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Dépression : le déficit en sérotonine finalement hors de cause ?

  • Le rôle de la sérotonine dans la dépression totalement remis en causeLe rôle de la sérotonine dans la dépression totalement remis en cause
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Une équipe de chercheurs du Collège universitaire de Londres affirme que, contrairement à ce qui fait consensus dans de larges pans de la médecine et de la population, il n’y aurait aucune preuve claire que les niveaux de sérotonine, ou son activité, sont responsables de la dépression. Un coup de tonnerre qui pourrait bien remettre en cause l’efficacité de la plupart des antidépresseurs prescrits actuellement.

Le célèbre écrivain Michel Houellebecq pourrait avoir été bien mal inspiré d’avoir intitulé l’un de ses best-sellers « Sérotonine », en référence à son personnage quadragénaire dépressif qui se soigne à l’aide d’un « petit comprimé blanc, ovale, sécable » (soit un antidépresseur inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine, ou ISRS) censé aider son cerveau à produire plus de sérotonine.

Surnommée « l’hormone du bonheur », la sérotonine, ou plutôt son déficit, est tenue pour la grande responsable des dépressions depuis plusieurs décennies, générant des milliards de prescriptions d’antidépresseurs dans le monde, et des profits colossaux pour l’industrie pharmaceutique. Si des voix critiques se sont régulièrement fait entendre, pour remettre en cause l’efficacité de certains antidépresseurs (comme l’inhibiteurs de recapture de la sérotonine Sertraline par exemple), pointer à des effets indésirables graves, ou appeler à changer de paradigme sur la prise en charge de la dépression, les pratiques médicales tardent elles à évoluer.

C’est dans ce contexte qu’une équipe de chercheurs anglais nous annonce, après avoir réalisé un examen poussé de la littérature scientifique, que cette théorie du déficit en sérotonine ne reposerait finalement sur aucun fondement scientifique…

Une remise en question de la « théorie de la sérotonine »

Publié dans une revue affiliée au prestigieux journal Nature, l’article passe en revue les études et compilations d’études de plus haut degré de fiabilité publiées sur les liens entre dépression et sérotonine. Leur conclusion est sans appel : « Il n'y a aucune preuve convaincante que la dépression soit associée ou causée par des concentrations ou une activité de sérotonine plus faibles » et « il est temps de reconnaître que la théorie de la dépression fondée sur la sérotonine n'est pas étayée empiriquement ».

Deux preuves principales étayent leur revue critique des travaux existants. Premièrement, les recherches qui comparent les niveaux de sérotonine dans le corps ne trouvent pas de différence entre les personnes dépressives et celles en bonne santé. Deuxièmement, aucune variation génétique de la production de sérotonine n’est corrélée à un plus grand risque de dépression.

À peine plus d'effet qu'un placebo

Dans un billet publié sur le site The Conversation, les deux auteurs principaux rappellent que les résultats des essais cliniques menés sur ces médicaments montrent des effets qui se « distinguent à peine d'un placebo » et concluent qu'il est « impossible de dire que la prise d'antidépresseurs ISRS vaut la peine, ou même est totalement sûre ».

Pire, certaines données disponibles analysées par les chercheurs semblent même indiquer que l'utilisation à long terme d'antidépresseurs pourrait réduire la concentration de sérotonine, les augmentant dans un premier temps pour finir par les abaisser via des effets compensatoires dans le cerveau.

Comme l’explique l'auteure principale de l’étude, la psychiatre Joanna Moncrieff, il est « toujours difficile » d’annoncer ce genre de résultat qui bouscule une théorie dominante depuis des décennies. Mais, elle et son équipe annoncent ces résultats « avec certitude ». Ainsi, selon Joanna Moncrieff, les patients ne « devraient pas » être informés que la dépression est causée par un faible taux de sérotonine, ce qui revient à de la « désinformation qui empêche de prendre une décision éclairée ».

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Troquer antidépresseurs contre psychothérapie et pleine conscience

Alors que de plus en plus de spécialistes et professionnels commençaient, ces dernières années, à questionner le bien-fondé de la « théorie de la sérotonine », l’auteure principale de l’étude s’étonne que la prescription d’antidépresseurs ISRS visant à augmenter les taux de sérotonine soit encore en constante augmentation et invite à considérer la souffrance des milliers de personnes qui subissent actuellement, et potentiellement inutilement, les effets indésirables de ces antidépresseurs (insomnies, maux de tête, nausées, baisse de libido, fatigue, etc.).

Près de 90 % des patients adhèrent également désormais à cette « théorie de la sérotonine », or cette vision possiblement erronée de la dépression peut entraîner une vision pessimiste des chances de guérison en favorisant la piste purement physique à la piste psychologique. Les auteurs encouragent patients, chercheurs et thérapeutes à creuser d’autres pistes qui semblent plus appropriées, comme la psychothérapie (qui se concentre sur la gestion des événements stressants ou traumatisants) et des compléments comme la pratique de la pleine conscience, ou encore la prise en compte de facteurs tels que le stress, la solitude ou des problèmes financiers.

Si la prise de ce type d’antidépresseurs vous concerne, vous ou l’un de vos proches, n’arrêtez pas brusquement votre traitement car un certain nombre d’effets indésirables peuvent alors survenir. Votre médecin prescripteur peut notamment vous aider en vous proposant un sevrage progressif, plus doux et adapté.

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Sources :

Moncrieff, R. Cooper, T. Stockmann, et al., « The serotonin theory of depression: a systematic umbrella review of the evidence », Molecular Psychiatry, 20 juillet 2022.

No evidence that depression is caused by low serotonin levels, finds comprehensive review”, ScienceDaily.com.

"Depression is probably not caused by a chemical imbalance in the brain – new study", TheConversation.com, 20 juillet 2022.

 

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Alternative Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé