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« Cas de Covid-19 » en augmentation : les tests PCR en trompe-l'oeil

Sur la base d’un dépistage à grande échelle (plus d’un million de tests par semaine), le nombre de cas positifs ne cesse de croître, amenant les autorités à prédire des « décisions difficiles ». Une actualité qui demanderait à préciser cette notion des « cas positifs ». Mais dans le fond, le dépistage actuel n’entretient-il pas un flou plus qu’un éclairage sur l’évolution de cette épidémie…

Jean-Pierre Giess

Toujours plus de cas, mais des cas de quoi ?

À en juger par la longueur des files d’attente devant les drives de dépistage, on serait fondé à croire que les populations sont inquiètes et ont besoin de savoir ; cas ou pas cas ? Aujourd’hui, journalistes, scientifiques et autorités n’ont plus que ce mot à la bouche pour parler du Covid-19. Pendant plusieurs semaines, aucune mention n’était faite des admissions hospitalières et des décès, alors proches de zéro, et qui seraient maintenant sur une tendance modérée à l’augmentation ; 37 décès en 24 heures et 2 713 nouvelles hospitalisations au cours des sept derniers jours (au 15 septembre 2020), d’après les chiffres de Santé publique France.

Mais qu’y a-t-il derrière ce vocable fourre-tout qu’est le « cas » ? Plusieurs profils différents en rapport au Covid-19 existent aujourd’hui dans la population ; il y a les individus non infectés, ne présentant ni virus, ni réponse immunitaire, qui sont susceptibles de contracter l’infection. Il y a les infectés présentant une charge et une activité virales très variables , en fonction desquelles ils sont susceptibles ou non d’infecter autrui, et qui peuvent justifier une période d’isolement le cas échéant. Et il y a les sujets chez qui on ne détecte plus le virus mais qui possèdent une immunité spécifique (anticorps ou lymphocytes) à des niveaux très variables, ceux-ci les mettant éventuellement à l’abri d’une nouvelle infection pendant un laps de temps qui reste à éclaircir, ou tout au moins d’une forme grave de nouvelle infection.

Les tests donnent-ils trop de cas positifs ?

À lire et à entendre les médias, on est parfaitement sûrs de la situation telle qu’elle est actuellement mesurée et présentée sur la base de ces fameux tests RT-PCR (reverse transcription-polymerase chain reaction) réalisés à grande échelle. Mais ce n’est peut-être pas si simple. Un nombre croissant d’experts remet en cause l’exactitude de la situation actuellement reflétée par les résultats du dépistage de masse . Dans un article du New York Times paru le 29 août dernier, ces professionnels pointent l’insuffisance de la seule réponse binaire au test PCR (« oui, vous êtes positif », ou « non vous ne l’êtes pas ») pour servir d’indicateur sur le fait qu’un sujet est en phase d’infection active, et donc contagieux. Aucune indication n’est retenue quant à la quantité de virus détectée, or d’après un épidémiologiste de l’école de santé publique de l’Université de Harvard, « la réponse “oui” ou “non” ne suffit pas, c’est la quantité de virus qui devrait dicter la marche à suivre pour chaque patient infecté . »

Le test PCR, parfois un trompe-l'oeil

Le test PCR est indiqué dans la détection du virus pour sa très haute sensibilité et sa très haute spécificité. Il permet notamment de diagnostiquer des personnes en début d’infection présentant une faible charge virale, généralement dès cinq jours après l'infection. Mais il inclut aussi, a contrario, des personnes dont la charge virale post-infection est devenue tellement basse qu’ils ne représentent plus un risque de transmission. Cela tient à la méthode : à la manière d'une loupe grossissante, le RT-PCR amplifie par cycles (CT) la quantité de matériel génétique viral (ARN) de l’échantillon de manière à le rendre détectable. Autrement dit, plus il y a de virus dans l’échantillon de départ, moins il faut de cycles pour l’amplifier et le détecter. Inversement, moins il y a de matériel génétique viral, plus il faut de cycles.

Une virologiste de l’Université de Californie indique dans l’article du NYT qu’au-delà de 35 cycles d’amplification, les tests détectent plutôt des fragments d’ARN, restes de l’infection qui ne posent plus de risque particulier. Le CDC (Centers for Disease Control and Prevention) estime, quant à lui, qu’il est extrêmement difficile de détecter du virus vivant au-delà de 33 cycles. Le NYT indique avoir compilé avec des officiels des états du Massachussetts, de New York et du Nevada, des données qui incorporaient le nombre de cycles des tests. D’après celles-ci, jusqu’à 90 % des testés positifs ayant nécessité 40 cycles d’amplification n’auraient pas été désignés positifs si la limite d’amplification avait été de 30 cycles.

Dans un fact-checking du journal Le Monde daté du 9 septembre, le docteur Yazdan Yazdanpanah, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Bichat et membre du conseil scientifique, estime qu’il est presque acquis actuellement qu’en dessous de 24 cycles, on est contagieux, et que le risque diminue progressivement au-delà. En France, le nombre de cycles Ct est fixé à 35 : avec une détection en dessous de 35 cycles le test PCR est considéré positif, au dessus le PCR est considéré négatif.

Les personnes détectées entre 24 et 35 cycles sont donc dans une zone grise en termes virologique comme épidémiologique. Concrètement, et en l'absence d'information donnée au médecin ou au patient sur le nombre de cycles Ct nécessaires à la détection du virus dans l'échantillon, un test positif ne signifie pas forcément que l'on soit infecté ou contagieux. C'est d'autant plus vrai que des débris d'ARN viral peuvent-être détectés longtemps après la disparition du virus actif et qu'il est maintenant acquis que les malades ne propageaient vraisemblablement plus le Covid-19 à partir du septième à onzième jour après les premiers symptômes.

Ceci nous oblige à relativiser l'importance médiatique et politique accordée à ces "cas" en augmentation croissante pour, plutôt, se concentrer sur des données plus tangibles comme le nombre de personnes admises en soins intensifs ou décédées.

Le dépistage à l’aveugle est-il approprié ?

Depuis le 25 juillet, tout le monde peut se présenter librement dans un centre de dépistage pour subir un test RT-PCR. Pas besoin de prescription et rien à débourser, la Sécu prend en charge. Là aussi, un certain nombre de professionnels de santé, aussi bien en Europe qu’Outre-Atlantique, émettent des réserves sur l’utilité de tester aussi largement . Car cette façon de faire a ses limites : un cas donné comme positif au PCR n’est pas forcément contagieux, et à l’inverse, un cas donné comme négatif peut aussi bien être un ancien contaminé disposant d’une immunité ou un non-infecté sans aucune protection immunitaire.

Ainsi, avec un pourcentage de cas positifs de près de 20 % du public dans certaines zones, les spécialistes s’interrogent sur l’utilisation du PCR en tant qu’outil unique de diagnostic, sachant que le taux de positivité global est actuellement (seconde semaine de septembre) de 5,4 %, en France comme aux États-Unis. Les experts craignent une déperdition de moyens qui limite la détection des individus les plus infectieux , alors que c’est justement, selon eux de l’identification des vrais contagieux que dépend la maîtrise de l’épidémie. Sur ce point aussi, les autorités semblent avoir entendu le message, le premier ministre ayant également annoncé une priorisation du dépistage à l’intention des symptomatiques, des cas contacts et du personnel soignant.

Recentrer le dépistage pour plus d’efficacité ?

En France, plusieurs médecins, dont le professeur Peronne, plaident pour un usage ciblé des tests, sur prescription médicale. Dans une interview accordée à BFMTV le 8 septembre 2020, le docteur Bertrand Legrand, généraliste à Tourcoing, estime qu’il faut recentrer le recours au dépistage, et tester au plus vite les cas contacts, et surtout les personnes symptomatiques, si possible le jour même de l’apparition des symptômes, afin de pouvoir les isoler à temps, sachant que ces sujets étaient généralement contagieux dès deux jours avant ces premiers symptômes.

Il faut ajouter à cela que les résultats des tests PCR n’ont qu’une valeur instantanée . Comme l’explique la virologue Sylvie van der Werf au journal Libération, une personne détectée avec une charge virale faible qui voudrait dire qu’elle n’est pas transmettrice au moment du test, peut se trouver en phase ascendante et présenter deux jours plus tard une charge virale amplifiée et prêtant à contagion. Le public réellement « à risque » nécessiterait donc plusieurs tests successifs à des moments judicieusement choisis, ce qui plaide pour la prescription médicale.

D’autre part, la sollicitation massive du testage par le public commence aussi à poser des problèmes techniques ; « les infrastructures sont au maximum de leurs capacités analytiques et l’approvisionnement en réactifs commence à poser problème » explique le 8 septembre dernier sur LCI le docteur Lionel Barrand, président du Syndicat des jeunes biologistes médicaux. Pour lui, il vaut mieux faire 500 000 tests aux bonnes personnes que sont les sujets symptomatiques, les cas contacts ou les personnes qui reviennent de pays à risque, et avoir les résultats en 24 à 48 heures, plutôt que de tester n’importe qui et allonger les délais des résultats, ce qui est contreproductif dans l’objectif d’enrayer la diffusion du coronavirus.

Bientôt de nouveaux tests pour augmenter encore la cadence

Bien que les drives de dépistage se soient multipliés depuis la rentrée, la demande du public est telle qu’il n’est pas rare de devoir patienter, autant pour être testé que pour recevoir ses résultats, ce qui n’est pas concevable si l’on veut combattre l’épidémie efficacement. Les tests PCR utilisés jusqu’ici nécessitent, quand tout va bien, quelques heures à plus d’une journée pour l’obtention du résultat , car nombre de laboratoires sont engorgés. Les tests sérologiques, utilisés principalement en milieu hospitalier en début d’épidémie, et qui reposent sur la recherche d’anticorps et non d’ARN viral, ne renseignent pas suffisamment sur l’état du patient, ni sur sa contagiosité, ni sur son immunité, et ils ne sont guère plus rapides.

Afin de réduire le temps d’obtention des résultats et d’améliorer la « priorisation des dépistages », le ministre de la santé a annoncé l’arrivée de nouveaux tests, dits « antigéniques ». Ceux-ci doivent détecter les antigènes spécifiques au Sars-Cov-2. Le prélèvement, effectué de la même manière que le PCR, est mélangé à un réactif directement sur une bandelette, qui se colore en présence des antigènes viraux. Cette manipulation ne nécessitant pas de machine devrait être plus rapide, de vingt à trente minutes en moyenne , un gain de temps devant permettre d’identifier plus précocement les cas contaminants et leurs contacts. Mais comme ces tests ne recourent pas à l’amplification, il existe un risque de passer à côté des faibles charges virales, et leur marge d'erreur est encore plus importante que le test PCR.

Quid des asymptomatiques ?

Les asymptomatiques posent une question importante au niveau collectif : sont-ils contagieux ou pas ? Interrogation épineuse sur laquelle les avis divergent. Les autorités ont longtemps laissé entendre que les asymptomatiques, qui représentent environ 40 % des cas positifs dans les clusters bien identifiés, étaient bel et bien contagieux. Et puis voilà que début juin, une responsable de la cellule de gestion de l’épidémie de Covid-19 à l’OMS déclare que la transmission du virus par des personnes infectées n’ayant aucun symptôme semblait très rare . Mais face aux réactions de la communauté scientifique, elle s’est presqu’aussitôt rétractée en évoquant un malentendu.

Une étude sud-coréenne parue début août et menée auprès d’un groupe de 303 personnes testées de nombreuses fois, affirme avoir constaté que les sujets asymptomatiques étaient porteurs d’une charge virale identique à celle de leurs compatriotes ayant développé des symptômes. Cependant, précisent les auteurs, « il est important de souligner que la détection d’ARN viral n’est pas synonyme de présence d’un virus infectieux et transmissible ». En quoi abonde une autre étude, chinoise cette fois, qui concluait en mai à une faible infectiosité des porteurs asymptomatiques.

Une fenêtre de détection finalement assez étroite

L’idée de mieux cibler les tests semble faire son chemin, même au sein du conseil scientifique. Toute la difficulté, quelle que soit la méthode utilisée, réside dans le timing : il faudrait connaître la date du contact contaminant, tenir compte de la période d’incubation du virus, de cinq jours en moyenne mais variant de deux à dix jours, puis tester au plus près de la période réellement contagieuse, qui s’étale de deux jours avant les premiers symptômes à quelques jours après la phase de multiplication maximale du virus, d’une durée d’une semaine en général. Quand on ne connaît pas son contact contaminant, c’est dès les premiers symptômes qu’il convient de consulter, afin que le médecin prescrive une détection prioritaire, le cas échéant. C’est à partir de ces éléments qu’on serait en mesure d’isoler opportunément les vrais cas contaminants, et d'alerter, dans la foulée, leurs contacts.

 

Sources :

« Your coronavirus test is positive.Maybe it shouldn’t be. », dans The New York Times, publié le 29 août 2020.

« Covid-19 : l’hypersensibilité des tests PCR, entre intox et vrai débat », dans Le Monde le 9 septembre 2020.

« Position statement from national centre for infectious diseases and the chapter of infectious disease physicians, Academy of medecine – Period of infectivity to inform trategies for de-islation for Covid-19 patients », The National Centre for Infectious Diseases, Singapore, 23 mai 2020

« COVID: La PCR nasale peut-elle mentir? », 30 aôut, AIMSIB

« Positifs mais pas contagieux : l’angle mort des tests PCR », dans Libération le 5 septembre 2020

« Clinical course and molecular viral shedding among asymptomatic and symptomatic patients with Sars-Cov-2 infection in a community treatment center in the republic of Korea », dans JAMA Internal Medecine, août 2020.

« A study on infectivity of asymptomatic Sars-Cov-2 carriers », dans Respiratory Medecine, mai 2020.

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