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L’acrylamide, un si savoureux poison
Ah, le bon goût de l’acrylamide ! Nous en raffolons au point d’en fabriquer nous-mêmes lors de nos rituels culinaires, en grillant notre pain le matin ou en faisant des barbecues… L’industrie nous y expose aussi à notre insu en la diffusant partout. Or, de récentes études viennent de confirmer qu’il s’agit d’un puissant cancérogène.
La nouvelle est tombée au début du printemps 2019. Le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a confirmé dans une étude de grande ampleur que l’acrylamide peut engendrer des mutations génétiques favorisant l’apparition d’un large éventail de cancers. Des cancers touchant les poumons, le foie, les reins, le côlon, l’utérus, le cerveau… Rien moins !
Nos parents nous le répétaient déjà quand nous étions enfants : « Il ne faut pas manger le brûlé, ce n’est pas bon pour la santé. » En effet, les autorités sanitaires diffusaient parfois des avertissements. Hélas, la crainte de paniquer les consommateurs donnait à leur message une mollesse laissant croire que le risque était négligeable.
Dans notre assiette…
L’acrylamide est présent dans ce fameux « brûlé ». Cette substance se forme quand on cuit trop fort ou trop longtemps un aliment qui contient des glucides et de l’asparagine. L’acrylamide est produit lors de la « réaction de Maillard » (brunissement) qui fait interagir les sucres et les protéines pendant la cuisson, et déploie les arômes appétissants.
L’asparagine
Le chimiste Louis-Nicolas Vauquelin a découvert l’asparagine en 1806, en étudiant des asperges. Ce composant fait partie des acides aminés non-essentiels les plus répandus tant dans le règne animal que végétal. Pléthore d’aliments en contiennent : œufs, viandes, poissons, fruits de mer, asperges, produits laitiers, pommes de terre, haricots, amandes, noix, céréales et légumineuses (lentilles, pois chiches…). L’acrylamide se forme quand l’asparagine cuit avec un glucide à plus de 120 °C.
À la poêle, en friture, au four ou au gril, on reconnaît l’acrylamide à la couleur brune qu’elle donne à l’aliment. Plus elle fonce, plus la teneur en acrylamide est forte. Elle apparaît vite dès que la température de cuisson est supérieure à 120 °C. Ainsi, les frites ou le pain en sont saturés quand ils virent au brun. C’est pareil pour la plupart des aliments quand on les fait griller : gratins, pâtisseries, légumes, céréales, fruits, viandes marinées, guimauves… Il est grand temps d’apprendre à la contenir dans les limites du raisonnable même si notre corps en élimine une grande partie. Cet avertissement vaut aussi pour les industriels de l’agroalimentaire et les métiers de bouche.
En 2002, une étude suédoise a dénombré les aliments industriels qui en contiennent. Stupeur ! Le panier de la ménagère en déborde : frites, chips et autres produits frits, snacks, crackers et diverses préparations à base de pommes de terre, pain, céréales pour petit-déjeuner, biscottes, biscuits, barres de céréales, gaufrettes, pain d’épices, pains croustillants, café torréfié, café instantané et substituts… Les chercheurs en ont trouvé jusque dans des aliments pour bébés.
On se navre en découvrant qu’il faut y ajouter les bières, le chocolat et les viennoiseries souvent trop cuites (brioches, pain aux raisins, croissants), les pizzas, les quiches… et la mode consistant à brûler au chalumeau le dessus des tartes et les crèmes brûlées !
Et dans l’environnement
Pour aggraver la situation, les sources d’exposition ne sont pas seulement alimentaires. L’industrie en utilise dans tous les secteurs. Par exemple, pour fabriquer des agents floculants utilisés dans les stations d’épuration des eaux. On en retrouve ainsi jusque dans l’eau du robinet, certes à des doses « faibles » mais qui s’ajoutent aux divers autres apports. L’acrylamide sert également d’adjuvant dans les cosmétiques, le textile et mille autres applications industrielles : papier, peintures, vernis, adhésifs, emballages, plastique et pétrole, souvent pour accroître leur imperméabilité ou leur viscosité. On en utilise par ailleurs pour étanchéifier des matériaux de construction.
Cet immense marché multiplie les sources de dispersion des particules d’acrylamide dans notre environnement quotidien depuis des décennies, aussi bien dans l’air que dans l’eau et la terre… Inutile de préciser que les travailleurs dans les nombreuses filières qui les utilisent sont les plus exposés. Enfin, n’oublions pas qu’on en trouve aussi dans la fumée des cigarettes, dans des engrais industriels et dans le glyphosate.
Les cigarettes électroniques aussi
On savait que la fumée du tabac contient de l’acrylamide. Dans une étude parue en mars 2017 dans la revue Annals of Internal Medicine, on apprend que les cigarettes électroniques en contiennent aussi. Mauvaise nouvelle pour les vapoteurs. L’acrylamide est bien présent dans la « vapeur » qui se répand dans les poumons. Vapoter est bien un moyen pour les fumeurs de décrocher, mais pas une alternative durable.
Une toxicité bien documentée
En 1994, le Circ a classé l’acrylamide comme cancérogène probable chez l’homme (groupe 2A) et avéré chez l’animal. Des travaux ont ensuite montré que l’acrylamide est aussi mutagène, neurotoxique et reprotoxique chez les animaux de référence, c’est-à-dire entraîne des perturbations de l’ADN, du système nerveux et de la reproduction.
Par ailleurs, des études ont révélé pendant les années 2000 que l’acrylamide parvient à traverser la barrière placentaire et que le fœtus humain y est ainsi exposé à proportion de la contamination du régime alimentaire de la mère. Leurs doses respectives sont bien corrélées entre elles.
De plus, les preuves de la cancérogénicité de la substance ont continué de s’accumuler. De sorte que, dans son avis publié en 2015, le groupe Contam (Contaminants de la chaîne alimentaire), composé d’experts de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), a enfin reconnu la cancérogénicité de l’acrylamide pour les consommateurs de tous les groupes d’âge. La Commission européenne a attendu 2017 pour fixer des mesures visant à réduire la présence d’acrylamide dans les aliments. Mais elles sont peu contraignantes.
Pour autant, le règlement européen CLP n° 6 qui classifie les substances toxiques précise noir sur blanc que l’acrylamide « peut provoquer le cancer », « peut induire des anomalies génétiques » et qu’elle « est susceptible de nuire à la fertilité ou au fœtus ». En France, l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) mentionne aujourd’hui lui aussi sur sa fiche toxicologique : « L’acrylamide peut provoquer le cancer ». On peut s’en féliciter, tout en remarquant que n’importe qui, même un enfant, serait arrivé aux mêmes conclusions dix ans auparavant juste en lisant les études sur le sujet.
Toujours en 2017, l’Anses a ajouté son grain de sel, en forme de pavé dans la mare, en notant que les niveaux d’exposition de la population française restent trop proches des doses reconnues cancérogènes chez l’animal.
Prendre des précautions sans attendre
L’étude du Circ sur le sujet, publiée en mars 2019, enfonce le clou en notant que ses chercheurs ont retrouvé la signature chimique du glycidamide (métabolite de l’acrylamide) « dans un tiers de 1 600 génomes tumoraux correspondant à 19 types de tumeurs humaines provenant de 14 organes ». Traduction : l’implication de l’acrylamide dans quantité de cancers apparaît désormais si élevée qu’il serait criminel de continuer à lanterner sur les précautions à prendre. Les chercheurs précisent : « L’enrichissement le plus élevé en signature de glycidamide a été observé dans les cancers du poumon (88 % des tumeurs examinées), du foie (73 %), des reins (> 70 %), des voies biliaires (57 %), du col utérin (50 %), et, dans une moindre mesure, d’autres types de cancer. » Ils concluent en disant clairement apporter ainsi « la preuve que l’acrylamide peut provoquer chez l’homme des mutations pouvant mener au développement d’un cancer ».
On attend donc que les autorités sanitaires en tirent les conséquences. À commencer par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) qui ne s’est soucié longtemps que de préserver les ouvriers des irritations cutanées, oculaires, nasales et respiratoires. Symptômes qu’on voit souvent apparaître avant les atteintes neurologiques (engourdissements, fatigue, léthargie, troubles de l’équilibre, anorexie…). En attendant, l’UE a produit une directive en 2017 fixant à 0,1 mg/ m3 la valeur limite d’exposition professionnelle, c’est-à-dire la limite à ne pas dépasser dans les entreprises. Reste à la faire vraiment appliquer et à s’attaquer aux autres expositions…
Mais peut-on espérer que les multinationales concernées deviennent prévoyantes ? Elles sont bordées notamment par l’Union des industries chimiques (UIC), un lobby influent et très récalcitrant à l’idée de voir la prévention se renforcer. Les industriels préfèrent miser sur les perspectives économiques qu’ouvre le chantier des nanotechnologies applicables à l’acrylamide. Le nouveau marché des nano-acrylamides aux performances accrues est déjà lancé, alors que leur toxicité semble inversement proportionnelle à la réduction de leur taille…
Pas de panique, les solutions existent
Quelques principes de base peuvent limiter les apports en acrylamide. Écartez les aliments brûlés ou les parties trop brunies. Chez le boulanger, demandez des produits « pas trop cuits ». Idem au rayon traiteur : les mets gratinés, passés au four ou au gril se doivent d’être dorés et non cramés.
À la maison, reléguez un peu la poêle au profit de la cuisine mijotée ou à la vapeur. Rappelons que la cuisine à l’eau peut s’accompagner de sauces. Gardez à l’esprit que la formation d’acrylamide s’accroît avec la température et le temps de cuisson, mais aussi avec le manque d’humidité. Arrosez régulièrement !
Pour les frites, choisissez les pommes de terre recommandées qui contiennent moins de glucides. Conservez-les à une température supérieure à 6 °C pour éviter la formation des sucres. Attention, avec le temps elles se chargent aussi en sucres, mieux vaut donc les consommer rapidement. Sachez aussi que plus les frites sont épaisses moins elles formeront d’acrylamide. Ne chauffez pas votre huile au-delà de 175 °C et retirez-les en dès qu’elles sont dorées. Enlevez les résidus restés dans l’huile et changez-la toutes les quatre fritures.
Évitez les aliments tout prêts pour le gril, tels les saucisses et autres merguez industrielles qui contiennent un mélange de viandes, de sucres et d’amidon. Quant à la cuisson, tout doux ! Barbecue doit rimer avec braise et non avec flammes. Il est important aussi de nettoyer le gril pour éliminer les résidus carbonisés qui recuiraient au contact des aliments.
Au restaurant, même combat. La pizza qu’on vous sert est trop cuite, écartez-les morceaux noircis ou refusez-la. On ne s’empoisonne pas par politesse. De fait, il est grand temps de sensibiliser les cuisiniers et tous les artisans de bouche à la toxicologie. En attendant que la santé publique soit enseignée dès l’école à tous les futurs citoyens…
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