grave erreur de déduire que, parce que la médecine nous permet de vivre plus longtemps, tous les traitements médicaux nous permettent de vivre plus longtemps.»
À chacun son antifragilité
Plutôt qu’une méthode avec des règles à suivre, le concept d’antifragilité véhicule davantage l’idée de ponctuer le confort dans lequel nous baignons par des situations d’inconfort à déterminer soi-même, selon son vécu. Il y a finalement mille et une façons d’être antifragile. Certains blogs évoquent les diètes, les jeûnes, la marche sur des terrains cabossés pour favoriser la proprioception. D’autres suggèrent d’apprendre à filtrer les informations à notre disposition en éliminant le bruit inutile du signal utile. Ceci peut passer par la respiration en mode cohérence cardiaque et en pleine conscience. Être antifragile peut aussi consister à demander de l’aide hors de sa zone de confort, afin de ne pas tourner en boucle avec les mêmes personnes.
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